Les zones grises (Joseph Facal)
Publié : mar. avr. 07, 2009 6:52 am
La chronique de Joseph Facal
Les zones grises
Joseph Facal
06/04/2009 11h43
Plus je vieillis, plus je suis sensible aux zones grises dans nos vies.
Que le président de la FTQ passe ses vacances sur le bateau d'un des plus grands entrepreneurs en construction du Québec est une chose.
Que monsieur Jocelyn Dupuis, ex-directeur général d'un des syndicats affiliés à la FTQ, falsifie ses factures de restaurant et fréquente des membres connus du crime organisé est une tout autre affaire.
Il ne faut évidemment pas tout mélanger, et on verra où tout cela mène. Mais une chose me frappe, que personne n'a notée.
LE SILENCE
Dans n'importe quelle grande organisation, des tas de gens savent où et avec qui le patron passe ses vacances. Plusieurs personnes savent aussi quels restaurants sont fréquentés par tel ou tel dirigeant, avec qui et combien de fois.
Ces choses ne sont pas secrètes, parce qu'il est impossible qu'elles le soient. Jocelyn Dupuis nota d'ailleurs que cela s'était «toujours» passé ainsi. Mais tout l'entourage détournait la tête.
On a vu la même chose à Wall Street. Ces financiers véreux avaient tous de proches collaborateurs qui ne pouvaient pas ne pas savoir et qui n'ont rien dit pendant des années.
Voici où je veux en venir. Supposons que vous voyez un de vos collègues de travail en train de faire quelque chose de croche. Le dénonceriez-vous? Pas sûr du tout.
NOTRE CONSCIENCE
Une petite voix intérieure vous dira de vous mêler de vos affaires. Que ce n'est pas votre responsabilité d'être le gardien de l'intégrité de l'organisation. Vous ne voudrez pas passer pour un «stool» aux yeux de vos collègues.
Le dirigeant syndical qui, le premier, dénonça Jocelyn Dupuis, se fit recommander d'être très prudent par la police. Voyez aussi la connotation terriblement négative attachée au mot «délateur».
Vous voyez votre supérieur immédiat en train de frauder. Avant de le confronter, vous vous demanderez s'il peut se venger. S'il le peut, que ferez-vous?
Vous êtes un employé subalterne et en début de carrière. Lui est un cadre expérimenté et bien vu de la direction. Irez-vous le dénoncer aux grands patrons? Ce sera ensuite sa parole contre la sienne. Vous y penserez, non?
Plus compliqué encore, votre supérieur vous demande d'être son complice : de couper les coins ronds ou de regarder de l'autre côté. Vous savez que, si vous refusez, vous risquez des représailles, voire le congédiement. Que ferez-vous ?
Vous êtes un jeune comptable. Dans une vérification de routine, vous notez des anomalies. Vous les rapportez à votre patron, qui vous dit de ne pas vous en faire parce que vous n'avez pas en tête «le portrait d'ensemble». Vous obstinerez-vous ? Ou penserez-vous : il doit savoir ce qu'il fait?
FRAUDE VUE DE L'INTÉRIEUR
Je pourrais multiplier les exemples. À l'université, nous savons pertinemment que l'Internet facilite la fraude par les étudiants. Quand on corrige des centaines de travaux, pensez-vous vraiment qu'on va consacrer des heures à essayer de retracer d'où peuvent bien venir ces phrases suspectes parce que trop bien écrites?
Il est facile de dénoncer un comportement quand on le constate de l'extérieur. Quand on le vit de l'intérieur, les choses deviennent beaucoup plus compliquées.
Les zones grises
Joseph Facal
06/04/2009 11h43
Plus je vieillis, plus je suis sensible aux zones grises dans nos vies.
Que le président de la FTQ passe ses vacances sur le bateau d'un des plus grands entrepreneurs en construction du Québec est une chose.
Que monsieur Jocelyn Dupuis, ex-directeur général d'un des syndicats affiliés à la FTQ, falsifie ses factures de restaurant et fréquente des membres connus du crime organisé est une tout autre affaire.
Il ne faut évidemment pas tout mélanger, et on verra où tout cela mène. Mais une chose me frappe, que personne n'a notée.
LE SILENCE
Dans n'importe quelle grande organisation, des tas de gens savent où et avec qui le patron passe ses vacances. Plusieurs personnes savent aussi quels restaurants sont fréquentés par tel ou tel dirigeant, avec qui et combien de fois.
Ces choses ne sont pas secrètes, parce qu'il est impossible qu'elles le soient. Jocelyn Dupuis nota d'ailleurs que cela s'était «toujours» passé ainsi. Mais tout l'entourage détournait la tête.
On a vu la même chose à Wall Street. Ces financiers véreux avaient tous de proches collaborateurs qui ne pouvaient pas ne pas savoir et qui n'ont rien dit pendant des années.
Voici où je veux en venir. Supposons que vous voyez un de vos collègues de travail en train de faire quelque chose de croche. Le dénonceriez-vous? Pas sûr du tout.
NOTRE CONSCIENCE
Une petite voix intérieure vous dira de vous mêler de vos affaires. Que ce n'est pas votre responsabilité d'être le gardien de l'intégrité de l'organisation. Vous ne voudrez pas passer pour un «stool» aux yeux de vos collègues.
Le dirigeant syndical qui, le premier, dénonça Jocelyn Dupuis, se fit recommander d'être très prudent par la police. Voyez aussi la connotation terriblement négative attachée au mot «délateur».
Vous voyez votre supérieur immédiat en train de frauder. Avant de le confronter, vous vous demanderez s'il peut se venger. S'il le peut, que ferez-vous?
Vous êtes un employé subalterne et en début de carrière. Lui est un cadre expérimenté et bien vu de la direction. Irez-vous le dénoncer aux grands patrons? Ce sera ensuite sa parole contre la sienne. Vous y penserez, non?
Plus compliqué encore, votre supérieur vous demande d'être son complice : de couper les coins ronds ou de regarder de l'autre côté. Vous savez que, si vous refusez, vous risquez des représailles, voire le congédiement. Que ferez-vous ?
Vous êtes un jeune comptable. Dans une vérification de routine, vous notez des anomalies. Vous les rapportez à votre patron, qui vous dit de ne pas vous en faire parce que vous n'avez pas en tête «le portrait d'ensemble». Vous obstinerez-vous ? Ou penserez-vous : il doit savoir ce qu'il fait?
FRAUDE VUE DE L'INTÉRIEUR
Je pourrais multiplier les exemples. À l'université, nous savons pertinemment que l'Internet facilite la fraude par les étudiants. Quand on corrige des centaines de travaux, pensez-vous vraiment qu'on va consacrer des heures à essayer de retracer d'où peuvent bien venir ces phrases suspectes parce que trop bien écrites?
Il est facile de dénoncer un comportement quand on le constate de l'extérieur. Quand on le vit de l'intérieur, les choses deviennent beaucoup plus compliquées.