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Le mythe de l’État fantôme

Publié : jeu. févr. 10, 2011 11:53 am
par .anthurium.
Le mythe de l’État fantôme
08/02/2011
Le « capitalisme débridé », la dérèglementation et l’absence de l’État sont-ils responsables du pétrin dans lequel se retrouvent les États-Unis aujourd’hui?

Ce serait une explication trop simple, dit Pierre Lemieux, économiste et professeur associé à l’Université du Québec en Outaouais, dans son livre Une crise peut en cacher une autre.

Cet ouvrage, fort documenté, est une mine d’or pour ceux qui préfèrent les chiffres et les faits aux raccourcis émotionnels qui foisonnent sur ce sujet. En particulier, Lemieux déboulonne, chiffres à l’appui, le mythe du « laisser-faire » américain. (Transparence : je connais personnellement Pierre Lemieux, bien que très peu.)

Le « siècle de l’État »

La part de l’État dans l’économie a explosé au cours du 20e siècle. Elle a quadruplé partout dans le monde, et triplé aux États-Unis.

« À la veille de la récente récession, plus du tiers de ce que les Américains produisaient était détourné vers les coffres de l’État, me précise Pierre Lemieux. Au Québec, c’est environ 40 à 45 % selon les années. La différence est moindre qu’on le croit. »

Difficile de trouver une activité non réglementée aux États-Unis, écrit Lemieux, qui est aussi Senior Fellow à l’Institut économique de Montréal. Le Federal Register, qui contient les textes de loi au niveau fédéral, comptait 75 000 pages en 2007. Un quart de million de bureaucrates fédéraux appliquent la législation fédérale. S’ajoutent à cela les règlementations des États et des administrations locales.

« Si on mesure les budgets réglementaires en dollars constants de 2000, la réglementation a été multipliée par 15 entre 1960 et 2007. Une croissance annuelle de 5,9 % », dit l’auteur.

[/surligneur]Mais les « cowboys » à Washington ont complètement déréglementé les banques, non? Non. « Les dépenses annuelles de réglementation bancaire et financière ont, en termes réels, été multipliées par 11 entre 1960 et 2007 », écrit Lemieux.[/surligneur]

Reagan et Bush, de gauche?

On dépeint souvent Ronald Reagan et George Bush comme des fanatiques de droite, qui auraient pressé le citron de l’État jusqu’à ce qu’il ne reste que les pépins. Au contraire. Durant les années 1980 — les « années Reagan » —, les dépenses publiques par habitant sont passées de 8000 $ à près de 12 000 $. En 2007, sous George Bush, elles dépassaient 15 000 $.

Ce n’est pas juste à cause des guerres, prévient l’auteur. « Les dépenses non militaires, qui représentent 80 % du budget, ont grimpé de 49,1 % durant les deux mandats de George W. Bush. »

Idem pour la paperasse. Pendant le règne de Bush, le recueil de textes réglementaires fédéraux s’est épaissi de 7000 pages! Sous Ronald Reagan (1981 à 1988), les budgets pour la réglementation économique ont grimpé de 22 %.

Oui, les banquiers américains ont pris trop de risques et ont aggravé la crise. Mais dire simplement que la crise économique résulte de la cupidité des banquiers de Wall Street est trompeur.

N’oublions pas, comme le documente Une crise peut en cacher une autre, que les banques américaines devaient, par la loi, prêter à des familles à risque. Que c’est la banque centrale (la Fed) qui a maintenu au plancher les taux d’intérêt, ouvrant la porte au crédit facile et au gonflement d’une bulle immobilière. Que si les banques prêtaient les yeux fermés, c’était en grande partie parce que Fannie Mae et Freddie Mac, deux sociétés semi-étatiques, achetaient une quantité énorme d’hypothèques aux banques, soulageant ces dernières du risque de défaut de ces prêts.

Les banquiers, ainsi que plusieurs acheteurs de maisons irresponsables, sont coupables. Mais les faits montrent que l’empreinte du gouvernement américain est partout dans cette crise. Comme elle l’est, d’ailleurs, dans son économie.

UNE CRISE PEUT EN CACHER UNE AUTRE, Pierre Lemieux, Les Belles Lettres, Paris, 257 pages

Re: Le mythe de l’État fantôme

Publié : jeu. févr. 10, 2011 12:14 pm
par .anthurium.
3 février 2011

Nathalie Elgrably-Lévy
Krach tombe à plat
Le Journal de Montréal, p. 27
Le documentaire Krach, produit par la Société Radio-Canada, prétend expliquer les causes de la crise économique mondiale. Selon le synopsis, Krach est « l'histoire de banquiers qui ont mené le monde à la ruine, de leaders qui ont lutté pour le sauver et de gens ordinaires qui ont tout perdu ». Le ton est donc donné.

