Le protectionnisme est de retour / Le retour de la bête

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tuberale
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Le retour de la bête

Serge Truffaut
Édition du lundi 20 mars 2006



On croyait les nuages du protectionnisme économique disparus à jamais. Mais voilà que, depuis quelques semaines, ils s'amoncellent de nouveau des deux côtés de l'Atlantique. Des gouvernements déposent des lois conçues à l'aune du nationalisme, d'autres interviennent pour bloquer des transactions. Une pause à la mondialisation vient d'être ordonnée.
 
Il y a trois semaines, des élus américains sont montés aux barricades pour empêcher que Dubai Ports World, une société des Émirats arabes unis, ne s'empare de sept ports des États-Unis. Simultanément, le gouvernement français favorisait le mariage rapide de Gaz de France et de Suez afin de tuer dans l'oeuf l'intention affichée de l'italien Enel d'acquérir cette dernière. Puis les parlementaires français ont adopté en deuxième lecture une loi permettant aux compagnies nationales d'augmenter rapidement leur capital en émettant des bons de souscrïption lorsque celles-ci sont l'objet d'OPA hostiles. L'objectif à court terme ? Soutenir Arcelor dans sa bataille contre Mittal.

En Allemagne, en Espagne, en Italie, en Pologne et ailleurs en Europe, des gestes analogues à ceux évoqués ont été faits. Chez nous, le ministre du Développement économique, Raymond Bachand, annonçait tout récemment avoir demandé un avis juridique afin de déterminer si la construction des wagons du métro de Montréal pouvait être attribuée à Bombardier sans qu'un appel d'offres soit lancé. Bref, le protectionnisme, voire le nationalisme économique, vient de s'immiscer avec une certaine force dans l'univers des échanges commerciaux.

Ce retour au repli sur soi s'explique en partie par le fort vent de fusions qui a soufflé sur le continent européen l'an dernier. On estime que la masse d'acquisitions effectuées en 2005 par des sociétés européennes ou par des compagnies étrangères sur le sol européen a atteint le chiffre record de mille milliards de dollars américains. Ce faisant, les gouvernements nationaux seraient, dit-on, dépassés par les événements. Sur ce front, ils ont perdu le contrôle. Mais ce facteur, soit le volume sans précédent de fusions, n'étant pas seul responsable de la résurgence du protectionnisme, il faut regarder en amont. Il faut remonter jusqu'aux attentats du 11 septembre.

Dans la quinzaine qui suivit cette tragédie, Stephen Roach, chef économiste de Morgan Stanley, affirmait que cet acte terroriste «mettait du sable dans l'engrenage de la globalisation». Les événements devaient lui donner raison. Car, ébranlée par cet événement, la confiance des acteurs de l'économie allait s'éroder au fur et à mesure que des bombes sautaient à Madrid, à Londres et ailleurs, sans oublier la guerre en Irak. On le sait, ces épisodes, plus précisément le sentiment de peur qu'ils ont provoqué, ont poussé le prix du baril du pétrole à un niveau inconnu depuis 1980. Aujourd'hui encore, on calcule que la variable peur ajoute environ 25 $ au prix réel de l'or noir. Toujours est-il que c'est dans ce contexte de fièvre énergétique que divers gouvernements européens se sont agités dès qu'une entreprise du secteur était la cible de convoitises étrangères. Ce fut le cas avec Suez en France et avec Endesa en Espagne.

Le 11 septembre mis à part, il faut maintenant parler de la Chine. Deux mois après la destruction du World Trade Center, ce pays devenait membre de l'Organisation mondiale du commerce. En l'espace de trois ans à peine, la Chine se hissait au rang de troisième exportateur en importance et devenait de facto un concurrent coriace pour les Européens, mais surtout pour les Américains. À telle enseigne qu'aux États-Unis on est allé jusqu'à restreindre le nombre... d'étudiants chinois et indiens dans les facultés de biotechnologie et de technologies de l'information. C'est dire.

En Europe, ce recours au protectionnisme a été par ailleurs encouragé, si l'on ose dire, par le refus de la Constitution tant par les Français que par les Néerlandais. C'est à la suite de cet échec que, par exemple, les autorités françaises ont crié au loup lorsque la rumeur voulant que Pepsi Cola allait faire une bouchée de Danone a circulé. Comme si l'alchimie inhérente à la fabrication du yaourt relevait du secret défense.

Cela étant, il est ironique de constater que la presse financière anglaise tire à boulets rouges sur l'excès de protectionnisme en cours sur le continent, non sans raison d'ailleurs, alors que le royaume de Sa Majesté constitue l'exemple par excellence du... nationalisme économique ! On se souviendra qu'il y a quelques mois à peine le ministre britannique des Finances a indiqué qu'il n'était pas question d'abandonner l'indépendance monétaire alors que ce pays s'était engagé à rejoindre la zone euro.

