Publié le 28 août 2010 à 05h00 | Mis à jour à 05h00
Les garçons en difficulté: l'école fait la sourde oreille
Daphnée Dion-Viens
Le Soleil
(Québec) «Imaginez une minute que vous êtes médecin et que plusieurs études importantes en arrivent à la conclusion irréfutable que les personnes d'un âge et d'un sexe donnés courent un risque de 50 % plus élevé que les autres de développer une maladie spécifique. Considérez ensuite qu'une personne de ce groupe d'âge et de sexe se présente à votre cabinet pour une consultation. Il relèverait de l'inconscience professionnelle de ne pas en tenir compte, au moment de lui faire un examen médical de routine ou de lui prodiguer des soins.»
Voilà comment s'ouvre le livre d'Égide Royer, psychologue et professeur en adaptation scolaire à l'Université Laval. Après avoir roulé sa bosse dans le milieu de l'éducation depuis 35 ans, M. Royer ne mâche pas ses mots pour dénoncer «l'erreur professionnelle grave» commise par le réseau scolaire, qui ne s'intéresse pas assez aux problèmes des garçons à l'école. «Tant qu'on n'en tiendra pas compte, on ne pourra pas régler le problème», dit-il en entrevue au Soleil.
Pourtant, les problèmes des garçons à l'école sont frappants, dit-il. «C'est aussi évident que de dire que le soleil se lève à l'est. La parité garçons-filles n'existe pas concernant la réussite scolaire.»
Année après année, les chiffres du ministère de l'Éducation rappellent l'implacable réalité : au Québec, 26 % des filles et 35 % des garçons quittent l'école sans diplôme secondaire, secteurs privé et public confondus. Ce sont aussi les garçons qui gonflent les rangs des élèves en difficulté, où on les trouve à 69 %. Les années passent, mais le portrait reste le même. «Rien n'a bougé depuis 15?ans», déplore l'expert.
Pourtant, dans d'autres pays, les garçons réussissent aussi bien ou même parfois mieux que les filles. En Suisse et au Japon, par exemple, l'écart entre le taux de diplomation des garçons et des filles est quasi-inexistant. Parmi les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Québec fait presque bande à part : il s'agit d'un des endroits où les écarts de diplomation entre garçons et filles sont les plus importants (voir l'encadré).
Au Québec, les problèmes des garçons à l'école n'ont pas souvent fait les manchettes au cours des dernières années. Même si la lutte contre le décrochage scolaire est récemment revenue à l'avant-scène, le sexe des élèves qui n'obtiennent pas de diplôme est presque passé sous silence, déplore M. Royer.
L'automne dernier, l'ancienne ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, a rendu public un plan d'action pour lutter contre le décrochage. Seulement quelques mesures ciblent les garçons en particulier, alors que plusieurs mesures visent les élèves en milieu défavorisé.
Égide Royer rappelle toutefois qu'être pauvre n'explique pas tout. «C'est sûr que dans les milieux défavorisés, la proportion de jeunes en difficulté est plus grande. Mais la majorité de jeunes en difficulté, de façon absolue, ne vient pas de milieux défavorisés. Le déficit d'attention n'a rien à voir avec le chèque de paye», lance le psychologue.
La réforme scolaire, mise en place au tournant des années 2000 dans les écoles du Québec, ne s'est pas non plus assez attaquée aux problèmes des garçons à l'école, ajoute M. Royer. «C'est une des grosses erreurs de la réforme. Il aurait fallu tenir compte du genre et ça n'a pas été fait», dit-il, même si la réforme avait pour but de rendre l'école plus concrète et intéressante aux yeux des élèves.
Plus adaptée aux filles
Mais que signifie au juste «tenir compte du genre» dans une salle de classe ou une cour de récréation? Le réseau scolaire doit d'abord reconnaître que les garçons sont plus à risque que les filles, avance Égide Royer.
Davantage de mesures de prévention et d'intervention précoce doivent ensuite être mises en place pour repérer ces «p'tits gars» qui éprouvent des difficultés, afin de corriger le tir rapidement. L'école doit s'adapter davantage aux garçons et non l'inverse, selon M. Royer, qui affirme que l'école québécoise n'est pas très «boyfriendly».
«Il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas réaliser que les écoles sont souvent bien mal adaptées à l'énergie et aux centres d'intérêt des garçons. Au primaire, elles semblent plus conviviales pour les filles», écrit-il.
Les jeux très actifs et plus agressifs ne sont souvent plus tolérés dans les cours d'école, ajoute le psychologue scolaire. «Faire de l'éducation, ce n'est pas nécessairement tenter de contrôler la motricité excessive des garçons. Des garçons qui se donnent des jambettes, c'est parfois identifié comme des comportements violents, alors que c'est une tout autre affaire», explique-t-il.
Les bibliothèques scolaires sont aussi remplies de livres et de magazines qui intéressent davantage les filles, ajoute M. Royer. Pourtant, les habiletés en lecture - perçue comme une activité «de filles» par les garçons - jouent un rôle-clé dans le parcours scolaire.
À la recherche d'hommes
Voilà pourquoi le réseau scolaire gagnerait à recruter plus d'hommes à l'école, afin de fournir aux petits garçons davantage de modèles masculins, croit le psychologue. «La présence de modèles masculins qui incarnent la réussite sera toujours un puissant facteur de résilience pour tous les garçons en difficulté à l'école», écrit-il.
En entrevue, M. Royer reconnaît qu'aucune étude ne prouve qu'une meilleure répartition homme-femme en enseignement permet d'améliorer les habiletés en lecture des garçons. Mais il y a des études qui indiquent que les garçons sont plus souvent expulsés des classes ou dirigés vers l'adaptation scolaire dans les réseaux scolaires où il y a une grande majorité de femmes qui enseignent, souligne-t-il.
«Avoir des modèles d'hommes enseignants qui ont du plaisir à apprendre ne peut pas ne pas avoir d'effets. Le lien m'apparaît évident. Est-ce que j'ai vraiment besoin de le prouver par des études scientifiques?» lance celui qui prône, à compétence égale, des mesures de discrimination positive afin d'embaucher davantage d'hommes en enseignement.
À l'université, les futurs enseignants devraient aussi recevoir plus de formation sur la manière d'enseigner en tenant compte des différences entre garçons et filles dans l'apprentissage et les comportements, ajoute-t-il.
Mais Égide Royer n'en démord pas : pour amorcer un virage il faut d'abord prendre conscience des problèmes des garçons, martèle-t-il. «Il est nécessaire de tenir compte du genre pour mieux comprendre, mais surtout pour prévenir l'échec et l'abandon scolaire et composer avec ceux-ci. Ne pas intervenir relève de l'inconscience, de l'aveuglement volontaire ou de l'ignorance», écrit-il. Difficile de plaider l'ignorance après avoir lu cet ouvrage.
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