Les enfants du cyberespace (2) - L'école débranchée

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tuberale
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La génération Internet
99 % des 12-17 ans fréquentent la Toile

Clairandrée Cauchy
Édition du samedi 20 et du dimanche 21 août 2005



Les ados ont vu le jour en même temps que le cyberespace et ont grandi avec lui. Cette génération est sans contredit la plus branchée: 89 % des 12-17 ans utilisent Internet régulièrement et 99 % y ont recours occasionnellement. Le Devoir amorce aujourd'hui une série sur leur univers, qui se poursuivra lundi et mardi.



- slt sv ? [Salut, ça va ?]

- oui toi

- ok

- c [C'est] pas cher le ciné 2d [today/aujourd'hui] on y va ?

- dakor [D'accord]

Voici le genre de conversation que tient Vincent Brunet avec ses amis lorsqu'il se connecte sur MSN [le logiciel de messagerie instantanée Messenger]. «Cela devient une habitude. Quand j'arrive chez nous, j'embarque sur l'ordi, je "chatte" [clavarde] avec une amie, je fais mon devoir de français, j'écoute la musique de Papa Roach et je regarde Musicworld. Quand j'ai terminé, je ferme mon cahier, j'éteins la télé et la musique et je continue à "chatter"», explique le garçon de 14 ans, qui traîne même son ordinateur portable en camping.

Si on trouve de tout sur Internet, on y trouve surtout ses amis, peut-on affirmer en paraphrasant le slogan publicitaire. Des mille usages du Net, c'est celui dédié à la communication interpersonnelle qui marque le plus le quotidien des adolescents, qui traversent une période d'intense socialisation. Ce «Web communicationnel» prend de plus en plus la forme de la messagerie instantanée, à laquelle ils se connectent dès qu'ils sont devant leur écran ou à proximité.

Né vers la fin des années 1990, cet outil a été popularisé chez les ados il y a trois ou quatre ans. Si Messenger [MSN] semble nettement le plus populaire, on retrouve également son équivalent Mac, i-chat, ainsi que le produit de Yahoo !.



La messagerie instantanée est en passe de devenir le mode de communication privilégié des adolescents, livrant une rude compétition au téléphone. Quelque 44 % des adolescents préfèrent cet outil pour communiquer avec leurs amis (45 % choisissent le téléphone), selon un sondage Ipsos-Reid réalisé auprès des jeunes Canadiens l'an dernier. Le courriel et la messagerie instantanée sont utilisés quotidiennement par 57 % des répondants de 12 à 17 ans et de façon hebdomadaire par 97 % d'entre eux. Un sondage québécois révèle par ailleurs que moins du quart des adultes ont recours à la messagerie instantanée.




Psychologue et professeur de communication à l'Université de Montréal, Luc Giroux observe que les jeunes ne se servent que d'une «région bien précise d'Internet», soit celle liée à la socialisation. «Ils utilisent MSN comme les jeunes d'hier utilisaient le téléphone à l'époque. Là, on retrouve une utilisation plus groupale du mode de communication. On avait tous des groupes d'amis à l'adolescence, mais là, ils deviennent plus compacts, parce qu'ils suivent le jeune chez lui le soir», observe M. Giroux.



Pour la jeune Audrey, 11 ans, MSN c'est surtout une façon de discuter avec ses amies tout en faisant autre chose. «Tu peux jouer à un jeu et en même temps les gens peuvent te rejoindre. Tu peux aussi clavarder avec plusieurs personnes en même temps», explique Audrey, qui amorcera sa sixième année dans quelques jours. Elle compte bien utiliser ce moyen de communication pour garder le contact avec ses amis rendus au secondaire.

Cet attrait pour le clavardage contredit ceux qui prédisaient un plus grand isolement des jeunes avec l'arrivée de l'ordinateur dans les foyers. «Cela agrandit leur réseau de connaissances. Ils ont une vie sociale plus évoluée qu'il y a quelques années. Loin d'avoir un effet d'isolement, des communautés se rebâtissent en fonction de liens d'intérêt plutôt que de proximité géographique», croit le directeur des enquêtes du Centre francophone de recherche sur l'information (CEFRIO), Éric Lacroix.

