Les adieux d'un cardinal controversé - Hommage populaire à Marc Ouellet
Isabelle Porter 16 août 2010
Sainte-Anne-de-Beaupré — Certains le détestaient assez pour s'en confesser, d'autres lui vouaient une admiration qui relevait presque du culte. Sur une chose, toutefois, tous s'entendent: le cardinal Marc Ouellet qui était honoré hier à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré n'a laissé personne indifférent.
«Il y a huit ans, vous avez pris la charge du diocèse de Québec. Lorsque vous êtes arrivé ici, dans le diocèse, vous n'étiez connu pratiquement de personne, incluant les prêtres eux-mêmes», a rappelé hier son collègue, l'abbé Mario Duchesne, lors de la grande messe organisée en son honneur à la basilique Sainte-Anne. «Vous étiez un homme que nous ne connaissions pas, mais vous vous êtes inscrit dans notre histoire et, désormais, il n'y a personne qui vous ignore», a-t-il ajouté, déclenchant les rires dans toute la cathédrale.
Le cardinal qui partira le 30 août pour un poste de haut rang aux côtés du pape Benoît XVI a eu droit à un hommage d'envergure hier à Sainte-Anne-de-Beaupré. L'événement n'a pas paralysé l'autoroute 138, mais la cathédrale de 1200 places était pleine, tout comme la crypte où l'on avait ajouté des sièges pour environ 800 personnes.
«C'est une occasion pour moi de rendre hommage à un homme pour lequel j'ai une profonde admiration et qui joue un rôle important dans l'Église», a dit le premier ministre Jean Charest un peu avant la messe. Prudent, M. Charest a par ailleurs refusé de s'avancer sur le terrain des «débats provoqués» par le cardinal. «L'Église, ce n'est pas une institution statique, c'est une institution qui évolue», a-t-il laissé tomber, avant d'ajouter que les débats au Vatican se faisaient «au rythme de l'Église».
En plus du premier ministre et du lieutenant-gouverneur, de nombreux évêques canadiens s'étaient déplacés pour cet événement, dont l'archevêque de Toronto, Thomas Collins, celui de Montréal, Mgr Jean-Claude Turcotte, ainsi que l'ancien évêque de Québec Mgr Maurice Couture.
Mgr Ouellet a remercié ses collègues prêtres pour leur «obéissance à des décisions qui signalaient des tournants et exigeaient parfois certains renoncements». Dans une énième allusion à ses prises de position controversées, il a affirmé: «Le message de la vérité n'est pas toujours le bienvenu; c'est une souffrance pour celui qui écoute et parfois pour le ministre qui l'exprime.»
Alors que loin de Sainte-Anne et des cercles diocésains beaucoup se réjouissent sans gêne du départ du cardinal en raison de ses prises de position conservatrices sur l'institution du mariage et sur l'avortement, ses fidèles lui vouent une admiration sans bornes.
«C'est quasiment un saint», dit Jeremy Gabriel, le jeune chanteur handicapé que le cardinal avait emmené à Rome pour qu'il rencontre le pape.
Conseiller municipal à la ville de Québec, Yvon Bussières en a parlé comme d'un «ami» et s'est dit convaincu que Marc Ouellet avait tout ce qu'il fallait pour devenir pape. «C'est un homme papable comme on dit», a-t-il affirmé en soulignant qu'il fallait que le Vatican croie vraiment en lui pour l'avoir nommé évêque, archevêque et cardinal «dans un si court terme». «Rome l'a envoyé ici pour venir faire un stage pastoral de pratique.»
Le Vatican vient de nommer Marc Ouellet à la direction de la Congrégation pour les évêques, ce qui en fait l'un des plus proches conseillers du pape.
«Le Saint-Père a mis toute sa confiance en lui, il le veut à ses côtés. [...] C'est une très grande responsabilité», a expliqué le représentant du pape au Canada, le nonce apostolique Pedro Lopez Quintana. Chargé de conseiller le pape dans la nomination des évêques, Marc Ouellet aura aussi à mettre en oeuvre les nouvelles directives imposées par le pape à la suite des nombreux cas d'agressions sexuelles qui ont ébranlé l'institution. «Cette affaire, c'est la congrégation des évêques qui s'en occupe. [...] Il sera l'un des principaux acteurs de cette situation.»
Des écrits
Marc Ouellet est aussi un intellectuel, comme en témoigne un recueil de ses textes marquants distribué hier pendant la messe. Dans un texte défendant la famille et l'institution du mariage, il évoque la «postmodernité» et la «crise anthropologique» de notre époque dans des mots difficiles à comprendre pour le croyant moyen. «Dans la foulée d'une pensée déconstructiviste qui refuse l'objectivité d'une métaphysique de l'être, l'être humain apparaît réduit à un minimum subjectif de sens qui l'expose à une recherche désespérée du bonheur dans une existence virtuelle condamnée à l'échec», écrivait-il le 17 mars dernier depuis le Vatican.
Plus loin, le prélat y réitère ses prises de position contre les droits des gais, notamment en reprochant aux courants de pensée occidentaux de rendre «pratiquement insignifiante la différence sexuelle, au point de traiter de manière équivalente l'union hétérosexuelle et les rapports homosexuels».
Or hier, on voulait surtout projeter l'image d'un Marc Ouellet simple, «fraternel», près des jeunes et des gens dans le besoin. Aussi, a-t-il pris le temps d'aller saluer, avant tout le monde Louise Brissette, une citoyenne de la région de Québec qui s'est donné pour mission d'adopter un grand nombre d'enfants handicapés.
À plusieurs reprises hier, Marc Ouellet a semblé très ému. Avec la chaleur accablante qui régnait dans l'église, il était toutefois difficile de discerner les larmes des gouttes de sueur perlant sur son visage pendant la cérémonie.
«Ah! Quelle belle célébration n'est-ce pas? J'ai le coeur rempli de gratitude et d'émotion, et je remercie tous mes fidèles. Je vais garder un merveilleux souvenir de Québec», a-t-il brièvement déclaré aux médias à la fin de la messe.
Le cardinal n'a pas accordé d'entrevue hier, mais il compte le faire d'ici à son départ le 30 août. On ignore pour l'heure qui sera appelé à le remplacer à la tête du diocèse de Québec. Au dire du nonce apostolique, on attend son départ effectif pour se pencher sur la question.
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