Open water
Modérateur : Elise-Gisèle
OPEN WATER
Plongée en eau trouble
Murphy, Frédéric
C'est le cauchemar de tout amateur de plongée: s'apercevoir, en remontant à la surface, que le bateau qui devait l'attendre est disparu, le laissant seul au milieu de la mer.
Cette vision d'angoisse s'apprête à entrer dans la caboche de bien des cinéphiles avec l'arrivée du thriller Open Water. Et, mauvaise nouvelle pour les phobiques, ses créateurs ont tout fait- jusqu'à aller tourner en pleine mer, au milieu d'une cinquantaine de requins- pour dépeindre l'expérience de la manière la plus réaliste qui soit.
Le film est à peine sorti que la presse américaine le compare déjà à un " Blair Witch Project sur l'eau ". Tout comme son prédécesseur, Océan noir (en version française) est en effet un ouvrage d'artisanat, écrit, réalisé et monté par le New-Yorkais Chris Kentis et produit par sa femme, Laura Lau, au coût dérisoire de 130 000 $ (somme qui devient moins dérisoire lorsqu'il s'agit de son propre argent). Également comme le blockbuster-surprise de 1999, ce nouveau film à frissons s'est d'abord illustré au Festival de Sundance avant de bénéficier d'une sortie d'envergure; on parle de 2000 écrans juste chez nos voisins du Sud.
Le cinéaste, qui a obtenu 2,5 millions $ du distributeur Lions Gate pour son drame à quat'sous, commence à peine à s'habituer à toute cette attention. " Ç'a été un véritable baptême du feu, avoue Kentis à propos du battage qui a entouré son long métrage, produit dans ses temps libres. Mais nous sommes aux anges: nous n'avions jamais imaginé provoquer une telle réaction. " Joint mardi à Vancouver, le monteur de films et de bandes-annonces se préparait à s'envoler pour San Francisco dans l'après-midi, entre des arrêts à New York et Madrid. Ah, la vie de vedette!
Open Water fait partie d'un nombre croissant d'oeuvres tournées en vidéo numérique à se tailler une place dans le circuit commercial. Kentis dit avoir voulu profiter de la flexibilité offerte par le support numérique pour concevoir un projet dans un contexte " familial ".
" Laura (Lau) et moi étions excités par cette technologie et par ce qu'en faisaient des cinéastes talentueux comme Mike Figgis et ceux de Dogme 95 (un collectif prônant la simplicité volontaire au cinéma), explique Kentis, qui avait réalisé un premier long métrage plus traditionnel en 1997. C'était pour nous un moyen de revenir à l'essentiel et de nous dispenser de l'obligation d'avoir une équipe technique. "
Voyage tous risques
Pour la terrifiante prémisse de son film, Chris Kentis s'est inspiré d'un non moins terrifiant fait vécu: il y a six ans et demi, un couple de plongeurs américains a été carrément oublié au large de la côte australienne par le personnel de son bateau. Une erreur dans le calcul du nombre de passagers aurait été à l'origine de la double disparition.
Aux yeux de Kentis, mordu de plongée sous-marine, cette histoire simple s'harmonisait bien avec le cadre de production rudimentaire qu'il avait choisi. Il trouvait par ailleurs intéressant de placer ses personnages dans une situation où ils n'ont plus de contrôle sur leur environnement, " à une époque où l'homme fait souvent preuve d'arrogance vis-à-vis de la nature ".
Le scénariste a tenu à romancer ses héros et à ne pas identifier les lieux, par respect pour les gens impliqués dans la tragédie de 1998. " De toute façon, les détails de leur vie ne nous importaient pas, tranche-t-il. Ce qui nous importait, c'était qu'un tel incident se soit produit, et ce que ç'a dû être de se retrouver seul en mer. "
Dans la gueule du requin
La petite équipe de production (six personnes, bien souvent) a pu en avoir un aperçu au moment du tournage, qui s'est déroulé en pleine mer, dans les environs des Antilles et au large du Mexique. Pourquoi ne pas avoir utilisé un studio? " À partir du moment où nous avons décidé de filmer en vidéo numérique, nous avons signé un contrat global, répond le réalisateur. Tous nos choix devaient tirer avantage du réalisme et de l'immédiateté du numérique. "
Dans cet esprit, Kentis et Lau ont confié les premiers rôles à deux comédiens inconnus, Blanchard Ryan et Daniel Travis, " pour créer un sentiment d'incertitude sur la suite des choses, qui n'aurait pas été le même avec Julia Roberts et George Clooney (dans la peau des touristes infortunés) ".