Une recherche menée par cet organisme l'an dernier a par ailleurs démontré que l'usage d'Internet ne s'est pas substitué à d'autres activités culturelles. «C'est plutôt l'inverse. Les plus grands utilisateurs ont davantage tendance à aller au cinéma, au théâtre et à consommer des biens culturels», ajoute M. Lacroix.

Si certaines craintes très présentes aux premiers balbutiements de la démocratisation d'Internet s'avèrent plus ou moins fondées, d'autres sont apparues avec le temps. Par exemple, la maman de Vincent, Lyne Leclair, est «horrifiée» à la lecture des conversations cybernétiques de son garçon : «Je ne trouve pas que cela les aide sur le plan scolaire. Il [Vincent] ne se force plus pour bien écrire et il est là-dessus tous les jours.»

Conseiller pédagogique à la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, Marc-André Lalande ne s'inquiète cependant pas trop de l'apparition de ce langage raccourci. «Est-ce que parce qu'un élève va écrire "MDR", pour "mort de rire", en clavardant, il y a nécessairement un péril pour la langue ? C'est peut-être frustrant pour les adultes qui ne comprennent pas. Au fond, c'est un peu comme les "Rogers" avec les CB ou les "stop" sur le télégraphe. On n'écrit pas dans un journal comme dans un magazine. On ne "chatte" pas comme on écrit un courriel», illustre-t-il, mentionnant que le clavardage est carrément interdit dans l'enceinte de plusieurs écoles, même en dehors des périodes de classe.

«Ce n'est pas dangereux !»

Si le langage tronqué dérange, c'est surtout la peur de voir les enfants en contact avec des étrangers qui suscite l'anxiété des adultes. Lorsque invités à décrire le fonctionnement de MSN, les jeunes interrogés s'empressent de vanter les vertus sécuritaires du dispositif. Ce n'est pas comme les «chat rooms» publics, où on peut «rencontrer des Roger de 53 ans», où «des vieux cochons de 21 ans se font passer pour 12 ans»; sur MSN, on choisit ceux avec qui on entre en contact, on peut accepter ou refuser d'ajouter une personne à son carnet d'adresse, entonnent en choeur les ados. Le laïus, et ses quelques variantes, a visiblement été pratiqué maintes fois.

À l'instar de plusieurs de ses amis, Audrey a décrit en détail le fonctionnement de la messagerie instantanée à ses parents pour les convaincre de l'installer chez eux, insistant sur le fait qu'on échange seulement avec des gens qu'on connaît. «Les adultes ne voient pas les choses sous le même angle. On connaît plus cela qu'eux. S'ils vont sur le Net, c'est seulement pour voir s'ils ont de l'argent dans leur compte en banque !», lance la fille de 11 ans qui fréquente l'école primaire Le Baluchon à Laval.

Son camarade Hugo a lui aussi dû donner le cours MSN 101 à ses parents. Il comprend néanmoins leurs appréhensions, étant donné toutes les «méchantes affaires» rapportées dans les médias à propos de jeunes qui «"chattent" avec du monde qu'ils ne connaissent pas». «Dès que les adultes entendent le mot "chat", ils pensent tout le temps que c'est mal, mais ils ne connaissent pas MSN. Avec MSN, on peut choisir nos "contacts"», précise le garçon.

Les parents ont probablement de bonnes raisons de s'inquiéter, puisque 14 % des ados canadiens se sont vu proposer une rencontre avec une personne croisée sur le Net, selon un sondage Ipsos-Reid.

Le professeur de communications Christian-Marie Pons tempère cependant ces craintes : «Cela marchait déjà au temps du chaperon rouge. Je ne pense pas que le Net soit devenu une forêt plus dense où il y a plus de loups. Les jeunes eux-mêmes sont devenus plus prudents. Ils vont moins vers l'étranger, cela ne les intéresse plus beaucoup». Il note d'ailleurs que l'intérêt pour les «chat rooms» tend à s'estomper. «Les jeunes passent plus de temps à confirmer leur petit réseau de copains.»

Luc Giroux constate lui aussi que l'utopie de la communication planétaire se concrétise peu. «Ce n'est pas parce que je peux téléphoner au Japon en ajoutant quelques numéros que je le fais. Les jeunes discutent en sous-groupes, en petits noyaux.»

