LE DOMAINE BLEU

Livre
Total et les Desmarais dans la mire

Mathieu Turbide
27/03/2010 06h45


La famille montréalaise Desmarais, propriétaire de Power Corporation, aurait une influence beaucoup plus importante qu'il n'y paraît sur la pétrolière française Total, soutient l'auteur d'un livre controversé qui doit paraître la semaine prochaine au Canada.

Selon l'auteur et journaliste français Jean-Philippe Demont- Pierot, dont le livre «Total(e) impunité» a été publié le mois dernier en France, le grand patron de Power Corporation, Paul Desmarais, et son associé belge, Albert Frère, ont leur mot à dire sur toutes les décisions stratégiques du géant français du pétrole.

«[Ils] ont en leurs mains près de 6% des droits de vote. Cela paraît peu, mais cela suffit à tenir le conseil, donc la société. Pourquoi? Parce que le dépassement du seuil de 5% leur confère des pouvoirs exclusifs que n'ont pas les autres administrateurs et actionnaires», souligne-t-il.

Via le Groupe Bruxelles-Lambert et CNP, les familles Desmarais et Frère possèdent 5,4% des actions de Total. Ils peuvent ainsi, selon l'auteur, «convoquer des assemblées générales extraordinaires des actionnaires» et même «engager une procédure de révocation des cadres de l'entreprise».

Desmarais et Sarkozy

Le livre de 264 pages s'ouvre sur une description de la réception qui a été organisée au restaurant parisien Fouquet's le soir de l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la France, soirée à laquelle participaient Paul Desmarais Sr et son associé Albert Frère.

Jean-Philippe Demont-Pierot, qui a été journaliste au Cambodge pendant 10 ans, a commencé à s'intéresser à Total après avoir rencontré des réfugiés birmans vivant en Thaïlande qui lui ont parlé de la présence -toujours très controversée -de Total dans leur pays.

Le problème birman, éternelle patate chaude pour la pétrolière, est d'ailleurs largement expliqué dans ce livre coup-de-poing. L'auteur relate comment les milliards de dollars investis par Total en Birmanie ont aidé la junte militaire (qui n'est toujours pas reconnue par l'ONU) à asseoir son autorité dictatoriale sur le pays.

«De la fiction», rétorque Power

L'auteur s'intéresse aussi aux nombreuses autres activités controversées de la plus grande entreprise française (une capitalisation de 137 milliards $).

Il souligne l'intérêt grandissant de Total pour les sables bitumineux canadiens, relevant à plusieurs reprises l'influence de la famille Desmarais sur les politiciens canadiens.

«C'est de la fiction», a rétorqué le vice-président de Power Corporation, Edward Johnson, en entre-vue au Journal. «Ça sort de l'imagination de certaines personnes, des gens avec une imagination très vive. Ça fait de bonnes lectures, mais ça n'a rien à voir avec la vérité», a-t-il indiqué, en ajoutant ne pas vouloir commenter directement le livre, puisqu'il n'en avait jamais entendu parler.

Selon M. Johnson, Power ne détient que 1/3 de 1% des actions de Total. «Chez Total, nous ne contrôlons que notre part des dividendes. Ce qui veut dire que si Total remettait des dividendes de 1 $, nous ne toucherions que 1/3 de 0,01 $», dit-il, en rappelant que la présence au C.A. de Total de Paul Desmarais Jr et du représentant du Groupe Frère, Thierry de Ruder, est «historique», puisqu'elle date de la fusion de la pétrolière belge PetroFina avec Elf, puis Total.

Il réfute toutefois le calcul effectué par l'auteur de Total(e) impunité qui additionne la part de GBL dans Total (3,9% des actions) et celle du groupe CNP (1,4%). CNP est un holding contrôlé par Albert Frère.

«Je ne sais rien des actions de CNP dans Total», a indiqué M. Johnson.

* Paul Desmarais Junior est le seul Canadien à siéger au conseil de Total. Il représente le Groupe Bruxelles-Lambert, une entreprise possédée à 50% par le holding Pargesa, un partenariat entre Power Corp et Albert Frère.

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Desmarais et Sarkozy
«Rien ne se fait sans leur accord»

Mathieu Turbide
27/03/2010 07h04


LA CÈNE AU FOUQUET'S

Ils étaient 13 à table pour le dernier repas du Christ. Sarkozy fit mieux. Ce furent 55 apôtres qui entourèrent l'Élu le 6 mai 2007, le soir de son élection.

Quelle journée! Quelle nuit! Sûr qu'elle restera dans l'Histoire comme l'an I d'une nouvelle ère.

[...]

Si l'âge des convives offrait un panel tirant plutôt vers le quinquagénaire actif, deux hommes, peu connus des autres, d'une extrême politesse, surprennent par leur vieillesse marquée. Ils semblent néanmoins en forme, alertes et satisfaits d'être là. L'un d'eux, venant du Maroc, a d'ailleurs dû pousser les réacteurs de son jet privé pour ne pas être en retard. L'autre s'en est même inquiété, car il n'était pas question qu'il vienne seul au dîner. Ces deux-là sont amis, très amis depuis très longtemps et font toujours leurs courses ensemble, enfin leur achat compulsif de toutes compagnies ou lots d'actions susceptibles d'augmenter les milliards de dollars qu'ils possèdent et gèrent au plus près de leurs intérêts.

L'un est Belge, il s'appelle Albert Frère. L'autre est Canadien, il se nomme Paul Desmarais. Tous deux ont dépassé depuis longtemps les 80 ans. Ils sont puissants, très puissants, au point d'être au cœur des politiques financières, économiques et industrielles de nombreux pays.