Le tandem d'acteurs a passé pas moins de 200 heures dans l'eau jusqu'aux épaules, dont les toutes premières à proximité de 45 à 50 requins en chair et en... dents! Prudents, Kentis et Lau ont cependant recruté des experts des squales pour éviter que l'aventure vire au fait divers. " Ces spécialistes ont l'habitude de tourner avec des requins, fait valoir le metteur en scène. Ils connaissent leur comportement, même si ces requins n'étaient pas apprivoisés. " Les interprètes étaient de surcroît protégés par des cottes de maille sous leur combinaison.
Pour diriger les mouvements des bêtes, les cinéastes et les experts leur lançaient des morceaux de thon ensanglanté, parfois juste à côté des comédiens. Kentis, immergé lui aussi, était responsable des prises tournées à la surface et sous l'eau, tandis que Laura Lau filmait à partir d'une plateforme flottante.
Blanchard Ryan en a été quitte pour une morsure de barracuda. C'est toutefois une blessure subie par sa covedette qui a suspendu le tournage pendant près d'un an. Daniel Travis s'est en effet abîmé un genou... en jouant au volley-ball! Comme quoi il y a plus dangeureux que de taquiner le requin.
Chris Kentis ne regrette pas du tout de s'être passé d'effets spéciaux pour son film de " péril en mer ". " De toute façon, je crois que les images conçues par ordinateur sont utilisées bien plus souvent qu'elles devraient l'être au cinéma, fait-il remarquer. Ça fait un bon bout de temps que les spectateurs n'ont pas vu les vraies choses. "
Et pour montrer les " vraies choses ", on sait désormais sur qui compter.
Le Devoir
WEEK-END CINÉMA, vendredi 20 août 2004, p. b3
Open Water
Trois sous et quelques bonnes idées
Réalisation et scénario: Chris Kentis. Avec Blanchard Ryan et Daniel Travis. Image: Chris Kentis et Laura Lau. Musique: Graeme Revell.
Tremblay, Odile
L'artisanal Open Water, un peu comme The Blair Witch Project, est avant tout un phénomène. On y démontre qu'il est parfois possible de faire un film avec trois sous, quelques bonnes idées, sans effets spéciaux ni vedettes. Et de le voir atterrir sur de grands écrans de cinéma après avoir fait jaser au Festival de Sundance.
L'Américain Chris Kentis a scénarisé et réalisé le film, coproduit et filmé avec son épouse Laura Lau. S'appuyant sur un fait véridique, Open Water raconte les malheurs d'un couple de plongeurs amateurs en vacances, oubliés par leur groupe au beau milieu de l'océan, en proie à toutes les affres.
Tourné les fins de semaine avec les deux interprètes immergés à vingt milles des côtes et des requins plus ou moins dressés nageant à leurs côtés, le film a été une aventure aquatique éprouvante, collée à l'esprit d'une oeuvre amateur, certes, avec peu d'originalité de facture, sans prouesses cinématographiques, mais sachant préserver son suspense au delà des ruptures de rythme.
Malgré des rebondissements psychologiques, le décor quasi unique de l'océan à perte de vue entraîne ses longueurs. L'eau devient la matière même de l'angoisse, davantage menaçante par son clapotis et son omniprésence que par les requins qui rôdent en affûtant leurs crocs.
De l'espoir à la colère, de la tendresse à la haine et au reproche, avec la peur au ventre, le couple traversera toute la gamme des émotions et des sentiments. Ce sont les comportements humains en état de stress face au danger qui intéressent le réalisateur. Chris Kentis aurait d'ailleurs pu creuser ces gammes d'expression pour en extraire tout leur poids de tragédie. Open Water demeure en surface des eaux comme des sentiments, et The Blair Witch Project enfonçait le clou de la peur bien plus profondément.
Performances d'acteurs? Pas vraiment. Blanchard Ryan, qui incarne la jeune femme, se révèle plus intense que son compagnon, joué par un Daniel Travis sans grande substance. Cela étant, ils s'en tirent aussi bien qu'un tas d'acteurs hollywoodiens aussi médiocres qu'archipayés. Open Water ne séduira pas les foules autant que le plus percutant Blair Witch Project, auquel on le compare spontanément, mais le film tient la route malgré ses faiblesses et suscite chez le spectateur un vrai désarroi. Il offre par la bande une petite leçon d'humilité aux grosses productions, pas toujours capables d'en faire autant avec tous leurs millions.
