L'oeuvre du docteur Julien manque gravement d'argent
Publié : mer. juil. 28, 2010 3:10 pm
Le modèle du Dr Julien miné par un manque de fonds
Privé du million promis par Québec, le pédiatre social a congédié la moitié de son personnel et s'apprête à vendre son siège social
Lisa-Marie Gervais 28 juillet 2010 Le Devoir
Qui l'eût cru? Le Dr Gilles Julien, pédiatre social réputé et maintes fois louangé, peine à boucler ses fins de mois. Aux prises avec un déficit anticipé de près d'un million, le Dr Julien a confirmé qu'il mettra en vente la maison qui abrite le siège social de sa fondation, rue Sainte-Catherine Est. Pire, il a dû congédier la moitié des 18 membres de son personnel, dont plusieurs spécialistes, des psychoéducateurs et des travailleurs sociaux.
En juin, au moment où ses enfants quittaient les bancs d'école pour embrasser l'été, il a été forcé de réduire de moitié les activités de son camp de jour et du Projet ruelle dans Hochelaga-Maisonneuve. «C'est un drame majeur. Je ne sais plus quoi faire», lance-t-il dans un véritable cri du coeur.
Le Dr Julien a même contacté le chef de police d'Hochelaga-Maisonneuve pour lui dire d'augmenter ses effectifs. «Mes enfants vont être dans les rues, ils vont péter des vitres et voler des dépanneurs», lui avait prédit le pédiatre, qui gère deux centres d'aide aux enfants en difficulté, l'un dans «HoMa» et l'autre dans Côte-des-Neiges. «C'était trop gros. Ça nous a complètement brisés.»
Il le déclare sans ambages: le modèle d'entreprise sociale qu'il a développé vaut trois millions. Il est financé par trois secteurs, soit la population (la Guignolée et autres dons), les sociétés (les fondations et entreprises privées) et le gouvernement. Le déficit de 900 000 $ qui s'est creusé est en fait la part que le gouvernement ne lui a jamais versée. «Mon C.A. m'a dit que je n'avais plus le choix. C'est là que j'ai dû couper la moitié de mes services directs aux enfants», explique-t-il.
Le Dr Julien se désole d'avoir été aussi «naïf». Il y a deux ans, lors du dépôt du budget, Monique Jérôme-Forget, la ministre des Finances d'alors, en avait profité pour rendre hommage au pédiatre social de plus 30 ans d'expérience. «Elle m'avait dit qu'elle admirait ce que je faisais et qu'elle allait engager des fonds pour nos activités», se rappelle-t-il. Une promesse non tenue qui s'est envolée en fumée lorsque Raymond Bachand a pris la tête du ministère. Encore aujourd'hui, l'argent se fait toujours attendre. «Les gens pensent que je suis plein de fric, ils se demandent comment ça se fait que je n'ai plus d'argent. Ma popularité me nuit. C'est spécial», déplore le Dr Julien.
Au ministère des Finances, on dit avoir la volonté d'aider le Dr Julien. «Il a un projet unique qui ne rentre pas dans les programmes normés, alors on travaille là-dessus», a dit Catherine Poulin, l'attachée de presse du ministre Bachand.
Un modèle éprouvé
Le Dr Julien ne réinvente pas la roue. Mais sa méthode a le mérite de s'intéresser à l'enfant dès son plus jeune âge et d'évoluer avec lui, à son rythme. «C'est quand même un super beau modèle dynamique qui couvre la trajectoire d'un enfant, qui est préventif et qui s'assure que l'enfant ne tombe pas entre deux chaises», résume le pédiatre.
L'idée est de ne pas sortir trop vite l'enfant en difficulté de son milieu, mais plutôt de mobiliser les ressources autour (la famille, l'école, la communauté) pour lui venir en aide. C'est ce que font notamment les Cercles de l'enfant, un programme développé par le Dr Julien et son équipe. «Il y a une logique de "bottom up". On fait tout ce qu'on peut en bas, mais quand on est plus capable, on va chercher le gros service qui coûte cher, a-t-il expliqué. On est comme le chaînon manquant pour les populations vulnérables.»
Le pédiatre trouve aberrant que le gouvernement ne soutienne pas davantage son modèle clé en main d'entreprise sociale. En Europe, à Vancouver, où il a récemment été invité à prononcer la conférence d'ouverture d'un colloque sur le développement du cerveau de l'enfant, le Dr Julien est applaudi. En plus de jouir d'une profonde reconnaissance, son modèle de pédiatrie fait mouche. Mais nul n'est prophète en son pays. «C'est purement québécois, on réinvente la roue, ce sont les gens d'ailleurs qui viennent me chercher, il faut le faire!» lance-t-il.
