Des femmes majoritaires
Les professions libérales changent de visage
Alexandre Shields
Édition du mercredi 8 mars 2006
Même si les femmes québécoises sont plus nombreuses que les hommes à fréquenter les universités depuis le milieu des années 1980, elles n'occupent pas encore le haut du pavé dans la plupart des fiefs professionnels masculins, notamment en médecine, mais aussi en droit et en communication. Cependant, le changement ne saurait tarder.
La Dre Jessica Murphy-Lavallée, radiologue au CHUM Notre-Dame. La présence des femmes dans les professions libérales, et en particulier dans le domaine médical, n’a pas fini de se faire sentir au Québec.
Inutile de remonter très loin dans l'histoire du Québec pour retrouver l'amalgame de notables qui exerçaient une grande influence sur la vie quotidienne, soit le notaire, l'avocat et le médecin. Tous trois étaient des hommes. Le président du Collège des médecins, le Dr Yves Lamontagne, se souvient d'ailleurs de l'époque pas si lointaine où il a prêté le serment d'Hippocrate, à la fin des années 1960 : «Il y avait trois femmes dans ma classe, sur un total de 125 étudiants.»
Les choses ont toutefois bien changé et la médecine de demain sera une affaire de femmes au Québec. Selon une étude sur les effectifs médicaux réalisée par le Groupe de recherche interdisciplinaire en santé (GRIS) pour le Collège des médecins du Québec, elles représentent désormais 71 % des omnipraticiens et 56 % des spécialistes chez les médecins âgés de moins de 35 ans. Et d'ici «dix à quinze ans, il y aura beaucoup plus de femmes dans l'ensemble des effectifs de la profession», estime le Dr Lamontagne, ajoutant qu'elles comptent facilement pour «plus de 70 %» des médecins en devenir. Une progression remarquable, puisqu'il y a à peine trois décennies, les femmes y décrochaient une maigre proportion de 12 % des diplômes.
«Cette tendance va se poursuivre au cours des prochaines années, puisque le pourcentage des femmes admises en médecine est bien supérieur à celui des hommes», souligne par ailleurs l'enquête du GRIS. Les nouvelles cohortes fraîchement sorties des universités permettent d'ailleurs de confirmer cette tendance. À l'université Laval, les femmes représentent le double des diplômées depuis l'an 2000. En 2005, 96 d'entre elles ont complété leur parcours, contre 43 hommes. Et le phénomène est similaire à l'Université de Montréal, à l'université McGill et à l'Université de Sherbrooke.
S'il ne redoute pas la «féminisation» de la profession médicale, le président du Collège des médecins souligne toutefois que les femmes boudent davantage certaines spécialités, notamment la chirurgie générale ou la neurochirurgie, en raison de l'incompatibilité des horaires de travail avec leur vie personnelle. Cette présence féminine grandissante pourrait cependant permettre de donner un visage plus «humaniste» à la pratique médicale, selon le Dr Lamontagne. La coordonnatrice du Comité aviseur Femmes en développement de la main-d'oeuvre, Carole Lejeune, estime quant à elle que les femmes ont «une meilleure écoute de leurs patients» en raison de «leur approche plus humaine».
Les exemples ne manquent pas
Si l'exemple de la médecine est probant, les hommes se font progressivement damer le pion dans bon nombre de professions qu'ils accaparaient auparavant. À l'instar de celle du médecin, l'image du pharmacien aux traits strictement masculins serait aussi condamnée à brève échéance. Le nombre des nouveaux permis émis par l'Ordre des pharmaciens du Québec se chiffrait en 2004 à 220 pour les femmes, contre seulement 60 pour les hommes. L'organisme prévoit d'ailleurs «une féminisation encore plus grande de l'effectif professionnel, qui se situe actuellement à 60 %». Une progression notable depuis trois décennies, alors que moins de 30 % des diplômes dans le domaine étaient décernés à des femmes en 1970. Elles sont également majoritaires en chiropratique, en ergothérapie, en orthophonie, en audiologie et en physiothérapie. Leur persévérance scolaire leur permet aussi de dominer en médecine vétérinaire, en optométrie et en microbiologie.
