Le colonel Patrick Stogran : L'ombudsman des vétérans
Publié : mer. août 18, 2010 12:13 pm
Le boomerang
Manon Cornellier 18 août 2010 Canada
Les réformistes s'en faisaient les champions. Les alliancistes et les conservateurs ont fait de même. Vétérans et victimes d'actes criminels auraient, sous le gouvernement de Stephen Harper, d'indéfectibles défenseurs dans les ombudsmans qu'on mettrait à leur service.
Les conservateurs n'ont pas traîné. Ils créaient dès 2007 les deux postes promis et les confiaient à des hommes convaincus et déterminés. Trois ans plus tard, ils leur ont montré la sortie. Trop francs? Trop revendicateurs? Le gouvernement s'en défend, mais à écouter hier l'ombudsman des vétérans, le colonel à la retraite Patrick Stogran, on ne s'y trompait pas.
L'ancien militaire de carrière a visiblement pris son travail à coeur et, de toute évidence, le gouvernement n'en espérait pas tant. Ce dernier aurait aimé quelqu'un de moins dérangeant, aux dires de M. Stogran. «Même si le gouvernement a fait la promotion de l'ombudsman des vétérans en tant qu'un intervenant indépendant du gouvernement, il est clair selon moi qu'il s'attendait plutôt à ce que l'ombudsman soit un gestionnaire de plaintes qui relève du ministère», a-t-il dit.
Mais en bon militaire, a-t-il poursuivi, il a cru à la sincérité de ses patrons et a accompli de son mieux les tâches qu'on disait lui confier. Il s'est donc dévoué à représenter les vétérans, mais a fini par constater que le gouvernement les privait, «en toute connaissance de cause», des programmes et services que «le public et le gouvernement canadiens ont reconnus il y a très longtemps comme une obligation à leur égard» et que ces anciens militaires ont «acquis par leur sang et leur sacrifice».
Frustré par ce qu'il a vu pendant deux ans et demi — une bureaucratie tatillonne et fermée depuis des lustres, un gouvernement aussi indifférent que ses prédécesseurs, des fonds gaspillés à combattre les vétérans devant les tribunaux, des maladies et des blessures dont on refuse de reconnaître la cause — il a décidé de transformer les trois derniers mois de son mandat en campagne pour les vétérans. Il avoue qu'il n'aurait pas entrepris cette croisade si on avait renouvelé son mandat qui prend fin en novembre, car il aurait alors cru qu'on lui donnait une chance de compléter le travail et de briser le mur contre lequel se frappent les vétérans malades et blessés.
***
Tant que l'homme n'était qu'une image utile, on s'en accommodait volontiers. En 2002, l'Alliance canadienne, un des ancêtres du Parti conservateur actuel, n'a pas hésité à utiliser sa photo (sans le lui demander, en passant) pour illustrer un de ses dépliants vantant les militaires canadiens. Aujourd'hui, le soldat se rebiffe à l'idée qu'on veuille à nouveau lui faire faire tapisserie. Il a vu trop de souffrance et d'injustice pour cela.
Du coup, les conservateurs qui croyaient pouvoir sauver la mise en créant un poste d'ombudsman sans dents se retrouvent avec, sur les bras, un véritable champion des anciens combattants. Un homme qui fera, dit-il, «tout [son] possible pour faire savoir à tous les Canadiens à quel point un si grand nombre d'entre [eux sont] mal servis». Et il aura des alliés, comme il en avait hier en conférence de presse, chacun armé de son témoignage, de ses blessures et de ses humiliations aux mains de l'État.
On soupçonne que ce n'est pas ce que les conservateurs espéraient pour l'automne, un affrontement avec des vétérans et un ancien colonel qui n'a plus rien à perdre. Mais ils récoltent ce qu'ils ont semé. Et ils sont même chanceux de ne pas avoir aussi les victimes d'actes criminels sur le dos.
***
L'ancien ombudsman des victimes d'actes criminels, Steve Sullivan, est parti sans faire de vagues à la fin avril, mais il n'est pas resté muet pour autant. Dans une lettre envoyée au ministre, cet ancien militant pour les droits des victimes a noté qu'on avait trouvé des fonds pour agrandir les prisons alors qu'on rognait les budgets accordés aux programmes destinés aux victimes. (Cette année, le budget du bureau de l'ombudsman augmentera d'à peine 1,08 % et les subventions et contributions pour l'Initiative sur les victimes d'actes criminels diminueront de 41 et 34 % respectivement. Pour les prisons, on parle de milliards supplémentaires d'ici cinq ans.)
De plus, le poste de M. Sullivan est resté vacant pendant trois mois et demi. Sa remplaçante, l'ex-policière Sue O'Sullivan, a été nommée en juin, mais n'est entrée en fonction qu'avant-hier. Elle rencontrera la presse pour la première fois aujourd'hui en compagnie du ministre de la Justice, Rob Nicholson. Malgré les budgets racornis, le gouvernement a quand même réussi, grâce à sa litanie de projets de loi en matière de justice, à garder les victimes de son côté. Mais est-ce que cela durera?
Le gouvernement veut bien paraître auprès des victimes et des vétérans, deux groupes qu'il aime faire parader à ses conférences de presse et ses incessantes cérémonies du souvenir. Mais en refusant d'assumer jusqu'au bout la présence de ces ombudsmans — avec leurs critiques, reproches et rappels à l'ordre, et les correctifs qui en découlent —, il donne l'impression que son engagement n'en est qu'un de façade.
Et ça, les anciens militaires présents hier à la conférence de presse ne l'acceptent pas. Tous ont dit être des hommes en colère et leur révolte pourrait n'être que le début d'un très vilain rêve pour les conservateurs.
