Ëtes-vous un créatif culturel?

[tuberale]

C'est la vie! - Marginal en masse


Les créatifs culturels révolutionnent la donne


Josée Blanchette
Édition du vendredi 22 juillet 2005



Ça ne date pas d'hier, je me suis toujours sentie un chouïa marginale. Plus jeune, c'était un mélange de bouddhisme, de tarot, de thérapie, d'accoutrements théâtraux, de cours de tai-chi, sans compter mon lait de soja maison (oui, oui, ce goût inimitable de gypse diluée a une recette) qui suffisaient à me situer en orbite sur Google Earth.





Angelina Jolie ne se contente pas d’être une actrice. L’ambassadrice de bonne volonté du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés est l’incarnation mythique de la créative culturelle: à la fois intelligente, belle et rebelle, volant au secours des plus démunis et adoptant ses enfants tant au Cambodge (comme le petit Maddox, que l’on voit sur la photo) qu’en Éthiopie. Source: Newscom


  Puis ce fut mon bureau à la maison, l'amour des antiquités québécoises alors que la mélamine et Ikea emballaient notre mémoire collective, cette passion hédoniste pour la cuisine et le chocolat noir, cette sainte horreur du magasinage comme loisir urbain, cette affection pour les contes et la tradition orale, l'amour immodéré des vieillards et de leur sagesse, les confitures comme activité spirituelle et les fréquentations médicales alternatives jugées douteuses pour une fille de médecin.

Tout ça composait un univers assez disparate et divertissant il y a vingt ans. Aujourd'hui, ça relève du lieu commun, de la pensée unique et de l'ordinaire du plateau de Tout le monde en parle.

Lonely Planet

En y repensant bien, je me suis toujours sentie seule, me voici plongée dans le même jacuzzi que 50 millions d'Américains. Cinquante-cinq millions si on y ajoute les Canadiens; l'équivalent d'un pays aussi peuplé que la France, d'individus «marginaux» qui ont sensiblement le même style de vie, les même valeurs, et qui se croient seuls au monde. Non, non, ce ne sont pas que des boomers revenus de tout, on y trouve des gens de toutes les générations et de toutes les couches de la société : des mamans à la maison, des étudiants en grève, des pigistes, des entrepreneurs, des visionnaires, des artistes, des acupuncteurs, des agriculteurs, des néo quelque chose en tout cas.



Je viens de terminer la lecture de The Cultural Creatives, un essai sociologique fouillé, basé sur 14 années d'entrevues, 100 000 questionnaires et des centaines de groupes-témoins, du sociologue Paul Ray et de la psychologue Sherry Ruth Anderson. Paru en l'an 2000 mais passé à peu près inaperçu chez nous, ce livre offre des airs de parenté lointaine avec la «Creative Class» de l'économiste Richard Florida, qui a repris le même dénominateur mais parle plutôt des éléments créateurs qui dynamisent une société et des conditions pour être une ville qui attire ce groupe «créatif» et prospère.


Le Stéphan Bureau nouvelle mouture est un exemple scintillant de créatif culturel qui assume ses remises en question et ses prises de distance face à la société qu’il anime.
Agence Reuters

Mon ami-papi Normand m'avait offert The Cultural Creatives à sa parution et je l'ai laissé sommeiller sur une tablette de mon bureau toutes ces années, tantôt le feuilletant, tantôt me promettant de le lire. Les créatifs culturels sont comme ça; ils ne sautent pas sur les tendances, ils attendent l'inspiration. Ce livre, beaucoup plus que Bobos au Paradis de David Brooks (la naissance des bourgeois bohémiens en Amérique), me raconte mon histoire. Je me sens comme une orpheline qui vient de découvrir qu'elle a une famille nombreuse ou qu'elle fait partie d'une secte. Avec un peu de patience, je vais enfin pouvoir acheter le bonheur chez Pier Import.