Ils ne décident pas. Ils sont la décision. Pour la France, la Belgique, le Canada, l'Europe...

L'un de leurs bastions favoris, leur bijou de famille, leur instrument de domination, c'est Total.

Au siège du conseil d'administration, rien ne se fait sans leur accord et tout se fait selon leur choix.

Lors du speech que Sarkozy fera après les apéritifs, ce sera pour l'un d'eux qu'il aura ces mots=: «Si je suis aujourd'hui président de la République, je le dois en partie aux conseils, à l'amitié et à la fidélité de Paul Desmarais. 1995 n'était pas une année faste pour moi. Un homme m'a invité au Québec dans sa famille. Nous marchions de longues heures en forêt et il me disait: «Il faut que tu t'accroches, tu vas y arriver, il faut que nous bâtissions une stratégie pour toi.» Nous avons passé 10 jours ensemble, au cours desquels tu m'as redonné confiance à tel point que, maintenant, je me considère comme un des vôtres.»

Que dire de plus? Le nouveau président se considère comme l'un de ces hommes qui tiennent la dragée haute à l'humanité entière, au-delà de toute forme de pouvoir prétendument démocratique. Mais cela exige des devoirs: ne pas les décevoir, être dans l'exigence de leur credo comme quoi tout doit plier pour asseoir leur domination et la permanence de leur puissance financière.

Ce livre leur doit beaucoup. Sans eux, il n'existerait pas. Pourquoi écrire sur Total si, au-delà du noble business de fournir l'énergie dont nos sociétés ont besoin, cela ne signifiait pas que des peuples vivent sous la domination des armes, que la corruption est devenue un instrument de négociation comme un autre, que des régions entières de notre planète subissent des violences inouïes sur le plan de l'environnement, que des catastrophes pourtant prévisibles n'ont pu être évitées à cause des ratios financiers?

Et cela n'est pas abstrait: Birmanie, Irak, Iran, Erika, AZF... De nouveaux projets vont faire la triste actualité de demain: les sables bitumineux au Canada, le Kazakhstan, sans oublier l'Afrique et les violences subies au nom du pétrole depuis des décennies. Ce sont aussi des méthodes de gestion et de communication laissant la part belle à l'illégalité, à l'hypocrisie et aux mensonges.

Cela doit changer et il est nécessaire de faire l'inventaire de ces «crimes» sans châtiment, des pratiques dont Total, avec ses milliards d'euros de bénéfices annuels, s'est rendue responsable à cause de la seule logique implacable du profit à court terme instillée par ces hommes de l'ombre.

DE L'INFLUENCE DES DESMARAIS SUR TOTAL

Aujourd'hui, les deux octogénaires sont les actionnaires de référence de Total, avec près de 6% des actions, et de GDF-Suez, fusion décidée par Sarkozy président, mise en musique par le gouvernement de François Fillon au plus grand bénéfice du couple Desmarais/Frère!

Ce n'est pas fini... Power Co (la holding canadienne de Desmarais) devrait être associée aux projets de ports méthaniers en France.

Et ce n'est pas tout! Le 15 février 2008, Sarkozy a remis à son ami canadien la grand-croix de la Légion d'honneur, la plus haute et rare distinction française!

****

Ce n'est plus Paul Desmarais en personne qui siège en qualité d'administrateur de Total, mais Junior, soit son fils Paul Jr, comme dans Dallas...

À la mort du vieillard, il devrait reprendre les rênes de l'empire familial européen. Ce quinquagénaire flamboyant, qui aime l'introspection par le yoga et les retraites dans les monastères, a su y faire des affaires avec le Tout-Paris et avec l'élite autoproclamée. En autres, on trouve dans son car-net d'adresses: Dassault, Peugeot, Rothschild, Wendel, Philippe Labro, Christine Ockrent, Gérard Depardieu, Alain Juppé. Des gens maintenant décédés, comme Maurice Druon. Avec Sarkozy, bien entendu, et avec les ministres qui comptent...

Par le biais de fonds d'investissement qu'il a créés, dont la valeur avoisine deux milliards d'euros, Jr a multiplié les prises de participation dans les plus belles entreprises françaises.

Concernant Total, Paul Desmarais Jr et Thierry de Rudder -qui représente Albert Frère - ont en mains près de 6% des droits de vote. Cela paraît peu, mais ça suffit à tenir le conseil, donc la société.

Pourquoi? Parce que le dépassement du seuil de 5% leur confère des pouvoirs exclusifs que n'ont pas les autres administrateurs et actionnaires. Ainsi, ils ont le droit de demander la convocation d'une assemblée générale extraordinaire des actionnaires, de récuser ou de révoquer un commissaire aux comptes, de demander la désignation d'un expert en gestion pour établir un rapport diffusé à tous les actionnaires en cas de contestation de la gestion de l'entreprise, d'engager une procédure de révocation des dirigeants de l'entreprise...

Quand on relie ces pouvoirs juridiques aux liens que Desmarais et Frère ont avec le président Sarkozy, les responsables politiques français, européens et canadiens, leurs multiples autres participations (GDF/Suez, les banques, les cimentiers, la pres-se et l'audiovisuel, etc.), on comprend qui détient le pouvoir de nomination, donc de décision au sein de conseil d'administration de Total SA!

Allez donc leur parler de la Birmanie, du développement durable, des sables bitumineux, du réchauffement de la planète, de l'Afrique, des victimes d'AZF et de l'Erika...

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J'ai entendu du monde s'interroger sur le fait que si, au Québec, autant de choses sont dévoilées en si peu de temps, si autant de scandales éclatent, ils se demandent si ce serait pas à cause que Desmarais n'est plus avec, mais est rendu contre.

Je parle du parti Libéral avec Charest, et de La Presse