Les douze apôtres : "Un groupe bizarre, hétéroclite"

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Acrux
Seigneur de la Causerie
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Message par Acrux »

On connaît Pierre, Jacques, Thomas ou Judas... Mais que savons-nous vraiment aujourd'hui des "compagnons" de Jésus, dont les chrétiens célèbrent ce dimanche de Pâques la Résurrection ?


Nous nous représentons le plus souvent les disciples sous l'image d'Epinal du cercle des douze apôtres assemblés autour de Jésus. C'était un groupe bizarre, hétéroclite, où l'on trouve des noms à consonance grecque, comme Philippe et André, et des noms hébreux comme Jacques, Barthélemy, Thaddée ou Simon. De ces douze Galiléens, les noms apparaissent dans les Evangiles dès le début de la vie publique de Jésus. Ils sont tout le contraire d'une élite. Rien ne les qualifiait, d'un point de vue intellectuel ou religieux, pour suivre un prophète itinérant, sinon qu'ils ont rompu pour lui tous leurs liens sociaux, quitté la famille, la maison.

De certains, comme Thaddée, nous ne savons que le nom. D'autres, comme Pierre et Jacques, vont devenir chefs de file de la première génération chrétienne. Pierre - qui, comme Jésus, n'a rien écrit directement - a cédé à Jacques la direction de l'Eglise de Jérusalem pour amorcer en Syrie une mission ouverte aux non-juifs (les païens). Mais le missionnaire par excellence fut Paul, un contemporain de Jésus, mais qui ne fut pas son apôtre. Il fut son persécuteur avant de devenir son propagandiste.

Quant à Judas, son surnom, "l'Iscariote" est énigmatique : signifie-t-il qu'il vient de Karioth, une ville de Judée, ou qu'il faisait partie des sicaires, les hommes au poignard, comme l'historien Flavius Josèphe appelle les zélotes ? Visiblement, Jésus a voulu rassembler des hommes dépareillés, dont le seul point commun était qu'ils faisaient confiance à celui qui les appelait.


Mais pourquoi l'Eglise n'a-t-elle retenu que ces Douze et gardé ses distances avec d'autres figures des Evangiles, canoniques (officiels) autant qu'apocryphes qui, comme Marie-Madeleine ou Thomas, ont aussi suivi Jésus ?

En réalité, il y a eu trois cercles d'adhérents autour de Jésus. Une lecture attentive des Evangiles permet de les distinguer. Le premier est formé des Douze. Au deuxième cercle appartiennent des femmes dont, pour ma part, je ne doute pas qu'elles furent disciples : Marie de Magdala, Marie, soeur de Lazare, la femme de Chouza, l'intendant d'Hérode, Marie, mère de Jacques. Les Evangiles ont scrupuleusement conservé leurs noms. Elles suivent Jésus, participent à son enseignement et assistent le groupe de leurs biens. Et, surtout, ce sont elles qu'on retrouve au pied de la Croix et devant le tombeau vide à la Résurrection - alors que le cercle des Douze s'est volatilisé, par peur ou par sentiment d'échec. Le mérite de ces femmes est d'autant plus grand - et ce fut un scandale pour les contemporains de Jésus - qu'elles ont accepté de suivre sans leur mari un maître masculin, contrairement aux habitudes rabbiniques. Jésus a délibérément transgressé les conventions sociales de son temps.

Le troisième cercle est celui des sympathisants qui ont participé ponctuellement à l'activité de Jésus. Je citerai Lazare, qu'il a réanimé, Nicodème, Zachée, le chef des collecteurs d'impôts, Joseph d'Arimathie, qui demande à Pilate de recueillir le corps du Crucifié. Ceux-là ont suivi le groupe des Douze, mais sans accomplir ce geste symbolique de rupture avec les liens sociaux et familiaux.


Pourquoi l'Eglise a-t-elle occulté ce rôle des femmes pourtant égal à celui des apôtres hommes ? S'agit-il déjà d'une volonté de marginalisation ?

Ce qui frappe, c'est que ces femmes ne sont jamais appelées "disciples". Or cette lacune, de mon point de vue, tient à la linguistique : le terme "disciple", que Jésus et les premiers chrétiens ont emprunté à la tradition rabbinique, n'est utilisé - et pour cause - qu'au genre masculin. Le mot "disciple", en hébreu "talmid", en araméen "talmida", n'a pas de forme féminine... Ces femmes furent donc disciples de fait, mais pas de nom !


Et pourtant la tradition chrétienne n'a retenu que les hommes

...

Ce ne fut pas ainsi au commencement. Paul, qui n'était absolument pas l'antiféministe souvent décrit - quelle injustice crasse que cette étiquette de macho qui lui colle à la peau ! - a fondé des communautés de "disciples égaux", où hommes et femmes partagent la même dignité de croyants et les mêmes fonctions en Eglise. A la lecture de sa première lettre aux Corinthiens, on constate que les femmes prient, participent au culte et prophétisent à l'égal des hommes.


Or, déjà du temps de Paul, l'Eglise va progressivement se fixer sur le cercle des Douze...

Parce que ce cercle fait le lien entre les douze tribus d'Israël et le christianisme. Les Douze jouent dans la mémoire chrétienne un rôle idéologique premier : ils permettent à l'Eglise de revendiquer l'héritage des promesses d'Israël. Les Douze étaient un Israël en miniature, un micro-Israël, et c'est ainsi que l'a voulu Jésus : il voulait recomposer symboliquement l'Israël des douze tribus, pour signifier sa volonté de réformer la foi du peuple élu, à partir de douze individus choisis par grâce pure.


Que faire alors des personnages périphériques qu'on va redécouvrir dans les Evangiles apocryphes ?