«Il n'y a pas de grande réalisation qui n'ait été d'abord une utopie»

Cette phrase, ce pourrait être leur devise. Les créatifs culturels (CC) sont les premiers écolos-bas-de-laine d'hier, les rescapés du radeau de Greenpeace dont on se moquait dans l'océan. Plus personne n'a envie de rire. Apparus avec les mouvements contestataires des années 60, les CC ont toujours été vulnérables parce qu'ils s'attaquaient à la culture dominante véhiculée par les «modernes», ceux qui votent Bush et Charest, grimpent les échelons, travaillent fort, dépensent l'argent qu'ils gagnent et font rouler l'économie sans remettre en question le modèle industriel, urbain et commercial qui leur promet le bonheur dans la saveur du jour. Les «modernes», c'est le «hot and a lot», «bigger is better», «time is money» qui ont fait la fierté du peuple américain depuis 200 ans.

Les créatifs culturels, eux, incarnent une sous-culture qui a tranquillement grugé la part des traditionalistes, en chute libre depuis quelques décennies. Ces derniers se sont accrochés aux valeurs fondatrices de l'Amérique : la famille, l'Église, la communauté, les rôles traditionnels, my country, my gun, strangers go home, alléluia, alléluia. On peut être certain d'y retrouver les Amish et les Mormons, beaucoup d'Afro-américains et d'hispanophones, moins scolarisés et moins payés.

Qu'en est-il des CC ? Si les traditionalistes on trait la vache et inventé le beurre, les modernes l'argent du beurre et la margarine, les créatifs culturels en ont retrouvé le goût et élevé un autel portatif au respect du mamelon sacré. Pensez Ben & Jerry.

Composés à 60 % de femmes, les CC adhèrent à des valeurs écologiques, sociales, féministes et féminines, voire spirituelles, achètent davantage de livres et de magazines comme Utne ou Vegetarian Times, aiment les histoires à la première personne dans les médias tout en demeurant très critiques face à l'information. Ils consomment peu ou pas de télé, dévorent les produits culturels mais détestent la publicité pour enfants, désirent davantage d'authenticité dans le commerce et répugnent tout ce qui est de mauvaise qualité, jetable, cliché ou à la mode. Les CC sont des consommateurs scrupuleux et lisent la liste d'ingrédients de leur crème glacée (même la Ben & Jerry, désormais fabriquée par une multinationale). Ce ne sont pas des techno geeks mais ils tissent des liens sur Internet en cherchant leur prochaine destination de voyage tantrique. Ne les traitez pas de «nouveaux-âgeux», ils le perçoivent comme une insulte et seulement 5 % d'entre eux le sont.

Étiquetés «foodies» (ils cuisinent et adorent découvrir de nouveaux produits, surtout naturels et bios), les CC sont très cocooning, ont souvent un bureau à la maison, conduisent une Volvo ou une Saturn, un scooter ou un vélo, deviennent coopérants le temps des vacances, font de l'écotourisme ou passent une semaine à méditer avec le moine Thich Nhat Hanh, ont un psy (sinon deux), croient à la médecine holistique et recherchent la sagesse sous toutes ses formes, y compris les plus ridées.



Sont-ce des saints ?

En terminant le livre de Ray et Anderson, et après avoir répondu au questionnaire qui déterminera si nous en sommes ou non, on se prend à penser que ces fameux créatifs culturels n'ont surtout pas inventé le monde mais contribuent à l'améliorer. Ils remettent les codes en question en cherchant à faire le pont entre une certaine sagacité du monde rural et l'impulsivité créatrice du tissu urbain, entre la foire du village et l'économie globale, entre l'artisanat et les nouvelles technologies, entre les guildes médiévales et les corporations internationales. À défaut de réécrire l'Histoire, ils en façonnent une autre, plus près du coeur des choses, à l'échelle humaine. Jusqu'à ce que d'autres marginaux, plus fins, plus jeunes, plus fous, débarquent avec une sous-culture qui viendra détrôner la leur.