Ceux qui avouent s'aventurer dans les «chat rooms» le font en «prenant des précautions» : ils savent bien qu'il faut s'abstenir de donner son vrai nom, son adresse ou des renseignements trop personnels. L'aventure laisse néanmoins un goût amer dans la bouche de plusieurs, surtout les filles. C'est le cas de Laurie, une copine de Vincent, qui est sortie éberluée d'une conversation tenue aux petites heures du matin sur le site français Caramail. «Un gars m'a demandé si je connaissais des petites filles de deux ans que je pourrais lui vendre. C'est complètement fou ! C'est pas fort le monde que tu rencontres là», fait valoir la jeune fille de 15 ans, qui affirme cependant passer plusieurs heures par jour, voire même rester éveillée jusqu'à trois heures du matin, à discuter avec des copains. «C'est souvent moins gênant de se parler en "chat" qu'en personne», laisse-t-elle tomber.

Christian-Marie Pons constate que l'attachement à MSN n'est pas inconditionnel. Le téléphone a encore la cote pour des communications plus sérieuses. L'usage varie aussi selon l'âge de l'interlocuteur : «Le courriel, c'est pour communiquer avec les parents ou les grands-parents, parce qu'ils savent qu'ils ne sont pas branchés sur MSN. Ils ont vite repéré que les outils de communication se répartissaient selon les générations».

Luc Giroux pense pour sa part que la messagerie instantanée perdra peu à peu de son attrait au fur et à mesure que les jeunes vieilliront et que leurs besoins évolueront. «Ils vont davantage revenir à un usage de personne à personne, pour lequel le courriel est plus approprié», croit l'universitaire.

Comme les adresses MSN sont aussi des adresses de courriels [Hotmail], il y a cependant fort à parier que ces jeunes se retrouveront pour un conventum dans 10 ou 15 ans au moyen de ces adresses, longtemps après leur départ du foyer familial ou le déménagement de leurs parents. --Message edité par tuberale le 2005-08-22 09:55:03--
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Les enfants du cyberespace (2) - L'école débranchée


Clairandrée Cauchy
Édition du lundi 22 août 2005



Les ados ont vu le jour en même temps que le cyberespace et ont grandi avec lui. Cette génération est sans contredit la plus branchée: 89 % des 12-17 ans utilisent Internet régulièrement et 99 % y ont recours occasionnellement. Le Devoir poursuit aujourd'hui sa série sur cet univers, qui se terminera demain. Aujourd'hui: l'école.


Seulement le quart des enseignants utilisent régulièrement les technologies de l’information et des communications pour faciliter l’apprentissage de leurs élèves. L’essentiel du travail d’accompagnement et de formation des professeurs reste à faire.

   
L'école est le plus souvent à la remorque de la maison, voire carrément absente du train, en ce qui concerne l'utilisation d'Internet. Ordinateurs désuets, manque de formation des enseignants, résistance au changement, quelles que soient les raisons, un fait demeure : le recours à la Toile et à ses dérivés, comme les outils de clavardage ou le courriel, est encore loin d'être intégré à l'enseignement.

Seulement le quart des enseignants utilisent régulièrement les technologies de l'information et des communications (TIC) pour faciliter l'apprentissage de leurs élèves, selon une étude réalisée en 2004. Ces derniers sont surtout concentrés au primaire, où l'organisation scolaire et la présence plus fréquente d'ordinateurs en classe facilitent l'utilisation.

Au secondaire, on s'en sert surtout en sciences, afin de réaliser des expériences avec des laboratoires virtuels. «Cela fonctionne bien avec un noyau de 3 à 4 % des enseignants. Mais cela ne lève pas», observe l'auteur de la recherche, François Larose, du département des sciences de l'éducation de l'Université de Sherbrooke. Fait à noter, les fervents pédagogues du Net ne sont pas nécessairement des jeunes en début de carrière, mais plutôt des enseignants relativement expérimentés, sûrs de leur pédagogie, à l'aise avec l'outil et qui ont tendance à fonctionner par projet, précise le chercheur.



