Une mystérieuse armée de clowns sème la zizanie outre-Rhin

[Earendil]

ALLEMAGNE •  La politique du cirque
Une mystérieuse armée de clowns sème la zizanie outre-Rhin, en marge des grandes manifestations. Enquête de la Süddeutsche Zeitung sur une guérilla du rire aux revendications (souvent) sérieuses.


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Une matraque en papier mâché de trois mètres de long, laquée rose, attend d'entrer en action. Dans l'armurerie s'entassent pistolets à eau de toutes les couleurs, massues en caoutchouc et canons en peluche. L'arsenal des clowns est bien caché dans un grenier de Berlin. Après tout, la Berliner Clownarmee est un mouvement clandestin – une guérilla du rire. Ce n'est qu'après avoir subi un interrogatoire serré, pour montrer le réel intérêt que l'on porte au mouvement, que l'on peut rencontrer les chefs des clowns combattants berlinois. Deux officiers se présentent au lieu du rendez-vous, le commandant Näse et le lieutenant Fox. Ils sont très bien camouflés : ni nez rouge, ni chapeau coloré, ni chaussures géantes, ni fleur à la boutonnière.

Dans l'armée des clowns, tout le monde est haut gradé. Il y a par exemple le général Shanti Avanti, le général Out of Order, mais aucun n'est plus haut placé qu'un lieutenant : les clowns ont par nature un comportement anarchique et chaotique. Leurs apparitions sont à mourir – de rire. Leur arme, c'est l'ironie. Ils ont malgré tout de vraies préoccupations : la mondialisation, les violences policières, le militarisme et la surveillance. Leurs objectifs politiques sont donc semblables à ceux des antimondialistes. Mais [eux] font preuve de créativité quand ils manifestent. Par exemple en répondant aux canons à eau par des bulles de savon. "Pour moi, c'est une façon de fondre la politique et l'art, la poésie et la protestation", confie le lieutenant Fox.

Les clowns rebelles ont fait leur première apparition en 2003, lors d'une visite de George W. Bush en Grande-Bretagne. Depuis, les groupes de clowns, selon le modèle de la Clandestine Insurgent Rebel Clown Army (CIRCA) britannique, s'efforcent d'énerver la police par de petites plaisanteries lors des manifestations. Ils imitent le déploiement des forces de l'ordre, courent sus aux blindés armés de plumeaux ou canardent des lapins en peluche. Pour la CIRCA, ces actions n'ont rien d'une plaisanterie : les interventions inattendues des clowns peuvent aggraver une situation conflictuelle. "Nous sommes plus qu'un joli ornement de manif", affirme le lieutenant Fox.

Il existe en Allemagne environ 500 clowns combattants sur le qui-vive. La plupart sont des étudiants de gauche, mais cette armée de volontaires compte aussi dans ses rangs des acteurs, des clowns d'hôpital et des clowns classiques, de théâtre et de cirque. Les bataillons sont organisés en petits groupes de 10 à 20 personnes qui visent chacun des cibles régionales. La Berliner Clownarmee se bat contre le Bombodrome, un projet de champ de manœuvres militaires près de Neuruppin [nord-ouest de Berlin, dans le Land de Brandebourg]. Les Wendland-Clowns, avec leurs vestes de toutes les couleurs, leurs casques de tôle, leurs couvercles de casserole et leurs clochettes, manifestent contre les transports de déchets nucléaires [en Basse-Saxe]. Lors de leurs interventions, les clowns-soldats se font un plaisir de beugler des ordres absurdes, de défiler en braillant à gorge déployée des chants guerriers débiles comme "Links, links, hinterm Hauptmann stinkt's !" ["Gauche, gauche, ça pue derrière le capitaine"].

Jusqu'où peut aller la liberté du bouffon ? En Allemagne il est interdit de se déguiser et de porter un masque pendant les manifestations, et ça vaut aussi pour le nez rouge. Les clowns ont beau en appeler à la liberté de l'art, ils se font quand même arrêter. "Nous ne sommes pourtant pas des manifestants déguisés, mais des clowns", explique le commandant Näse. Il n'aime pas non plus qu'on le traite de clown de carnaval, car il prend le statut de clown très, très au sérieux.
Les clowns sont parfois pris plus au sérieux qu'ils ne le souhaiteraient. Lors du sommet du G8 de Heiligendamm, en 2007, l'armée des clowns a été accusée par les autorités d'avoir jeté de l'acide sur des policiers, qui furent hospitalisés. Un porte-parole de la police confirma par la suite que le liquide en question n'était pas dangereux. D'après les clowns, il s'agissait en fait d'eau savonneuse, pour faire des bulles.
Titus Arnu
Süddeutsche Zeitung

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source courrier international