45 % de femmes au Barreau
La progression féminine dans les emplois «non traditionnels» se fait par ailleurs pleinement sentir dans les couloirs des palais de justice. «En 1982,
18 % des membres du Barreau étaient des femmes. En juillet 2005, elles représentaient 45 % des membres», explique la présidente du Comité sur les femmes du Barreau, Line Samoisette. Elle ajoute que, «pour les avocats ayant moins de 15 ans de pratique, les femmes représentent 63 % des effectifs», un taux comparable à celui observé à l'université. Et selon Mme Samoisette, «si la tendance se maintient, le nombre de femmes va dépasser le nombre d'hommes d'ici quelques années à peine». Une belle victoire, puisque même si le Barreau existe depuis 150 ans, la première femme admise y a fait son entrée seulement en 1946.
«L'arrivée des femmes a changé bien des choses au sein du Barreau, mais aussi dans les bureaux d'avocats», souligne Mme Samoisette. Parmi ces changements, elle note la conciliation travail-famille. «Avant, comme il y avait peu de femmes dans la profession, elles s'adaptaient tant bien que mal à l'organisation en place. Mais les jeunes avocates veulent davantage "d'équilibre", donc une meilleure intégration du travail dans leur vie personnelle, des heures plus flexibles, etc.»
D'autres domaines autrefois réservés aux hommes prennent aussi un nouveau visage. À la Chambre des notaires du Québec, on observe une progression féminine constante, et elles sont presque à parité avec leurs confrères. Dans le domaine des communications, plus des deux tiers des étudiants sont en fait des étudiantes. À la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, les hommes représentent encore 61 % des membres, contre 39 % pour leurs collègues féminines. Mais les choses changent rapidement. Les femmes ont vu leur nombre s'accroître de 17,4 % entre 1991 et 2001, année du dernier recensement. Au cours de la même période, les effectifs masculins ont diminué de 3,7 %. Et les programmes de journalisme comptent désormais plus de 70 % de femmes.
L'architecte québécois de demain sera également une femme, puisqu'elles sont déjà plus nombreuses parmi les membres de l'Ordre des architectes qui sont âgés de moins de 35 ans. Elles connaissent aussi une progression dix fois plus importante que leurs collègues masculins chez les designers d'intérieur, selon Statistique Canada, un phénomène qui se reflète dans la plupart des professions dites «culturelles».
Les effectifs féminins accusent cependant un retard important dans les programme de génie, mais aussi de sciences physiques, de mathématiques et de sciences appliquées. La proportion qu'elles occupent est toutefois en progression constante depuis une décennie.
L'équité salariale est encore loin
Malgré l'ascension soutenue du nombre de femmes dans plusieurs domaines, le problème de l'équité salariale demeure entier. «Les avocates salariées sont moins bien payées que leurs confrères masculins, souligne Mme Samoisette. L'équilibre n'est pas encore atteint parce que, au cours des 20 dernières années, c'est l'élément qui a été le moins important dans les questions traitées.»
L'écart dans la rémunération entre les hommes et les femmes détenant un diplôme universitaire est d'ailleurs confirmé par les données d'une étude récente de La Relance à l'université, un organisme du ministère de l'Éducation. Le document explique que les bachelières qui ont un emploi salarié à temps plein reçoivent un salaire hebdomadaire brut moyen inférieur à celui des hommes, soit 723 $, par rapport à 828 $. À la maîtrise, la différence se chiffre à 212 $ par semaine. Et cette tendance «ne se dément pas au cours des années», selon l'étude.
C'est d'ailleurs un dossier prioritaire pour les avocates. «Comme partout, il y a des mentalités à changer. Il existe parfois un "plafond de verre" pour les femmes», explique Mme Samoisette, en référence au fait que les professionnelles peuvent difficilement accéder à des postes de direction. Et tant qu'il ne sera pas «courant de voir des femmes à la tête des bureaux d'avocats», le problème de l'écart salarial demeurera inextricable.
Paradoxalement, celles qui accèdent actuellement à des postes de direction se retrouvent souvent dans des domaines qui offrent peu de pouvoir, comme en administration ou en gestion du personnel, selon Marie-Thérèse Chicha, professeure à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal. Une observation confirmée par la cinquième édition de l'étude Femmes au Canada publiée hier par Statistique Canada.
De plus, le cheminement de carrière des femmes, «qui est souvent ponctué d'interruptions pour des raisons familiales, ne correspond pas à l'idéal d'une trajectoire linéaire», selon le Comité aviseur. Cela retarde et entrave même, dans certains cas, leurs possibilités d'avancement.
Des femmes majoritaires
L'hypersexualisation des filles - Ceci n'est pas qu'une pipe!