On voit, d'un côté, la "grande Eglise", celle qui se forme au IIe siècle sous l'égide de Pierre et Paul, afficher l'image des Douze et se réclamer de cette tradition. Que restait-il, de l'autre, pour les communautés marginales, celles qui échappaient à l'orthodoxie naissante ? Je pense au judéo-christianisme crispé sur la tradition juive ou à une spiritualité gnostique axée sur le salut des âmes. Ces communautés vont, par force, exploiter les figures secondaires des Evangiles que sont Judas, Thomas, Nicodème ou les femmes disciples : Thècle, Maximilla, Marie-Madeleine. Dès le milieu du IIe siècle vont naître des Evangiles que la grande Eglise n'a pas reconnus et qui deviendront apocryphes (cachés) : Evangiles de Judas, de Thomas, de Marie, de Nicodème, des Hébreux, etc.

Ces personnages secondaires vont devenir des figures emblématiques dont s'emparent ces chrétientés marginales pour afficher leur compréhension du message et l'enraciner dans l'histoire de Jésus. Et nous touchons là le drame des femmes dans l'Eglise des premiers siècles. En luttant contre ce qu'elle estimait être des hérésies, la grande Eglise va non seulement lutter contre ces théologies jugées déviantes, mais elle va refuser la place éminente qu'accordaient aux femmes ces groupes marginaux. Et le cercle vicieux est amorcé : plus l'Eglise va se crisper sur des figures masculines, plus les chrétientés marginales vont mettre en avant des figures féminines, qui seront à leur tour combattues par l'orthodoxie.


D'où la fortune de Marie-Madeleine, jusqu'au Da Vinci Code...

Oui, après Marie, Marie de Magdala est la femme la plus célèbre du Nouveau Testament. Elle deviendra l'inspiratrice de nombreuses communautés dès le IIe siècle. Sa célébrité ne faiblira pas durant le Moyen Age et connaîtra une période de grâce dans la piété populaire des XVIIe et XVIIIe siècles. Ce qui lui vaut cet honneur, c'est qu'elle fait partie, avec Marie et la mère de Jacques, du groupe des trois femmes qui ont suivi Jésus au Calvaire et ont été témoins de sa crucifixion. François Bovon parle à son propos du "privilège pascal" de Marie-Madeleine. Je rappelle aussi qu'elle suit Jésus, qui l'a délivrée de sept démons.

Ce statut particulier justifie qu'elle ait pu avoir une relation affective particulière avec Jésus ; mais cela ne légitime pas, à son propos, les hypothèses de relations sexuelles avec lui, qui ne datent pas d'aujourd'hui - même si, je l'avoue, je ne serais nullement choqué si j'apprenais que Jésus a eu de l'attirance pour cette femme : je crois à l'Incarnation et, que je sache, l'Incarnation signifie que Dieu habite l'humanité dans son intégralité, sexualité comprise !

Revenons à Marie-Madeleine. Elle est devenue la figure de proue d'une mouvance gnostique, comme Thècle devient l'égérie d'une chrétienté missionnaire. Les gnostiques vont se greffer sur la rencontre dans le jardin racontée par l'Evangile de Jean entre Marie-Madeleine et Jésus ressuscité. Selon eux, Jésus aurait donné à Marie-Madeleine un enseignement privilégié, qui a été refusé aux premiers disciples. Mais il s'agit, comme souvent chez les apocryphes, d'une construction narrative visant à légitimer l'enseignement de ces traditions particulières. L'Evangile de Pierre, au IIe siècle, la qualifie déjà de "disciple du Seigneur". Elle est une figure de légitimité dans l'Evangile de Marie (IIe siècle), dans l'Evangile de Philippe (IVe siècle), dans l'Evangile secret de Marc. Mais, soyons clair : cette construction narrative n'a aucune prétention à l'historicité. Ces écrits ne prétendent pas reconstruire à plusieurs siècles de distance la vie du Jésus de l'histoire. Ils émanent plutôt d'une tradition chrétienne qui se cherche une légitimité et se trouve, par la fiction, une niche dans l'histoire de Jésus.


Comment expliquez-vous la fascination de l'homme moderne pour ces Evangiles apocryphes, non officiels ?

On assiste aujourd'hui à une exhumation sans précédent de la littérature apocryphe, due notamment à des recherches de réputation mondiale en France et en Suisse. Ce phénomène s'explique culturellement : il y a, d'une part, un vif intérêt pour la spiritualité dans toutes ses orientations, d'autre part un soupçon grandissant face à l'institution et au magistère. J'y vois une envie d'explorer sous leurs diverses facettes les potentialités d'interprétation qu'offre la tradition chrétienne, sans qu'un magistère vienne dicter, limiter ou interdire cette exploration.

Cette curiosité m'apparaît plutôt réjouissante, même si le soupçon systématique à l'égard de l'institution religieuse n'est guère productif. Mais il y a là une chance à saisir. Si la chrétienté parvenait à mieux accepter sa diversité, à reconnaître la part de vérité présente dans ses différentes composantes, elle serait mieux armée pour entrer dans le dialogue interreligieux que requiert urgemment le temps présent.


Propos recueillis par Henri Tincq --Message edité par Acrux le 2006-04-16 11:22:59--
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Rénatane
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Message par Rénatane »

C'est fascinant ce sujet  

D'ailleurs plusieurs de ces évangiles sont retranscrite sur internet....  
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bikeuse
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Message par bikeuse »

génial l'article    j'ai tjrs cru que l'Église avait traduit comme bon lui semblait.  Quand on y regarde de plus près, y en a plusieurs des lacunes dans la Bible pis l'évangile.  
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