«Internet, ce n'est pas à l'école que ça se passe», renchérit son collègue du département de communication, Christian-Marie Pons. Il souligne d'ailleurs que plusieurs écoles en interdisent l'usage pendant le midi ou les pauses.


Des efforts importants ont pourtant été déployés entre 1996 et 2001 pour doter les écoles de postes de travail branchés. Plus de 300 millions ont été investis dans l'achat d'équipement. Le ratio d'ordinateur connectés au Net est passé au cours de cette période de 1 pour 101 élèves à 1 pour 8. Depuis 2001, cependant, pratiquement plus rien n'est dévolu aux TIC à l'école.


Quatre ans plus tard, le portrait n'est guère reluisant. «Les écoles ont acheté de beaux appareils, mais on ne leur avait pas dit qu'il faudrait un jour les renouveler. Cela n'aide pas l'équipe-école à s'intéresser aux TIC quand on utilise un Pentium I», déplore le président de l'Association québécoise des utilisateurs de l'ordinateur au primaire et au secondaire (AQUOPS), Claude Raymond. Il souligne néanmoins que certaines écoles ont fait le choix des TIC, en puisant à même leurs budgets de fonctionnement ou en organisant des collectes de fonds pour renouveler leurs équipements. «Lorsqu'il y a un leadership des directions, cela a un effet d'entraînement. Si la direction n'est pas à l'aise avec cela, cela tire de l'arrière.»

Le manque de soutien technique rend également les enseignants plus réticents à se lancer dans l'aventure. «Lorsque la machine est brisée et que l'enseignant réussit à parler à un technicien, on leur dit "laissez-nous vos coordonnées, on passera dans trois semaines"», caricature François Larose.

Au cours de ses recherches, il a pu constater que l'ajout de budgets supplémentaires dans une école donnait un sérieux coup de pouce, lorsqu'en plus d'acheter de l'équipement, on libère des enseignants comme personnes-ressources. «Le problème, c'est que cela dure le temps de la subvention, comme une éruption cutanée. Tant que l'État crache, ça marche !», constate-t-il.



Des enseignants à convaincre

Au-delà de la quincaillerie, un problème plus fondamental se pose : comment demander à des enseignants de développer chez leurs élèves des compétences qu'eux-mêmes ne maîtrisent pas ?

Officiellement, l'utilisation des TIC constitue une compétence transversale, autant dans le programme du primaire déjà en vigueur que dans celui qui sera implanté cet automne au secondaire. «Des neuf compétences transversales, c'est la seule où les enseignants vont être fiers de dire qu'ils ne sont pas encore compétents», laisse tomber avec un brin d'ironie Marc-André Lalande, conseiller pédagogique à la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys. Certes il y a des enseignants qui recourent aux TIC depuis longtemps et d'autres qui se jettent à l'eau avant de maîtriser complètement l'outil, nuance-t-il.

Le président de l'AQUOPS en rajoute : «Pour beaucoup d'enseignants, le courriel, c'est le conjoint ou les enfants qui s'en occupent», illustre-t-il en soulignant que l'essentiel du travail d'accompagnement et de formation des profs reste à faire. «Le problème, c'est que les professeurs sont tellement préoccupés par l'implantation de la réforme scolaire que les TIC sont mis de côté. Et en plus, il y a les moyens de pression [dont le boycottage des activités qui ne sont pas directement liées à la tâche d'enseignement].»

Ceux qui hésitent à plonger ont souvent peur d'être désarmés devant des élèves plus habiles qu'eux. Pas si vite, répliquent les spécialistes ! «Si un jeune navigue très vite et visite trois ou quatre sites très rapidement, on a l'impression qu'il est très compétent. Mais on se rend souvent compte qu'il n'y a pas de chair autour de l'os», fait remarquer Marc-André Lalande, mentionnant que les jeunes utilisent rarement les TIC comme outils de création.

C'est aussi l'avis de Claude Raymond : «Les élèvent jouent à des jeux, clavardent ou téléchargent de la musique. Ils utilisent peu Internet comme outil de recherche, pour écrire ou éditer des pages Web. C'est à nous, comme pédagogues, de faire le pont entre leurs habitudes d'utilisation et ce que l'école peut leur offrir.»