Ariane Émond
Journaliste et cofondatrice du magazine féministe d'actualité La Vie en rose
Édition du mercredi 8 mars 2006
Lors d'une émission récente d'Il va y avoir du sport à Télé-Québec, j'ai défendu la position selon laquelle nous, les femmes, devions reconnaître une part de responsabilité dans l'hypersexualisation des filles. La nier et nous prétendre les victimes d'une foudroyante propagande marchande, voilà ce qui nous empêcherait d'être les actrices d'un retournement de la situation. Oui, nous avons deux ou trois choses à admettre, notamment notre complaisance en face de la culture et de l'esthétique porno ambiantes. De plus, il est urgent de donner la parole aux plus jeunes, gars et filles, de muscler notre esprit critique collectif et d'organiser une réplique qui ait du punch pour limiter les dégâts.
Plusieurs personnes sont tentées de voir dans l'hypersexualisation des filles un effet pervers du féminisme. Je n'y crois pas. Ce sont des journalistes et sexologues féministes, Jocelyne Robert en tête, qui alertent l'opinion publique depuis un an, avec la FFQ, le Y des Femmes, La Gazette des femmes et le Conseil du statut de la femme.
Le glissement, je le vois plutôt dans la récupération d'un slogan féministe des années 70 : «Notre corps nous appartient !» (qu'on aime rapprocher du «Je fais ce que je veux avec mon corps !» d'aujourd'hui). Avec ces mots, les femmes de 1970 revendiquaient le contrôle de leur maternité, un plus grand accès à la contraception libre et gratuite ainsi que le droit d'avorter. Et, on l'oublie, le droit de célébrer leur sexualité dans le plaisir. Jamais les féministes n'ont vanté la sexualisation précoce et «les collisions génitales», comme le dit Jocelyne Robert, les pratiques qu'on valorise actuellement dans Internet, les vidéoclips et les magazines pour filles d'aujourd'hui.
Au contraire, les féministes ont lancé de grands cris d'alarme dans les années 80 en constatant la banalisation de la pornographie et la colonisation de nos pratiques sexuelles. Et elles ont perdu la bataille. En les voyant réagir si vivement à cette marchandisation de la sexualité, les détracteurs du féminisme ont eu beau jeu d'enfoncer un vieux clou : «les féministes détestent les hommes et le sexe».
On oublie que les féministes ont été plutôt pédagogues pendant les années de la révolution sexuelle, enseignant aux femmes -- qui l'ont enseigné aux hommes -- où logeaient leur clitoris et leur point G ! L'ouvrage largement illustré Our Bodies, Ourselves (Notre corps nous-mêmes), du Collectif féministe de santé de Boston, était leur bible en ces années où le privé était politique, hors de tout doute. Le même collectif a refait un travail formidable avec Ourselves And Our Children - A Book By And For Parents (1978), qui n'a pas perdu sa pertinence alors que tant d'adultes sont dépassés par ce qu'ils découvrent de la vie sexuelle des plus jeunes.
À cette époque où des fillettes de dix ans se demandent comment réussir à faire des pipes assez longues (suis-je normale ?) mais sont dégoûtées à l'idée de cunnilingus ou de masturbation (suis-je normale ?), on est proche des pressions sexuelles indues et des rituels de passage désagréables. Mais on est très loin de l'exploration normale de la sexualité préadolescente et du désir-plaisir partagé dans l'intimité.
Cette entrée fracassante dans la sexualité m'importe davantage que les strings et les nombrils à l'air désormais si courants à partir de sept ou huit ans, hiver comme été, accompagnés d'un maquillage rehaussant le côté femelle des pucelles. Les tenues moulantes des lolitas passeront sans doute -- et je suis bien incapable de prédire la prochaine tendance ! La culture hip-hop latino imprègne l'univers du vidéoclip où les teen models de 14 ans sont habillées de peu. Au Brésil et au Mexique, les corps se portent à moitié nus depuis longtemps. Selon une jeune Brésilienne, on commence là-bas à se préoccuper des effets pervers de ce mimétisme sexuel des gamines, précipitées dans l'âge adulte plus tôt que jamais.
Trois choses m'inquiètent dans tout ça. D'abord, le retour en force de la contrainte et de l'inconfort dans l'apprentissage sexuel, sans doute le miroir à peine déformé de ce qui se passe dans la chambre de bien des adultes. La série documentaire de Francine Pelletier, Baise-majesté, était éloquente : les femmes mendient encore l'amour en acceptant des pratiques sexuelles où elles ne prennent pas leur pied. Pourquoi ? Pour se faire aimer. Pour rester dans le regard des hommes, pour se faire pardonner de prendre ailleurs la place qui leur revient. Sur le plan émotionnel, les femmes sont encore bien accommodantes pour qu'on valide leur droit d'exister sur la place publique. L'estime de soi reste une conquête inachevée.