En attendant, l'abonnement est gratuit.

cherejoblo@ledevoir.com

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La Life

De l'eau dans leur vin

J'apprends dans Intelligent Life (été 2005) que les Californiens mettent de l'eau dans leur vin. Trop d'alcool au goût des Américains et un secret bien gardé qui n'a pas transpiré dans le film Sideways.

Au sujet de Intelligent Life, on peut affirmer sans crainte que ses rédacteurs (The Economist) ont une vision de la vie qui appelle au dépassement de soi. Si vous prévoyez voyager dans l'espace sous peu, si vous voulez une vie jet-set avec résidence secondaire ou tertiaire ET avion privé pour une fraction du prix et sans les tracas, si vous pratiquez la course automobile pour vous détendre, si vous dansez le tango à Londres, Moscou et Paris le même mois, si vous voyagez toujours en première classe dans les Airbus d'Emirates (ils desservent les Émirats arabes unis et occupent le quatrième de couverture du magazine), si vous êtes ravie d'avoir perdu du poids grâce à une maladie incurable, si vous magasinez votre sac à couches Birkin de Hermès sur Internet, si vous êtes davantage concerné par l'économie d'essence que par le réchauffement de la planète, si vos investissements vous donnent le cancer de la prostate, voici une lecture tout à fait ciblée.

Un petit article nous apprend aussi que de plus en plus de cadres ont leur blogue pour se distinguer lors des entrevues d'embauches. Pas très fort sur le verbiage mais doués pour l'écrit ? Donner l'adresse de son blogue peut s'avérer payant sur un CV si l'alter ego Internet n'est pas trop compromettant.

Je viens de perdre toutes mes chances de promotions... et de caviar à bord d'Emirates.

www.economist.com/intelligentlife/

www.ledevoir.com/blog/joblo

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Noté : que le livre de Paul Ray et Sherry Ruth Anderson a été traduit en français sous le titre L'Émergence des créatifs culturels (éditions Yves Michel). Belle lecture de vacances entre deux polars. www.culturalcreatives.org

Loué : le film Kinsey, ce professeur qui a secoué la baraque aux États-Unis en publiant ses recherches sur la vie sexuelle des Américains à la fin des années 40. Un véritable créatif culturel avant l'heure, Alfred Kinsey a dû se battre avec le puritanisme et la religion, l'ignorance et la peur pour diffuser ses découvertes. Il a permis à des sous-cultures sexuelles de s'assumer et à sa femme de s'éclater !

Ressorti : le livre-CD du «conteu» Fred Pellerin. Si vous n'avez pas eu la chance de voir son dernier spectacle, rabattez-vous sur ce livre : Il faut prendre le taureau par les contes ! (Planète rebelle). De quoi animer les longues soirées d'été alors que la télé fait pitié (sauf pour le sourire dévastateur de l'animatrice France Beaudoin qui me fait l'effet d'un popsicle sur une canicule). Un peu de trad et d'harmonica accompagnent parfaitement la guimauve calcinée. Le son en moins, Fred vient aussi de publier un minuscule bouquin : Bois du thé fort, tu vas pisser drette ! (Sarrazine).

Découvert : les photos de l'artiste Gregory Colbert, dont l'expo itinérante (ashesandsnow.org) et son musée nomade viendra peut-être se balader à Montréal. Les photos «authentiques» de Colbert font le pont entre la nature et l'homme, tentent de démontrer que l'humain fait partie intégrante du monde animal et non l'inverse. Superbe hommage à la nature dans toute sa pureté.

Tombé : sur la revue trimestrielle Parabola (The Search for Meaning). On consacre ce numéro d'été au pouvoir de ne rien faire. Publié par le Society for the Study of Myth and Tradition, Parabola explore le matériel relié aux mythes, symboles, rituels, à l'art associé aux religions et cultures traditionnelles. Très Premières nations, bouddhiste de fin de semaine et complètement créatif culturel en quête d'une mythologie et de sens. Pour alimenter les réflexions en regardant pousser les cailloux.