J'ai visionné attentivement les trois premiers épisodes. Le documentaire serait excellent... si on pouvait faire fi des demi-vérités, des erreurs, des omissions, des a priori non fondés et, surtout de l'absence d'analyse économique sérieuse.

Le documentaire explique que la crise a pris naissance dans le secteur de l'immobilier, car dans un contexte de taux d'intérêt bas et de réglementation minimale, les banquiers, aveuglés par le profit, accordaient des prêts hypothécaires sans se soucier de la solvabilité de l'emprunteur. Bien que fort populaire, cette explication est toutefois bancale : si les banquiers sont cupides, n'auraient-ils pas dû plutôt refuser de prêter des fonds à des clients insolvables et ainsi éviter de perdre leur argent? C'est pourtant ce qu'ils avaient toujours fait, et c'est logique. Alors, pourquoi ont-ils adopté un comportement exactement à l'inverse de cette habitude?

Krach ne peut prétendre identifier les véritables architectes de la crise sans répondre à cette question.

Le documentaire se devait donc de préciser que les banques étaient soumises au Community Reinvestment Act, une loi américaine leur interdisant de décliner les clients à risque. Il se devait également de souligner que les taux d'intérêt ridiculement bas étaient l'oeuvre de la Réserve fédérale qui avait délibérément inondé le marché de liquidités dans le but d'inciter à la consommation. Mais surtout, il se devait de souligner le fait que si les banques prêtaient sans discernement, c'était essentiellement parce que l'État garantissait les prêts insolvables par l'entremise de Fannie Mae et Freddie Mac, deux sociétés créées par le gouvernement américain et qui avaient pour mission de permettre l'accès au crédit aux clients à risque.

Le documentaire accuse également la déréglementation du secteur financier. Par contre, à aucun moment n'est-il précisé de quelle déréglementation il s'agit. Et pour cause! Aucune déréglementation majeure n'a eu lieu. Certes, il y a eu la suppression graduelle du Glass-Steagall Act, une loi de 1933 imposant la séparation entre les banques de dépôt et les banques d'investissement.

Or, comment cette déréglementation aurait-elle bien pu causer la crise puisqu'elle ne faisait que concéder aux banques américaines les mêmes droits que ceux dont jouissent leurs rivales européennes ou canadiennes?

En revanche, il y a eu le Sarbanes-Oxley Act, une loi américaine adoptée en 2002 et imposant de nouvelles règles relatives à la comptabilité et à la transparence financière.

Et que dire des budgets alloués aux agences de réglementation – budgets qui augmentent depuis plus de 20 ans – et des 12 000 fonctionnaires payés pour faire respecter des centaines de milliers de pages de réglementation dont les marchés financiers font l'objet?

À plusieurs occasions, Krach déforme la réalité. Par exemple, lorsqu'il rend la crise responsable de la faillite de GM alors que les déboires financiers du constructeur sont légion depuis plus de 20 ans. Ou alors, lorsqu'il dénonce la construction du plus haut édifice du monde à Dubaï, alors que ce projet ne présente aucun lien avec les subprimes.

Selon la sagesse populaire, il ne faut pas croire tout ce qu'on voit à la télé. C'est particulièrement vrai pour Krach. Le documentaire est visuellement agréable. La réalisation est impeccable et le scénario, habilement conçu. Dommage qu'il désinforme en escamotant l'essentiel et en privant le téléspectateur d'une analyse économique honnête et rigoureuse!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l'Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Re: Le mythe de l’État fantôme

Publié : jeu. févr. 10, 2011 12:57 pm
par Chico_Fan
Ou alors, lorsqu'il dénonce la construction du plus haut édifice du monde à Dubaï, alors que ce projet ne présente aucun lien avec les subprimes.
Euhhh, le documentaire ne "dénonce" pas la construction de cet édifice en particulier, mais au boom immobilier complètement démesuré de la ville, dont on voit déjà les conséquences. N'importe qui de moindrement sensé peut voir que Dubai est une illusion qui va péter un jour, et ce plus haut édifice du monde est un symbole de cette démesure. Je me souviens pas du tout que le documentaire "dénonce" cet édifice en particulier (corrigez-moi si je me trompe).

J'ai visionné les épisodes et je trouve que c'est excellent comme documentaire. L'opinion de pleins de gens est exprimée donc forcément il ne faut pas tout gober, comme n'importe quel autre documentaire d'ailleurs.

Cette journaliste semble simplifier ou déformer ce qui a été dit, et on connait leur agenda face à Radio-Canada.

Re: Le mythe de l’État fantôme

Publié : jeu. févr. 10, 2011 2:33 pm
par GI.Joe
tu ne trompes pas. l'émission de dimanche portait beaucoup sur la bulle immobilière, à Dubai, en Italie, en Chine...