En conservant toute latitude en matière de taux d'intérêt, en frappant monnaie, le gouvernement du soi-disant socialiste Tony Blair permet aux artistes de l'ingénierie financière de la City de jouer la livre sterling contre... l'euro ! Contrairement à ce qu'ils prétendent à longueur de colonnes, les Britanniques sont en la matière aussi protectionnistes que les continentaux. Pis, nationalistes. --Message edité par tuberale le 2006-03-20 10:07:11--
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tuberale
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Le protectionnisme est de retour


AFP
Édition du lundi 20 mars 2006



Paris -- Qu'il s'agisse des batailles en cours dans l'énergie et l'acier, de l'affaire des ports américains, de la Chine ou de la Corée du Sud, le monde assiste à un retour de flamme du protectionnisme, porté par des gouvernements qui prônent pourtant l'économie ouverte.

Des travailleurs protestent contre la vente éventuelle de six ports américains à une compagnie des Émirats arabes unis. Porte-étendard du libéralisme, les États-Unis n’en viennent pas moins de barrer la route à un groupe émirati pour le contrôle de plusieurs de ses ports, après avoir évité qu’une compagnie chinoise ne mette la main sur son pétrole.
 
Porte-étendard du libéralisme, les États-Unis n'en viennent pas moins de barrer la route à un groupe émirati pour le contrôle de plusieurs de ses ports, après avoir évité qu'une compagnie chinoise ne mette la main sur son pétrole. En Europe, l'Espagne veut empêcher son champion national de l'électricité, Endesa, de tomber dans l'escarcelle allemande d'E.ON. Paris cherche à protéger Suez de l'italien Enel et s'inquiète avec le Luxembourg et l'Espagne des visées de Mittal sur le sidérurgiste Arcelor.

Ailleurs aussi, le patriotisme économique est à l'honneur. Pékin ne veut pas d'étrangers pour construire son TGV, ses avions ou ses centrales, la Russie prépare un projet de loi qui limitera l'accès des investisseurs étrangers aux secteurs «stratégiques», et les Sud-Coréens s'émeuvent d'une OPA de l'américain Carl Icahn sur le groupe de tabac national KTG.

«On est en train de repartir vers des logiques beaucoup plus durcies en matière d'affrontement économique, et c'est d'autant plus vrai qu'à cause de l'arme nucléaire c'est surtout par l'économie que s'expriment les jeux de puissance», estime Christian Harbulot, directeur de l'École de guerre économique (EGE).


Secteurs stratégiques



L'économie mondiale est en train d'assister à la naissance d'une fracture dans le secteur industriel, entre les domaines largement globalisés et peu stratégiques, et d'autres beaucoup plus sensibles, sur lesquels les gouvernements montrent les crocs.

Désormais, «il y a deux champs dans l'économie, celui qui est complètement ouvert parce que le marché est allé tellement loin qu'on a du mal à voir comment ça pourrait revenir en arrière [textile, hi-fi, électroménager...], et d'autres secteurs ou ce n'est pas le cas [énergie, matières premières] et même ceux où ressurgissent des enjeux de puissance», selon M. Harbulot. Par exemple, la santé, «secteur qui s'était banalisé, redevient stratégique», à l'aune du poids croissant des politiques de santé, des enjeux de R-D ou de l'insécurité alimentaire, estime M. Harbulot.

L'énergie est sans doute le secteur le plus emblématique, en ces temps de tension extrême sur les prix du pétrole et du gaz. Depuis l'été 2005, l'État russe a pris le contrôle de Gazprom, le gouvernement américain a découragé le chinois Cnooc d'acquérir le pétrolier Unocal et les gouvernements européens affichent ouvertement leurs rivalités dans ce secteur. Certains pays «regardent avec de plus en plus d'attention l'état de leurs dépendances, il y en a qui peuvent devenir dangereuses», selon M. Harbulot.

«On voit réapparaître un certain nombre de contradictions, qui ont toujours existé et qui avaient été occultées sous le monde bipolaire. Des concepts qui nous apparaissaient totalement archaïques, notamment le patriotisme économique, ressurgissent», commente le directeur de l'EGE.

«L'histoire a été gelée par la bipolarité et c'est le retour du choc des puissances», abonde Ali Laïdi, chercheur à l'IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). À ses yeux, il suffit à État «d'avoir la souveraineté sur les économies à travers le bras armé que sont les multinationales; il faut se défendre pour garder la main, donc pas question de laisser les Chinois manger Unocal, par exemple».



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Raven
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Message par Raven »

Je doute qu'une montée du protectionisme peut vraiment venir arréter le processus de mondialisation. Ce serait trop beau pour être vrai
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Azielle
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Message par Azielle »

En fait le vrai fléau n'est pas la mondialisation mais la globalisation, et le protectionnisme est une infime protection car même s'il entre en vigueur cela ne peut empêcher les accords bilatéraux éminent (puisque la ZLÉA est morte et enterrée ou sur le point de l'être) entre les États-Unis et les pays d'Amérique Latine ce qui pourrait être bien pire que tout ce que l'on craignait.
Il est moins indécent de coucher ensemble que de se regarder dans les yeux- B. Vian et/ou Vernon Sullivan
Ti-radis
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Message par Ti-radis »

Je dois partir, mais je vais revenir lire ces deux beaux articles, merci Tubérale, c'est drôle je disais justement à mon chum cette semaine que j'étais en faveur d'une certaine forme protectionnisme et que l'invasion du made in China me foutait la trouille à court et moyen terme  

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