Un monde sans image
Publié : lun. sept. 06, 2010 2:32 pm
Un monde sans visage
06/09/2010 05h05
Richard Martineau
La semaine prochaine, l'écrivain français Philippe Claudel (Les âmes grises, Le rapport Brodeck) sortira son tout dernier livre,
L'enquête, un polar existentiel qui se déroule dans un monde kafkaïen.
Pour l'occasion, Claudel a accordé une entrevue passionnante à l'hebdomadaire L'Express.
LE LABYRINTHE
"J'ai l'impression d'avoir perdu le mode d'emploi du monde, d'être devant une sorte de machine dont je n'ai plus la notice, dit-il. Cela peut être d'ordre très pratique, comme lorsque j'essaie de m'y retrouver dans les méandres d'opérateurs téléphoniques ou de serveurs Internet auxquels je demande de modifier mon abonnement..."
"J'ai le sentiment de parler à des standards électroniques, des voix de synthèse. Je n'arrive plus à savoir vers qui je dois me tourner pour avoir une réponse, un regard. Je ressens cette même absence d'interlocuteur dans le domaine politique..."
"La complexité de nos technologies et de nos systèmes financiers, de nos entreprises sans visage et de nos conseils d'administration mystérieux fait que plus personne ne peut comprendre l'assemblage global."
OÙ LOGE LE POUVOIR ?
Claudel a parfaitement raison. Plus ça va, plus l'homme se sent impuissant face à la complexité et à l'abstraction du monde.
Prenez le monde du travail.
Avant, les entreprises étaient à échelle humaine, les travailleurs connaissaient leur patron, ils pouvaient lui parler, le croiser à la cafétéria.
Les dirigeants d'entreprise participaient à la vie de leur collectivité.
Aujourd'hui, comme dit Philippe Claudel, "on a affaire à des systèmes, des flux d'informations, des transferts de capitaux, des sociétés enchevêtrées..."
On ne connaît plus l'origine exacte des produits que nous consommons.
Avant, le pouvoir était identifiable. "Quand le serf se faisait taper dessus, il savait par qui, explique l'écrivain. Aujourd'hui, on ne sait plus à qui présenter ses doléances. Aux dirigeants? À soi-même? À Dieu?"
UNE COURSE D'OBSTACLES
Le monde ressemble de plus en plus à un labyrinthe.
Qui comprend l'affaire Madoff ou les causes de la dernière crise économique? Le système économique est devenu tellement complexe que même les spécialistes s'y perdent.
C'est comme s'il n'y avait plus personne dans le cockpit. Comme si le pouvoir logeait partout et nulle part à la fois.
Plus moyen de parler à une personne responsable. On vous met toujours en attente. Faites le 1, faites le 2, votre appel est important, entrez votre code, appuyez sur le dièse, revenez en arrière, chaque tentative d'entrer en contact avec un décideur ressemble à une course d'obstacles sans fin, on ne voit jamais le bout et l'on finit toujours par raccrocher, frustré et épuisé.
Ou lorsqu'on réussit enfin à parler à une personne en chair et en os, c'est un sous-traitant qui travaille dans un mégacentre d'appel à Bombay et qui n'a jamais mis les pieds dans l'entreprise que vous tentez désespérément de joindre.
VERS DIEU
L'homme a perdu pied. On n'a plus la maîtrise de rien. Même la politique ressemble à un organigramme délirant.
Pas étonnant que la religion fasse un retour en force. Vers qui se tourner quand plus personne ne nous écoute?
Tant qu'à vivre dans un monde abstrait, aussi bien parler à la plus abstraite des créations, c'est-à-dire Dieu.
Il ne nous répond pas? Qu'importe ! Le monde réel n'est pas moins sourd...
Lien:
http://lejournaldemontreal.canoe.ca/jou ... 50547.html" onclick="window.open(this.href);return false;
06/09/2010 05h05
Richard Martineau
La semaine prochaine, l'écrivain français Philippe Claudel (Les âmes grises, Le rapport Brodeck) sortira son tout dernier livre,
L'enquête, un polar existentiel qui se déroule dans un monde kafkaïen.
Pour l'occasion, Claudel a accordé une entrevue passionnante à l'hebdomadaire L'Express.
LE LABYRINTHE
"J'ai l'impression d'avoir perdu le mode d'emploi du monde, d'être devant une sorte de machine dont je n'ai plus la notice, dit-il. Cela peut être d'ordre très pratique, comme lorsque j'essaie de m'y retrouver dans les méandres d'opérateurs téléphoniques ou de serveurs Internet auxquels je demande de modifier mon abonnement..."
"J'ai le sentiment de parler à des standards électroniques, des voix de synthèse. Je n'arrive plus à savoir vers qui je dois me tourner pour avoir une réponse, un regard. Je ressens cette même absence d'interlocuteur dans le domaine politique..."
"La complexité de nos technologies et de nos systèmes financiers, de nos entreprises sans visage et de nos conseils d'administration mystérieux fait que plus personne ne peut comprendre l'assemblage global."
OÙ LOGE LE POUVOIR ?
Claudel a parfaitement raison. Plus ça va, plus l'homme se sent impuissant face à la complexité et à l'abstraction du monde.
Prenez le monde du travail.
Avant, les entreprises étaient à échelle humaine, les travailleurs connaissaient leur patron, ils pouvaient lui parler, le croiser à la cafétéria.
Les dirigeants d'entreprise participaient à la vie de leur collectivité.
Aujourd'hui, comme dit Philippe Claudel, "on a affaire à des systèmes, des flux d'informations, des transferts de capitaux, des sociétés enchevêtrées..."
On ne connaît plus l'origine exacte des produits que nous consommons.
Avant, le pouvoir était identifiable. "Quand le serf se faisait taper dessus, il savait par qui, explique l'écrivain. Aujourd'hui, on ne sait plus à qui présenter ses doléances. Aux dirigeants? À soi-même? À Dieu?"
UNE COURSE D'OBSTACLES
Le monde ressemble de plus en plus à un labyrinthe.
Qui comprend l'affaire Madoff ou les causes de la dernière crise économique? Le système économique est devenu tellement complexe que même les spécialistes s'y perdent.
C'est comme s'il n'y avait plus personne dans le cockpit. Comme si le pouvoir logeait partout et nulle part à la fois.
Plus moyen de parler à une personne responsable. On vous met toujours en attente. Faites le 1, faites le 2, votre appel est important, entrez votre code, appuyez sur le dièse, revenez en arrière, chaque tentative d'entrer en contact avec un décideur ressemble à une course d'obstacles sans fin, on ne voit jamais le bout et l'on finit toujours par raccrocher, frustré et épuisé.
Ou lorsqu'on réussit enfin à parler à une personne en chair et en os, c'est un sous-traitant qui travaille dans un mégacentre d'appel à Bombay et qui n'a jamais mis les pieds dans l'entreprise que vous tentez désespérément de joindre.
VERS DIEU
L'homme a perdu pied. On n'a plus la maîtrise de rien. Même la politique ressemble à un organigramme délirant.
Pas étonnant que la religion fasse un retour en force. Vers qui se tourner quand plus personne ne nous écoute?
Tant qu'à vivre dans un monde abstrait, aussi bien parler à la plus abstraite des créations, c'est-à-dire Dieu.
Il ne nous répond pas? Qu'importe ! Le monde réel n'est pas moins sourd...
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