S'il apprécie les nombreux encouragements qu'il reçoit, il a parfois l'impression qu'on veut lui signer un chèque en blanc. «Je ne veux pas ça. Je veux plutôt que l'on comprenne ce que je fais», soutient le pédiatre qui rêve d'une Chaire de recherche en pédiatrie sociale. «Je suis un peu amer et je vieillis. Les jeunes vont à mon sens amener la pédiatrie sociale plus loin, mais je suis encore l'inspirant de ce monde-là», constate-t-il humblement.
Relève
Car à 65 ans et des poussières, de plus en plus près de la retraite, le Dr Julien songe à l'avenir du système qu'il a développé. «Je ne veux pas que tout ce qu'on fait ne soit associé qu'à mon nom. C'est trop fragile. C'est un système que j'ai mis en place et qui se déploie. C'est toute [cette idée-là] qu'il faut vendre», insiste-t-il.
Il réitère néanmoins toute sa confiance à la relève. Ses centres de pédiatrie suscitent un grand intérêt et ont même déjà fait quelques petits. Des six nouveaux centres au Québec, le dernier en règle a vu le jour à Lévis, où sa fille infirmière habite. Le pédiatre en chef du département se sentait démuni devant ses patients et souhaitait s'engager davantage. Il a maintenant un local dans une école pour tout l'été et il y tient des consultations cliniques. «À l'automne, le CSSS et la DPJ vont prêter des ressources à cette petite équipe qui va grossir tranquillement à peu de frais et qui va développer son expertise locale», se réjouit le Dr Julien, en citant des exemples de pédiatres dévoués à Saint-Jean et dans le quartier Centre-Sud, à Montréal. «Ce sont des gens qui vont amener ça beaucoup plus loin, mais qui vont continuer d'avoir une approche très engagée», souligne-t-il en fondant beaucoup d'espoir sur son réseau de centres de pédiatrie sociale du Québec.
En attendant, il s'accroche aux témoignages d'encouragement et aux marques d'affection qu'il reçoit. «Je reçois des chèques tous les jours, de 50 $, 1000 $. Il y a même une dame de Laval qui m'a envoyé 8000 $ avec un mot d'encouragement. 8000 $, ce n'est pas rien», s'émeut-il. «C'est tellement impressionnant. On n'arrête pas de nous offrir des services, de l'aide. Quand tu vois tout ça, tu ne peux pas croire que tu es sur la mauvaise voie», conclut-il.
Privé du million promis par Québec, le pédiatre social a congédié la moitié de son personnel et s'apprête à vendre son siège social
Lisa-Marie Gervais 28 juillet 2010 Le Devoir
Qui l'eût cru? Le Dr Gilles Julien, pédiatre social réputé et maintes fois louangé, peine à boucler ses fins de mois. Aux prises avec un déficit anticipé de près d'un million, le Dr Julien a confirmé qu'il mettra en vente la maison qui abrite le siège social de sa fondation, rue Sainte-Catherine Est. Pire, il a dû congédier la moitié des 18 membres de son personnel, dont plusieurs spécialistes, des psychoéducateurs et des travailleurs sociaux.
En juin, au moment où ses enfants quittaient les bancs d'école pour embrasser l'été, il a été forcé de réduire de moitié les activités de son camp de jour et du Projet ruelle dans Hochelaga-Maisonneuve. «C'est un drame majeur. Je ne sais plus quoi faire», lance-t-il dans un véritable cri du coeur.
Le Dr Julien a même contacté le chef de police d'Hochelaga-Maisonneuve pour lui dire d'augmenter ses effectifs. «Mes enfants vont être dans les rues, ils vont péter des vitres et voler des dépanneurs», lui avait prédit le pédiatre, qui gère deux centres d'aide aux enfants en difficulté, l'un dans «HoMa» et l'autre dans Côte-des-Neiges. «C'était trop gros. Ça nous a complètement brisés.»
Il le déclare sans ambages: le modèle d'entreprise sociale qu'il a développé vaut trois millions. Il est financé par trois secteurs, soit la population (la Guignolée et autres dons), les sociétés (les fondations et entreprises privées) et le gouvernement. Le déficit de 900 000 $ qui s'est creusé est en fait la part que le gouvernement ne lui a jamais versée. «Mon C.A. m'a dit que je n'avais plus le choix. C'est là que j'ai dû couper la moitié de mes services directs aux enfants», explique-t-il.
