Échecs et mâles = nouvelle génération d'hommes

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tuberale
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Une génération d'hommes crie «No future!»
Mathieu-Robert Sauvé


Journaliste et auteur, notamment du récent ouvrage Échecs et mâles (Éditions des Intouchables, 2005)

Édition du lundi 12 septembre 2005



Sébastien, Fred et Paul, les héros d'Horloge biologique, sont de jeunes hommes qui n'ont aucun contrôle sur leur vie; des «Whippets» pour reprendre l'expression de Charles Paquin, du nom d'un chien qu'on doit battre («whip-it») pour lui faire entendre raison.

 
En cela, les hommes de Ricardo Trogi s'insèrent à merveille dans la lignée d'homoncules qui dominent la dramaturgie, la littérature et la filmographie québécoises. Il faut remonter à la lointaine tradition orale pour retracer des mâles vaillants, courageux et épris de liberté auxquels la descendance aurait pu rêver de s'identifier. Malheureusement, ces bûcherons et coureurs de bois ne figurent plus que dans quelques contes et légendes. Depuis Philippe Aubert de Gaspé, les Ti-Coune tiennent les premiers rôles.

Il y a pourtant quelque chose d'inouï dans l'obsession père-fils que les cinéastes explorent depuis quelques années. Dans Les Invasions barbares, Denys Arcand fait mourir son personnage principal (un père); Sébastien Rose fait mourir le sien dans La Vie avec mon père. Dans les deux cas, il s'agit d'hédonistes amoraux, découvrant sur le tard un sens à leur vie. On peut bien sûr se réjouir de toutes ces morts symboliques. Sigmund Freud applaudirait. Mais on peut s'inquiéter aussi de cette monomanie : l'homme d'aujourd'hui refuse le devoir de durer.

Tableau cynique

Les relations paternelles sont les véritables stars de Gaz bar blues, La Vie avec mon père, C.R.A.Z.Y. et cette Horloge qui sonne le succès de l'été. Si chacun de ces longs-métrages présente des modèles intéressants d'hommes aux prises avec des déchirements existentiels propres aux relations humaines, Horloge biologique trace certainement le tableau le plus cynique. Le trio de trentenaires attardés reprend d'ailleurs là où le précédent film de Trogi, Québec-Montréal, s'était arrêté.


Les protagonistes sont d'authentiques Peter Pan, soit d'éternels adolescents terrorisés à l'idée de devenir adultes. Ils sont, de plus, dominés sinon méprisés par leur conjointe. Quand Sébastien tente d'obtenir un prêt personnel pour accompagner ses amis à Anticosti, l'agente de financement lui répond simplement : «Non. Pas si ta compagne ne signe pas.»


Dans leur vie intime, ces hommes préfèrent de loin la malhonnêteté, la superficialité et la subordination. Il n'y a qu'entre eux, à l'occasion de leur «5 à 7» hebdomadaire, que la véritable franchise apparaît. Pour se dire les vraies affaires, il faut être saoul et à l'abri de l'autre sexe.



L'horloge contre le couffin

Cela dit, Horloge biologique est un film très réussi. Du début à la fin, on rit à s'en taper les cuisses. Mais pourquoi la comédie fait-elle rire ? Parce qu'elle accentue des traits dominants d'une réalité. Si on rit, c'est que l'image qu'on nous présente est un reflet troublant de nous-mêmes.

Pour trouver un point de comparaison cinématographique sur la paternité, il faut remonter à Trois hommes et un couffin, de Coline Serreau. Réalisé en 1985 et repris deux ans plus tard aux États-Unis par Leonard Nimoy (Three Men and a Baby), ce film présente trois colocataires qui pensent à tout sauf à la paternité. Jusqu'à ce qu'on dépose un bébé à leur porte. Plongés dans les couches et les biberons, les célibataires endurcis découvrent en eux une fibre paternelle très forte. Témoins de cette sensibilité, les spectateurs sortent émus.

Avec le recul, on peut dire que Pierre l'architecte, Michel le dessinateur et Jacques l'agent de bord (les trois hommes de Serreau) incarnaient un courant dans la société occidentale : la prise en charge d'une paternité nouvelle, festive et sensuelle.

En 20 ans, les pères ont changé. On ne se surprend plus de les voir aussi nombreux que les mères aux réunions de parents; dans les jardins d'enfants, ce sont souvent eux qui poussent les balançoires, et la garde partagée est aujourd'hui privilégiée en cas de séparation. Bref, l'homme, dans bien des cas, est aussi compétent que la mère en matière de parentalité.

Que retenir du vendeur d'auto, du gérant de quincaillerie et de l'informaticien de Trogi ? Qu'ils préfèrent rompre avec leur conjointe plutôt que de plonger dans l'aventure familiale. Qu'ils refusent la paternité à moins de se la faire imposer. Et gare à celui qui se laissera happer par l'instinct maternel, car il perdra l'amitié de ses pairs.

Sur le plan symbolique, c'est inquiétant. Refuser d'être père, c'est décliner la chance de s'inscrire dans la durée. Sans pères, l'avenir s'estompe. C'est la fin de l'histoire. Dans Horloge biologique, toute une génération crie No Future !

Un héros, François Legault

À la projection, durant les scènes de Cro-Magnon, un jeune homme assis près de moi tentait par des petites caresses de rassurer sa compagne, enceinte. Il avait l'air de vouloir lui dire : «Moi, je ne suis pas comme ça !» Mais non. Rassure-toi, tu n'es pas comme ça.

Les hommes que je connais, ce ne sont pas des whippets. Ils ont tous accepté la paternité. Certains l'ont même désirée profondément. Autant que leur compagne. Les hommes que je connais placent leur rôle de père au sommet de leurs priorités. Ils veulent s'épanouir professionnellement, mais pas au prix de renoncer à une vie de famille riche.

Le plus beau jour de leur vie, ce n'est pas celui où leur vendeur leur a donné les clés d'une voiture neuve ni celui où ils ont frappé leur premier coup de circuit. C'est le jour où leur compagne a accouché. Quand ils ont pris leur petit dans leurs bras, il s'est passé quelque chose.

Les hommes d'aujourd'hui s'intéressent au sport, mais aussi à l'éducation, à l'économie et à la politique. Ils suivent avec intérêt les matchs du Canadien, mais aussi le retrait des colons de la bande de Gaza et les films de Michael Moore. Leur héros ne s'appelle pas Alexandre Despatie, José Théodore ou Marc Garneau.

Leur héros, c'est François Legault. Cet aspirant chef du Parti québécois, considéré comme un candidat sérieux à la succession de Bernard Landry, a renoncé à la course pour «des raisons familiales». En fait, il voulait jouer au tennis avec ses fils, Victor et Xavier. «Les politiciens sont remplaçables, mais les pères sont irremplaçables», confiait-il récemment à un journaliste.

Ça, c'est un beau discours !
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