Plongée en eau trouble
Murphy, Frédéric
C'est le cauchemar de tout amateur de plongée: s'apercevoir, en remontant à la surface, que le bateau qui devait l'attendre est disparu, le laissant seul au milieu de la mer.
Cette vision d'angoisse s'apprête à entrer dans la caboche de bien des cinéphiles avec l'arrivée du thriller Open Water. Et, mauvaise nouvelle pour les phobiques, ses créateurs ont tout fait- jusqu'à aller tourner en pleine mer, au milieu d'une cinquantaine de requins- pour dépeindre l'expérience de la manière la plus réaliste qui soit.
Le film est à peine sorti que la presse américaine le compare déjà à un " Blair Witch Project sur l'eau ". Tout comme son prédécesseur, Océan noir (en version française) est en effet un ouvrage d'artisanat, écrit, réalisé et monté par le New-Yorkais Chris Kentis et produit par sa femme, Laura Lau, au coût dérisoire de 130 000 $ (somme qui devient moins dérisoire lorsqu'il s'agit de son propre argent). Également comme le blockbuster-surprise de 1999, ce nouveau film à frissons s'est d'abord illustré au Festival de Sundance avant de bénéficier d'une sortie d'envergure; on parle de 2000 écrans juste chez nos voisins du Sud.
Le cinéaste, qui a obtenu 2,5 millions $ du distributeur Lions Gate pour son drame à quat'sous, commence à peine à s'habituer à toute cette attention. " Ç'a été un véritable baptême du feu, avoue Kentis à propos du battage qui a entouré son long métrage, produit dans ses temps libres. Mais nous sommes aux anges: nous n'avions jamais imaginé provoquer une telle réaction. " Joint mardi à Vancouver, le monteur de films et de bandes-annonces se préparait à s'envoler pour San Francisco dans l'après-midi, entre des arrêts à New York et Madrid. Ah, la vie de vedette!
Open Water fait partie d'un nombre croissant d'oeuvres tournées en vidéo numérique à se tailler une place dans le circuit commercial. Kentis dit avoir voulu profiter de la flexibilité offerte par le support numérique pour concevoir un projet dans un contexte " familial ".
" Laura (Lau) et moi étions excités par cette technologie et par ce qu'en faisaient des cinéastes talentueux comme Mike Figgis et ceux de Dogme 95 (un collectif prônant la simplicité volontaire au cinéma), explique Kentis, qui avait réalisé un premier long métrage plus traditionnel en 1997. C'était pour nous un moyen de revenir à l'essentiel et de nous dispenser de l'obligation d'avoir une équipe technique. "
Voyage tous risques
Pour la terrifiante prémisse de son film, Chris Kentis s'est inspiré d'un non moins terrifiant fait vécu: il y a six ans et demi, un couple de plongeurs américains a été carrément oublié au large de la côte australienne par le personnel de son bateau. Une erreur dans le calcul du nombre de passagers aurait été à l'origine de la double disparition.
Aux yeux de Kentis, mordu de plongée sous-marine, cette histoire simple s'harmonisait bien avec le cadre de production rudimentaire qu'il avait choisi. Il trouvait par ailleurs intéressant de placer ses personnages dans une situation où ils n'ont plus de contrôle sur leur environnement, " à une époque où l'homme fait souvent preuve d'arrogance vis-à-vis de la nature ".
Le scénariste a tenu à romancer ses héros et à ne pas identifier les lieux, par respect pour les gens impliqués dans la tragédie de 1998. " De toute façon, les détails de leur vie ne nous importaient pas, tranche-t-il. Ce qui nous importait, c'était qu'un tel incident se soit produit, et ce que ç'a dû être de se retrouver seul en mer. "
Dans la gueule du requin
La petite équipe de production (six personnes, bien souvent) a pu en avoir un aperçu au moment du tournage, qui s'est déroulé en pleine mer, dans les environs des Antilles et au large du Mexique. Pourquoi ne pas avoir utilisé un studio? " À partir du moment où nous avons décidé de filmer en vidéo numérique, nous avons signé un contrat global, répond le réalisateur. Tous nos choix devaient tirer avantage du réalisme et de l'immédiateté du numérique. "
Dans cet esprit, Kentis et Lau ont confié les premiers rôles à deux comédiens inconnus, Blanchard Ryan et Daniel Travis, " pour créer un sentiment d'incertitude sur la suite des choses, qui n'aurait pas été le même avec Julia Roberts et George Clooney (dans la peau des touristes infortunés) ".