Le Dr Julien se désole d'avoir été aussi «naïf». Il y a deux ans, lors du dépôt du budget, Monique Jérôme-Forget, la ministre des Finances d'alors, en avait profité pour rendre hommage au pédiatre social de plus 30 ans d'expérience. «Elle m'avait dit qu'elle admirait ce que je faisais et qu'elle allait engager des fonds pour nos activités», se rappelle-t-il. Une promesse non tenue qui s'est envolée en fumée lorsque Raymond Bachand a pris la tête du ministère. Encore aujourd'hui, l'argent se fait toujours attendre. «Les gens pensent que je suis plein de fric, ils se demandent comment ça se fait que je n'ai plus d'argent. Ma popularité me nuit. C'est spécial», déplore le Dr Julien.
Au ministère des Finances, on dit avoir la volonté d'aider le Dr Julien. «Il a un projet unique qui ne rentre pas dans les programmes normés, alors on travaille là-dessus», a dit Catherine Poulin, l'attachée de presse du ministre Bachand.
Un modèle éprouvé
Le Dr Julien ne réinvente pas la roue. Mais sa méthode a le mérite de s'intéresser à l'enfant dès son plus jeune âge et d'évoluer avec lui, à son rythme. «C'est quand même un super beau modèle dynamique qui couvre la trajectoire d'un enfant, qui est préventif et qui s'assure que l'enfant ne tombe pas entre deux chaises», résume le pédiatre.
L'idée est de ne pas sortir trop vite l'enfant en difficulté de son milieu, mais plutôt de mobiliser les ressources autour (la famille, l'école, la communauté) pour lui venir en aide. C'est ce que font notamment les Cercles de l'enfant, un programme développé par le Dr Julien et son équipe. «Il y a une logique de "bottom up". On fait tout ce qu'on peut en bas, mais quand on est plus capable, on va chercher le gros service qui coûte cher, a-t-il expliqué. On est comme le chaînon manquant pour les populations vulnérables.»
Le pédiatre trouve aberrant que le gouvernement ne soutienne pas davantage son modèle clé en main d'entreprise sociale. En Europe, à Vancouver, où il a récemment été invité à prononcer la conférence d'ouverture d'un colloque sur le développement du cerveau de l'enfant, le Dr Julien est applaudi. En plus de jouir d'une profonde reconnaissance, son modèle de pédiatrie fait mouche. Mais nul n'est prophète en son pays. «C'est purement québécois, on réinvente la roue, ce sont les gens d'ailleurs qui viennent me chercher, il faut le faire!» lance-t-il.
S'il apprécie les nombreux encouragements qu'il reçoit, il a parfois l'impression qu'on veut lui signer un chèque en blanc. «Je ne veux pas ça. Je veux plutôt que l'on comprenne ce que je fais», soutient le pédiatre qui rêve d'une Chaire de recherche en pédiatrie sociale. «Je suis un peu amer et je vieillis. Les jeunes vont à mon sens amener la pédiatrie sociale plus loin, mais je suis encore l'inspirant de ce monde-là», constate-t-il humblement.
Relève
Car à 65 ans et des poussières, de plus en plus près de la retraite, le Dr Julien songe à l'avenir du système qu'il a développé. «Je ne veux pas que tout ce qu'on fait ne soit associé qu'à mon nom. C'est trop fragile. C'est un système que j'ai mis en place et qui se déploie. C'est toute [cette idée-là] qu'il faut vendre», insiste-t-il.
Il réitère néanmoins toute sa confiance à la relève. Ses centres de pédiatrie suscitent un grand intérêt et ont même déjà fait quelques petits. Des six nouveaux centres au Québec, le dernier en règle a vu le jour à Lévis, où sa fille infirmière habite. Le pédiatre en chef du département se sentait démuni devant ses patients et souhaitait s'engager davantage. Il a maintenant un local dans une école pour tout l'été et il y tient des consultations cliniques. «À l'automne, le CSSS et la DPJ vont prêter des ressources à cette petite équipe qui va grossir tranquillement à peu de frais et qui va développer son expertise locale», se réjouit le Dr Julien, en citant des exemples de pédiatres dévoués à Saint-Jean et dans le quartier Centre-Sud, à Montréal. «Ce sont des gens qui vont amener ça beaucoup plus loin, mais qui vont continuer d'avoir une approche très engagée», souligne-t-il en fondant beaucoup d'espoir sur son réseau de centres de pédiatrie sociale du Québec.
En attendant, il s'accroche aux témoignages d'encouragement et aux marques d'affection qu'il reçoit. «Je reçois des chèques tous les jours, de 50 $, 1000 $. Il y a même une dame de Laval qui m'a envoyé 8000 $ avec un mot d'encouragement. 8000 $, ce n'est pas rien», s'émeut-il. «C'est tellement impressionnant. On n'arrête pas de nous offrir des services, de l'aide. Quand tu vois tout ça, tu ne peux pas croire que tu es sur la mauvaise voie», conclut-il.