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Manon Cornellier 18 août 2010 Canada
Les réformistes s'en faisaient les champions. Les alliancistes et les conservateurs ont fait de même. Vétérans et victimes d'actes criminels auraient, sous le gouvernement de Stephen Harper, d'indéfectibles défenseurs dans les ombudsmans qu'on mettrait à leur service.
Les conservateurs n'ont pas traîné. Ils créaient dès 2007 les deux postes promis et les confiaient à des hommes convaincus et déterminés. Trois ans plus tard, ils leur ont montré la sortie. Trop francs? Trop revendicateurs? Le gouvernement s'en défend, mais à écouter hier l'ombudsman des vétérans, le colonel à la retraite Patrick Stogran, on ne s'y trompait pas.
L'ancien militaire de carrière a visiblement pris son travail à coeur et, de toute évidence, le gouvernement n'en espérait pas tant. Ce dernier aurait aimé quelqu'un de moins dérangeant, aux dires de M. Stogran. «Même si le gouvernement a fait la promotion de l'ombudsman des vétérans en tant qu'un intervenant indépendant du gouvernement, il est clair selon moi qu'il s'attendait plutôt à ce que l'ombudsman soit un gestionnaire de plaintes qui relève du ministère», a-t-il dit.
Mais en bon militaire, a-t-il poursuivi, il a cru à la sincérité de ses patrons et a accompli de son mieux les tâches qu'on disait lui confier. Il s'est donc dévoué à représenter les vétérans, mais a fini par constater que le gouvernement les privait, «en toute connaissance de cause», des programmes et services que «le public et le gouvernement canadiens ont reconnus il y a très longtemps comme une obligation à leur égard» et que ces anciens militaires ont «acquis par leur sang et leur sacrifice».
Frustré par ce qu'il a vu pendant deux ans et demi — une bureaucratie tatillonne et fermée depuis des lustres, un gouvernement aussi indifférent que ses prédécesseurs, des fonds gaspillés à combattre les vétérans devant les tribunaux, des maladies et des blessures dont on refuse de reconnaître la cause — il a décidé de transformer les trois derniers mois de son mandat en campagne pour les vétérans. Il avoue qu'il n'aurait pas entrepris cette croisade si on avait renouvelé son mandat qui prend fin en novembre, car il aurait alors cru qu'on lui donnait une chance de compléter le travail et de briser le mur contre lequel se frappent les vétérans malades et blessés.
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Tant que l'homme n'était qu'une image utile, on s'en accommodait volontiers. En 2002, l'Alliance canadienne, un des ancêtres du Parti conservateur actuel, n'a pas hésité à utiliser sa photo (sans le lui demander, en passant) pour illustrer un de ses dépliants vantant les militaires canadiens. Aujourd'hui, le soldat se rebiffe à l'idée qu'on veuille à nouveau lui faire faire tapisserie. Il a vu trop de souffrance et d'injustice pour cela.
Du coup, les conservateurs qui croyaient pouvoir sauver la mise en créant un poste d'ombudsman sans dents se retrouvent avec, sur les bras, un véritable champion des anciens combattants. Un homme qui fera, dit-il, «tout [son] possible pour faire savoir à tous les Canadiens à quel point un si grand nombre d'entre [eux sont] mal servis». Et il aura des alliés, comme il en avait hier en conférence de presse, chacun armé de son témoignage, de ses blessures et de ses humiliations aux mains de l'État.
On soupçonne que ce n'est pas ce que les conservateurs espéraient pour l'automne, un affrontement avec des vétérans et un ancien colonel qui n'a plus rien à perdre. Mais ils récoltent ce qu'ils ont semé. Et ils sont même chanceux de ne pas avoir aussi les victimes d'actes criminels sur le dos.
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L'ancien ombudsman des victimes d'actes criminels, Steve Sullivan, est parti sans faire de vagues à la fin avril, mais il n'est pas resté muet pour autant. Dans une lettre envoyée au ministre, cet ancien militant pour les droits des victimes a noté qu'on avait trouvé des fonds pour agrandir les prisons alors qu'on rognait les budgets accordés aux programmes destinés aux victimes. (Cette année, le budget du bureau de l'ombudsman augmentera d'à peine 1,08 % et les subventions et contributions pour l'Initiative sur les victimes d'actes criminels diminueront de 41 et 34 % respectivement. Pour les prisons, on parle de milliards supplémentaires d'ici cinq ans.)
De plus, le poste de M. Sullivan est resté vacant pendant trois mois et demi. Sa remplaçante, l'ex-policière Sue O'Sullivan, a été nommée en juin, mais n'est entrée en fonction qu'avant-hier. Elle rencontrera la presse pour la première fois aujourd'hui en compagnie du ministre de la Justice, Rob Nicholson. Malgré les budgets racornis, le gouvernement a quand même réussi, grâce à sa litanie de projets de loi en matière de justice, à garder les victimes de son côté. Mais est-ce que cela durera?
Le gouvernement veut bien paraître auprès des victimes et des vétérans, deux groupes qu'il aime faire parader à ses conférences de presse et ses incessantes cérémonies du souvenir. Mais en refusant d'assumer jusqu'au bout la présence de ces ombudsmans — avec leurs critiques, reproches et rappels à l'ordre, et les correctifs qui en découlent —, il donne l'impression que son engagement n'en est qu'un de façade.
Et ça, les anciens militaires présents hier à la conférence de presse ne l'acceptent pas. Tous ont dit être des hommes en colère et leur révolte pourrait n'être que le début d'un très vilain rêve pour les conservateurs.
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