Deuxième inconfort : tout le matraquage intellectuel autour du girl power, ce concept superficiel et éphémère qu'une partie des jeunes et de leurs aînées achètent comme une recette miracle pour dominer les hommes. Faut-il rappeler l'ampleur de la machine économique derrière Madonna ou Britney Spears ? Et depuis quand voulons-nous que les hommes soient à notre botte ? Dans nos rêves les plus féministes, nous les imaginons plutôt debout et nombreux à nos côtés pour changer le monde ! Le vrai pouvoir sur nos vies, ce n'est pas dans une domination à rebours qu'il se trouve. Nous devons réfléchir avec les plus jeunes femmes. Nous devons aussi interroger les hommes, jeunes et plus vieux, sur la sexualisation de l'espace public. Même si une partie d'entre eux profitent d'une offre sexuelle débridée, je crois que leur discours révélera un malaise. Pourquoi, sinon, retrouverait-on autant de gars de 20 ou 25 ans en panne de désir, hantés par le vide, ayant perdu l'appétit de vivre ?
Troisième et dernier élément : la transmission des conquêtes des femmes depuis 50 ans. Il y a urgence d'enseigner cette révolution inachevée, de l'inscrire au programme d'histoire du secondaire, d'inviter des féministes en classe. Il faut dire aux jeunes, pour la première fois, les conditions dans lesquelles se sont faites les luttes pour l'avortement, contre les publicités sexistes, pour les garderies, contre la porno, pour l'éducation et la syndicalisation des femmes. Et il faut leur expliquer pourquoi si peu de femmes encore accèdent à la marche d'en haut en politique, en affaires et ailleurs, malgré leurs compétences.
Il faut surtout leur rappeler que tout ce qui a été fait peut être défait. Loin d'être contre le féminisme, nos filles et nos fils n'ont tout simplement pas saisi l'importance de continuer ce combat pour plus de liberté dans un monde plus solidaire, mieux partagé entre hommes et femmes. De cela, je suis plus que jamais convaincue.
Ariane Émond
Journaliste et cofondatrice du magazine féministe d'actualité La Vie en rose
Édition du mercredi 8 mars 2006
Lors d'une émission récente d'Il va y avoir du sport à Télé-Québec, j'ai défendu la position selon laquelle nous, les femmes, devions reconnaître une part de responsabilité dans l'hypersexualisation des filles. La nier et nous prétendre les victimes d'une foudroyante propagande marchande, voilà ce qui nous empêcherait d'être les actrices d'un retournement de la situation. Oui, nous avons deux ou trois choses à admettre, notamment notre complaisance en face de la culture et de l'esthétique porno ambiantes. De plus, il est urgent de donner la parole aux plus jeunes, gars et filles, de muscler notre esprit critique collectif et d'organiser une réplique qui ait du punch pour limiter les dégâts.
Plusieurs personnes sont tentées de voir dans l'hypersexualisation des filles un effet pervers du féminisme. Je n'y crois pas. Ce sont des journalistes et sexologues féministes, Jocelyne Robert en tête, qui alertent l'opinion publique depuis un an, avec la FFQ, le Y des Femmes, La Gazette des femmes et le Conseil du statut de la femme.
Le glissement, je le vois plutôt dans la récupération d'un slogan féministe des années 70 : «Notre corps nous appartient !» (qu'on aime rapprocher du «Je fais ce que je veux avec mon corps !» d'aujourd'hui). Avec ces mots, les femmes de 1970 revendiquaient le contrôle de leur maternité, un plus grand accès à la contraception libre et gratuite ainsi que le droit d'avorter. Et, on l'oublie, le droit de célébrer leur sexualité dans le plaisir. Jamais les féministes n'ont vanté la sexualisation précoce et «les collisions génitales», comme le dit Jocelyne Robert, les pratiques qu'on valorise actuellement dans Internet, les vidéoclips et les magazines pour filles d'aujourd'hui.
Au contraire, les féministes ont lancé de grands cris d'alarme dans les années 80 en constatant la banalisation de la pornographie et la colonisation de nos pratiques sexuelles. Et elles ont perdu la bataille. En les voyant réagir si vivement à cette marchandisation de la sexualité, les détracteurs du féminisme ont eu beau jeu d'enfoncer un vieux clou : «les féministes détestent les hommes et le sexe».