Le tandem d'acteurs a passé pas moins de 200 heures dans l'eau jusqu'aux épaules, dont les toutes premières à proximité de 45 à 50 requins en chair et en... dents! Prudents, Kentis et Lau ont cependant recruté des experts des squales pour éviter que l'aventure vire au fait divers. " Ces spécialistes ont l'habitude de tourner avec des requins, fait valoir le metteur en scène. Ils connaissent leur comportement, même si ces requins n'étaient pas apprivoisés. " Les interprètes étaient de surcroît protégés par des cottes de maille sous leur combinaison.
Pour diriger les mouvements des bêtes, les cinéastes et les experts leur lançaient des morceaux de thon ensanglanté, parfois juste à côté des comédiens. Kentis, immergé lui aussi, était responsable des prises tournées à la surface et sous l'eau, tandis que Laura Lau filmait à partir d'une plateforme flottante.
Blanchard Ryan en a été quitte pour une morsure de barracuda. C'est toutefois une blessure subie par sa covedette qui a suspendu le tournage pendant près d'un an. Daniel Travis s'est en effet abîmé un genou... en jouant au volley-ball! Comme quoi il y a plus dangeureux que de taquiner le requin.
Chris Kentis ne regrette pas du tout de s'être passé d'effets spéciaux pour son film de " péril en mer ". " De toute façon, je crois que les images conçues par ordinateur sont utilisées bien plus souvent qu'elles devraient l'être au cinéma, fait-il remarquer. Ça fait un bon bout de temps que les spectateurs n'ont pas vu les vraies choses. "
Et pour montrer les " vraies choses ", on sait désormais sur qui compter.
Le Devoir
WEEK-END CINÉMA, vendredi 20 août 2004, p. b3
Open Water
Trois sous et quelques bonnes idées
Réalisation et scénario: Chris Kentis. Avec Blanchard Ryan et Daniel Travis. Image: Chris Kentis et Laura Lau. Musique: Graeme Revell.
Tremblay, Odile
L'artisanal Open Water, un peu comme The Blair Witch Project, est avant tout un phénomène. On y démontre qu'il est parfois possible de faire un film avec trois sous, quelques bonnes idées, sans effets spéciaux ni vedettes. Et de le voir atterrir sur de grands écrans de cinéma après avoir fait jaser au Festival de Sundance.
L'Américain Chris Kentis a scénarisé et réalisé le film, coproduit et filmé avec son épouse Laura Lau. S'appuyant sur un fait véridique, Open Water raconte les malheurs d'un couple de plongeurs amateurs en vacances, oubliés par leur groupe au beau milieu de l'océan, en proie à toutes les affres.
Tourné les fins de semaine avec les deux interprètes immergés à vingt milles des côtes et des requins plus ou moins dressés nageant à leurs côtés, le film a été une aventure aquatique éprouvante, collée à l'esprit d'une oeuvre amateur, certes, avec peu d'originalité de facture, sans prouesses cinématographiques, mais sachant préserver son suspense au delà des ruptures de rythme.
Malgré des rebondissements psychologiques, le décor quasi unique de l'océan à perte de vue entraîne ses longueurs. L'eau devient la matière même de l'angoisse, davantage menaçante par son clapotis et son omniprésence que par les requins qui rôdent en affûtant leurs crocs.
De l'espoir à la colère, de la tendresse à la haine et au reproche, avec la peur au ventre, le couple traversera toute la gamme des émotions et des sentiments. Ce sont les comportements humains en état de stress face au danger qui intéressent le réalisateur. Chris Kentis aurait d'ailleurs pu creuser ces gammes d'expression pour en extraire tout leur poids de tragédie. Open Water demeure en surface des eaux comme des sentiments, et The Blair Witch Project enfonçait le clou de la peur bien plus profondément.
Performances d'acteurs? Pas vraiment. Blanchard Ryan, qui incarne la jeune femme, se révèle plus intense que son compagnon, joué par un Daniel Travis sans grande substance. Cela étant, ils s'en tirent aussi bien qu'un tas d'acteurs hollywoodiens aussi médiocres qu'archipayés. Open Water ne séduira pas les foules autant que le plus percutant Blair Witch Project, auquel on le compare spontanément, mais le film tient la route malgré ses faiblesses et suscite chez le spectateur un vrai désarroi. Il offre par la bande une petite leçon d'humilité aux grosses productions, pas toujours capables d'en faire autant avec tous leurs millions.