Article sur les Justiciers masqués

[noiraud]

Les héritiers de Jeff Fillion

Marc Cassivi

La Presse

Jeff Fillion a beau ne plus avoir de micro, son aura pollue toujours les ondes radio. Il n'y a qu'à faire le tour des émissions d'humoristes de la bande FM pour s'en rendre compte. Fillion, lui-même un rejeton des vociférateurs de la radio-poubelle de Québec, a fait des petits. À Montréal. C'est la secte des X qui va être contente.


Mercredi, 17 h 45, CKOI FM-FM-FM (à prononcer avec la voix affectée d'un animateur de soirée karaoke de Granby). Les Justiciers masqués, ardents défenseurs de la veuve et de son sein, se surpassent une nouvelle fois en originalité. Ils téléphonent à une Française, employée d'un pet shop, en «masquant» leur identité (concept inusité). Prenant la voix du «Français chiant», un personnage fétiche du duo (qui imite l'accent des cousins avec le talent de Stef Carse pour la chanson à texte), l'un des Justiciers lui demande si elle vend des chèvres naines. C'est pour un ami pakistanais de petite taille, dit-il, que l'on devine adepte de bestialité.

Rires étouffés d'adolescents attardés en studio. La Française comprend vite le subterfuge, joue le jeu de bon coeur. Est-ce elle, ou la suivante, à la recherche de son chien disparu, que le Justicier démasqué traite ensuite d'«hostie de folle»? Je ne sais plus. J'ai tellement ri, en constatant que les mots d'esprit ne connaissent pas de frontières, que l'objet de cette subtilité langagière m'a échappé (j'ironise ici).






Je ne suis pas un fan des animateurs shagalag-doupdidou de la radio commerciale. J'ai découvert les Justiciers masqués il y a quelques mois seulement, par hasard, en route vers la garderie de mon fils. Vous les connaissez peut-être. Ils ne ratent jamais une occasion de faire parler d'eux. Cette semaine, ils mènent une campagne pour sauver un candidat roux de Star Académie (!?). Récemment, ils ont organisé une manifestation contre les commanditaires du scandale du même nom... en baissant leurs culottes au complexe Guy-Favreau (!?). Édifiante démonstration citoyenne.

Les Justiciers masqués sont surtout les plus récents adeptes de l'insolence téléphonique, concept éculé, usé à la corde par les Bleu Poudre, dont ils sont une bien pâle copie. Paul McCartney, Janet Jackson, Britney Spears, Bill Gates, Jacques Villeneuve, Steven Spielberg et Karla Homolka comptent parmi les victimes de leurs canulars, bernés par leurs très mauvaises imitations de Jean Chrétien ou de Céline Dion. Parfois, bien sûr, ils sont drôles.

Mercredi, l'un d'entre eux a pris Paul Piché dans ses filets, en se faisant passer pour un animateur d'émission religieuse qui voit des messages cathos dans les paroles du chanteur. Plutôt réussi. Dix minutes plus tard, dans un registre plus sordide, un Justicier traitait une parfaite inconnue d'«hostie de folle». Moins drôle.

Ce n'était malheureusement que la pointe de l'iceberg. L'insignifiance de ces jeunes comiques, qui aimeraient bien se faire passer pour les nouveaux RBO - rien n'est plus loin de la réalité -, semble sans borne. Au cours des dernières semaines, ils ont souvent atteint les bas fonds du registre joke-de-gars-à-casquette-qui-roule-en-Civic-rouge-modifiée, notamment en compagnie de leur copain Babu, le rescapé de MusiquePlus. Un étudiant en droit trouverait là matière à un mémoire de maîtrise sur les nouvelles méthodes populaires de diffamation. Untel sniffe de la coke, tel autre est fif, «vous êtes une hostie de folle».

Faites l'essai comme moi. Quinze minutes à peine, un après-midi donné en semaine, trois ou quatre fois pendant un mois. Vous en entendrez des belles sur les thèmes de la misogynie, de l'homophobie et, plus généralement, du libelle. Sous le couvert d'un humour faussement irrévérencieux (il n'y a, dans les faits, rien de plus convenu), les Justiciers masqués se permettent toutes les insultes. «Une hostie de folle? Voyons, c'était une joke!» Il y a méprise, je suis humoriste, pas diffamateur...

Les excès des Justiciers masqués, et plus généralement, ceux de la radio commerciale abandonnée aux humoristes de bas étage (les Grandes Gueules de la chaîne concurrente n'ont guère plus d'envergure intellectuelle), nous ramènent encore et toujours au débat sur les limites de la liberté d'expression. La question n'a pas été résolue par le congédiement de Jeff Fillion. Demeurent tout de même quelques concepts de base. La liberté d'expression, n'en déplaise aux amateurs des «vraies affaires», n'est pas prétexte à n'importe quoi. Une de ses limites est le respect d'autrui. Les mots ont un poids, parfois lourd de sens, que les animateurs de radio, même ceux de Québec, ne sauraient ignorer. L'humour ne justifie pas tous les moyens.

J'entends déjà les fans des Justiciers masqués m'opposer l'excuse facile de la rectitude politique. «Dans notre belle société stagnante de rectitude politique (ajoutez votre lieu commun)...» Celle-là, franchement, a fait son temps. Elle a été tordue, détournée de son sens et récupérée, jusqu'à devenir une arme de la droite.

On s'inquiéterait moins des dérapages des Justiciers masqués s'ils ne répandaient leurs bonnes nouvelles, rumeurs et ragots (untel conduit saoul, tel autre baise avec tout ce qui bouge...) à des centaines de milliers d'auditeurs. On s'en inquiéterait moins si l'on ne savait pas qu'ils sont à mettre au point un concept d'émission pour Radio-Canada (qui, avec ses Patrick Groulx et Réal Béland, n'est pas en manque d'humoristes insipides). On s'en inquiéterait moins si les diffuseurs prenaient leurs responsabilités et empêchaient leurs animateurs de diffamer à tout vent.

[Krusty]

Ce texte de Marc Cassivi se révele etre tellement une belle grosse pub finalement