Pour qu'Internet prenne réellement son envol à l'école, M. Raymond croit cependant que les enseignants doivent cesser de voir cela comme étant une nouvelle tâche qui se rajoute au reste et l'intégrer au contenu qu'ils abordent déjà. Il souligne que les professeurs qui l'utilisent pour eux-mêmes sont plus enclins à l'intégrer à leur enseignement. Certains enseignants suggèrent d'ailleurs que leur équipement informatique puisse être déductible d'impôts, au même titre que les travailleurs autonomes.

Pour que l'école donne du sens

Directeur sortant à l'Institut Saint-Joseph -- un petit établissement primaire privé de la région de Québec qui a pris le virage technologique -- Mario Asselin pense que la formation est vaine si les enseignants ne deviennent pas eux-mêmes des internautes.

Après avoir constaté qu'il avait «jeté 5000 $ par les fenêtres» en formation générale, il s'est employé à trouver ce qui motiverait chacun de ses employés à utiliser l'ordinateur. Excel, les moteurs de recherche, le courriel, la publication de pages Web et même la recherche de recettes culinaires, tout y est passé ! «C'est là que le virage technologique s'est opéré. Ils voyaient eux-mêmes un sens à utiliser la technologie.»

Il s'inquiète de voir autant de résistance aux technologies dans le milieu scolaire, où c'est trop souvent vu comme une mode, un peu comme l'a été l'audiovisuel. «Il faut dénoncer cela. Les pratiques des jeunes se vivent bien souvent seuls dans la chambre à coucher. J'ai des doutes sur nos responsabilités en tant qu'adulte de ne pas nommer cela.»

L'interdiction du clavardage à l'école -- que l'on justifie parfois par la crainte que les jeunes soient en contact avec des gens mal intentionnés -- le fait bondir. «Le milieu scolaire n'éduque pas au clavardage, il fait comme si cela n'existait pas. Pourtant cela offre beaucoup d'occasions. Ce n'est pas en l'interdisant qu'on va former de meilleurs citoyens. Dans le monde de demain, ces technologies vont être utilisées dans les entreprises.»

En voulant trop protéger les jeunes, l'école risque selon lui de perdre de sa crédibilité. «Les jeunes font des associations vicieuses : "si les adultes évacuent la pertinence de ce moyen de communication, peut-être que des choses qu'ils disent sur d'autres sujets vont perdre aussi de leur signifiance". [...] On fonde toutes nos affaires sur la peur. Il faut faire confiance aux jeunes.»

Claude Raymond de l'AQUOPS constate lui aussi que les professeurs craignent de tomber sur des sites pornographiques en naviguant en classe. «Ils ne sont pas préparés à intervenir. Mais s'ils accompagnent les jeunes au dépanneur, ils vont tomber sur des revues. Il faut les éduquer, c'est notre rôle !»

La plupart des enseignants préfèrent donc envoyer leurs élèves sur des sites présélectionnés plutôt que chercher une information dans le cyberespace. «C'est la meilleure façon d'être sûr que le jeune ne se mette pas en situation de prendre des décisions, de développer un jugement critique sur la qualité de l'information ou d'améliorer l'efficacité de sa procédure de recherche», observe le pédagogue François Larose, soulignant qu'il ne s'agit pas là d'un problème dans le programme scolaire, mais bien dans le rapport de l'enseignant à l'élève. Un peu résigné, M. Larose note qu'au bout du compte la société demande surtout aux professeurs d'enseigner le français, les maths et les sciences. «Internet est pour eux un outil parmi d'autres, et ce n'est pas celui qui leur est le plus familier», laisse-t-il tomber.

En contrepoint de ce portrait un peu tristounet de l'utilisation d'Internet, des enseignants dévoués se démènent pour aider leurs collègues, les outiller pour faire le saut. Qui sait, peut-être qu'en conjuguant leur enthousiasme à des budgets pour des machines et de la formation, l'école réussira-t-elle à être un peu plus à la page... Web. Peut-être faudra-t-il attendre que les adolescents d'aujourd'hui soient aux commandes d'une classe pour que la magie opère...