On oublie que les féministes ont été plutôt pédagogues pendant les années de la révolution sexuelle, enseignant aux femmes -- qui l'ont enseigné aux hommes -- où logeaient leur clitoris et leur point G ! L'ouvrage largement illustré Our Bodies, Ourselves (Notre corps nous-mêmes), du Collectif féministe de santé de Boston, était leur bible en ces années où le privé était politique, hors de tout doute. Le même collectif a refait un travail formidable avec Ourselves And Our Children - A Book By And For Parents (1978), qui n'a pas perdu sa pertinence alors que tant d'adultes sont dépassés par ce qu'ils découvrent de la vie sexuelle des plus jeunes.
À cette époque où des fillettes de dix ans se demandent comment réussir à faire des pipes assez longues (suis-je normale ?) mais sont dégoûtées à l'idée de cunnilingus ou de masturbation (suis-je normale ?), on est proche des pressions sexuelles indues et des rituels de passage désagréables. Mais on est très loin de l'exploration normale de la sexualité préadolescente et du désir-plaisir partagé dans l'intimité.
Cette entrée fracassante dans la sexualité m'importe davantage que les strings et les nombrils à l'air désormais si courants à partir de sept ou huit ans, hiver comme été, accompagnés d'un maquillage rehaussant le côté femelle des pucelles. Les tenues moulantes des lolitas passeront sans doute -- et je suis bien incapable de prédire la prochaine tendance ! La culture hip-hop latino imprègne l'univers du vidéoclip où les teen models de 14 ans sont habillées de peu. Au Brésil et au Mexique, les corps se portent à moitié nus depuis longtemps. Selon une jeune Brésilienne, on commence là-bas à se préoccuper des effets pervers de ce mimétisme sexuel des gamines, précipitées dans l'âge adulte plus tôt que jamais.
Trois choses m'inquiètent dans tout ça. D'abord, le retour en force de la contrainte et de l'inconfort dans l'apprentissage sexuel, sans doute le miroir à peine déformé de ce qui se passe dans la chambre de bien des adultes. La série documentaire de Francine Pelletier, Baise-majesté, était éloquente : les femmes mendient encore l'amour en acceptant des pratiques sexuelles où elles ne prennent pas leur pied. Pourquoi ? Pour se faire aimer. Pour rester dans le regard des hommes, pour se faire pardonner de prendre ailleurs la place qui leur revient. Sur le plan émotionnel, les femmes sont encore bien accommodantes pour qu'on valide leur droit d'exister sur la place publique. L'estime de soi reste une conquête inachevée.
Deuxième inconfort : tout le matraquage intellectuel autour du girl power, ce concept superficiel et éphémère qu'une partie des jeunes et de leurs aînées achètent comme une recette miracle pour dominer les hommes. Faut-il rappeler l'ampleur de la machine économique derrière Madonna ou Britney Spears ? Et depuis quand voulons-nous que les hommes soient à notre botte ? Dans nos rêves les plus féministes, nous les imaginons plutôt debout et nombreux à nos côtés pour changer le monde ! Le vrai pouvoir sur nos vies, ce n'est pas dans une domination à rebours qu'il se trouve. Nous devons réfléchir avec les plus jeunes femmes. Nous devons aussi interroger les hommes, jeunes et plus vieux, sur la sexualisation de l'espace public. Même si une partie d'entre eux profitent d'une offre sexuelle débridée, je crois que leur discours révélera un malaise. Pourquoi, sinon, retrouverait-on autant de gars de 20 ou 25 ans en panne de désir, hantés par le vide, ayant perdu l'appétit de vivre ?
Troisième et dernier élément : la transmission des conquêtes des femmes depuis 50 ans. Il y a urgence d'enseigner cette révolution inachevée, de l'inscrire au programme d'histoire du secondaire, d'inviter des féministes en classe. Il faut dire aux jeunes, pour la première fois, les conditions dans lesquelles se sont faites les luttes pour l'avortement, contre les publicités sexistes, pour les garderies, contre la porno, pour l'éducation et la syndicalisation des femmes. Et il faut leur expliquer pourquoi si peu de femmes encore accèdent à la marche d'en haut en politique, en affaires et ailleurs, malgré leurs compétences.
Il faut surtout leur rappeler que tout ce qui a été fait peut être défait. Loin d'être contre le féminisme, nos filles et nos fils n'ont tout simplement pas saisi l'importance de continuer ce combat pour plus de liberté dans un monde plus solidaire, mieux partagé entre hommes et femmes. De cela, je suis plus que jamais convaincue.