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Les enfants du cyberespace (3) - L'âge butineur

Les jeunes internautes carburent au «multitâche»


Clairandrée Cauchy
Édition du mardi 23 août 2005



Les ados ont vu le jour en même temps que le cyberespace et ont grandi avec lui. Cette génération est sans contredit la plus branchée: 89 % des 12-17 ans utilisent Internet régulièrement et 99 % y ont recours occasionnellement. Le Devoir conclut aujourd'hui sa série sur ces enfants de la Toile.



L’écoute de fichiers MP3, le clavardage, la recherche de sites Internet en même temps que les devoirs — avec la télévision en arrière-plan —, c’est devenu la norme pour plusieurs.
Agence Reuters

   
La véritable révolution technologique engendrée par l'expansion d'Internet au cours de la dernière décennie n'impressionne guère les jeunes : ils sont tombés dans la marmite quand ils étaient tout petits. L'histoire ne dit pas encore quels effets aura cette potion sur eux...

«Le premier discours sur Internet, c'était soit une vision relativement négative, soit une apologie. Ces discours extrêmes d'intellectuels, en noir et blanc, ne sont pas repris par les jeunes. Ces derniers sont plus modérés dans leurs perceptions et dans leurs actions. Ce sont probablement eux qui ont la bonne attitude», croit le professeur de communication Christian-Marie Pons, de l'Université de Sherbrooke.

Le chercheur remarque que l'enthousiasme devant ce «nouveau jouet» constaté lors de ses recherches chez les jeunes en 1996 s'est beaucoup estompé depuis : «C'est maintenant intégré dans leur quotidien, c'est normal. Il y a presque une banalisation d'Internet.»

Certains sont même déjà un peu blasés, à 14 ans ( !). «À un moment donné, tu ne sais plus où aller, tu as l'impression d'avoir fait le tour», confie Vincent Brunet en entrevue. Il reconnaît néanmoins qu'Internet demeure son «passe-temps préféré». Son ami Mathieu Hérard, également âgé de 14 ans, affirme pour sa part être descendu du nuage où ses premières séances de clavardage l'avaient fait monter : «C'est rendu normal, c'est une vieille bébelle. Mais cela va toujours rester un outil, même dans 10 ans.»


Les nombreuses interrogations que peuvent avoir les plus vieux sur les vertus et les inconvénients du Net sont complètement incongrues pour leurs enfants et petits-enfants. Spécialiste en psychologie de la communication, Luc Giroux croit que l'idée de «résistance à la technologie n'existe pas pour des ados de 13 ans». «Autant pour les adultes cela a été révolutionnaire, autant pour les jeunes c'est tout à fait normal. [...] C'est très rare que quelqu'un dise que le téléphone ne sert à rien», illustre-t-il.


Si Internet fait maintenant partie de la routine de la très grande majorité des jeunes, cela n'a cependant pas eu d'effet marquant sur eux, croit M. Giroux. «Lorsque l'informatique est devenue populaire, on pensait que cela changerait fondamentalement la manière de penser des humains... C'est faux», tranche le prof de l'Université de Montréal.



Le multitâche


Si les synapses du cerveau des internautes ne se sont pas modifiées, il n'en demeure pas moins que certaines aptitudes sont plus sollicitées. Ainsi, les internautes en général, et les jeunes en particulier, ont davantage tendance à accomplir plusieurs tâches en même temps, ce qu'on appelle communément le «multitâche». L'écoute de fichier MP3, le clavardage, la recherche de sites Internet en même temps que les devoirs -- avec la télévision en arrière-plan --, c'est la norme pour plusieurs.

Luc Giroux s'interroge sur les effets du multitâche à long terme : «Il y a une limite à ce qu'on peut voir, lire et écrire dans une journée. Cela dépend du "hard ware" humain. Cette capacité à échanger à toute vitesse s'accompagne nécessairement d'une part de stress.»

Il entrevoit deux effets diamétralement opposés : les adeptes du multitâche développeront peut-être une résistance aux stimuli et seront moins stressés; ou alors il y aura un effet cumulatif qui les rapprochera du burn-out.

Pour Éric Lacroix du Centre francophone de recherche sur l'information (CEFRIO), cette capacité de digérer des sources d'information différentes simultanément permettra aux jeunes de bien fonctionner dans un environnement où ils sont sollicités de toutes parts. La contrepartie, c'est qu'ils pourraient avoir de la difficulté à se concentrer sur une seule tâche qui exige de la minutie. «Ils sont plus portés à butiner d'une activité à l'autre».

Vincent, lui, n'a pas peur de ce déficit d'attention : «J'ai toujours l'habitude de faire trois ou quatre affaires en même temps. J'aurais la même attention s'il n'y avait pas de musique.» Il a néanmoins son petit secret pour l'étude ou les travaux exigeants : il ferme la fenêtre de clavardage et la musique, pour ne conserver que la télévision ouverte !

Le volume et la diversité des informations disponibles sur Internet modifient par ailleurs la façon dont les jeunes internautes mènent leurs recherches. En quelques touches de clavier, on accède autant à des blogues, des sites gouvernementaux, des pages personnelles, de la littérature scientifique, des textes d'actualité, alouette...

Cela influence les modes d'apprentissage des connaissances, croit Christian-Marie Pons. «L'idée de hiérarchisation des informations est plus vague. Google ne fait pas de sélection et fournit tout en vrac.» Il n'y voit cependant pas un problème insurmontable. L'idée que le «livre est le réceptacle du savoir» est relativement récente dans l'histoire de l'humanité, précise l'universitaire.

Son collègue Luc Giroux partage ce point de vue optimiste : «Si on montre au jeune à bien utiliser le Net, à discerner ce qui est crédible ou pas, le livre n'est pas meilleur que le Net», croit-il en qualifiant la recherche dans le cyberespace de «prodigieusement plus efficace».

Les jeunes internautes rencontrés semblent bien manier les deux modes de recherche d'information. «Quand je veux des informations générales, je vais sur Internet. Si je veux des trucs plus précis, je vais chercher dans des documents ou des livres», explique Vincent. Mathieu note de son côté qu'il privilégie tout particulièrement les sites officiels. Les noms de domaines l'aident à mesurer la fiabilité d'un site. Il avoue tout de go prendre ses informations sur la toile et les réécrire en ses mots.

Une certaine sensibilisation des étudiants s'impose à ce chapitre, selon M. Pons. «Ils vont facilement emprunter des morceaux de texte, faire du copier-coller. Le savoir, pour plusieurs étudiants, c'est comme l'air qu'on respire, cela appartient à tout le monde parce que c'est sur Internet». Une impression que partage Luc Giroux qui siège dans un comité universitaire chargé de traiter des cas de plagiat. «Les jeunes s'approprient parfois des textes sur Internet au point où qu'on les accuse de tricherie. "C'était sur le Net, je l'ai pris." Ils se disent que si c'est public, on peut s'en emparer.»

Mutation de civilisation


Le philosophe Pierre Lévy, titulaire de la Chaire de recherche en intelligence collective, a l'impression que les internautes n'ont que de «petites pelles» pour exploiter une «mine d'or». Il faudra selon lui plusieurs générations pour assimiler la mutation technologique de la dernière décennie, «comparable à l'invention de l'imprimerie».

«C'est sûr que les jeunes vont très vite. Ils naviguent d'un site à l'autre, mais on n'approfondit pas. Il n'y a pas encore l'équivalent de la culture lettrée dans le monde papier. On se retrouve avec une panoplie de nouvelles techniques, sans avoir les outils intellectuels ou conceptuels en conséquence», observe le professeur de l'Université du Québec en Outaouais.

S'adonnant à un petit exercice de futurologie, il avance que la jeune génération rompue à Internet influencera les structures sociales. Habitués à retrouver l'information au bout de leurs doigts, ces citoyens exigeront plus de transparence de la part des institutions. Ils pourraient aussi favoriser davantage la mise en commun des ressources dans les milieux de travail, comme c'est d'ailleurs déjà le cas dans certains milieux universitaires où des enseignants mettent en ligne leurs plans de cours dont peuvent inspirer des collègues. Les communautés de pratique ou d'intérêts, qui transcendent les limites géographiques ou les institutions pourraient aussi prendre plus d'ampleur, estime M. Lévy.

«Les évolutions techniques se comptent en années, les évolutions culturelles se comptent en générations», conclut le philosophe.



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