L'art de la mort

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Anya
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L'art de la mort

Message par Anya »

Publié le 26 août 2010 à 05h00 | Mis à jour le 26 août 2010 à 05h00
L'art de la mort

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Mario Roy
La Presse

Dans la salle d'exposition, on voit des gens de tous les âges. Les plus jeunes sont venus voir par curiosité, pourrait-on dire, ce qu'est la mort. Ce qu'est un mort. Les plus vieux, qu'on ne peut s'empêcher d'observer à la dérobée, contemplent avec gravité les images d'un inévitable futur qui, d'évidence, les interpelle.

L'exposition À la vie, à la mort est présentée jusqu'au 6 septembre au Musée des religions du monde, à Nicolet.

Oeuvre du portraitiste Walter Schels et de la journaliste Beate Lakotta, elle est constituée des photographies de 26 personnes, prises peu avant puis peu après leur décès. De courts textes décrivent leurs ultimes réflexions, dominées par l'étonnement et l'incompréhension.

Ce n'est évidemment pas une exposition facile à fréquenter. Mais elle est nécessaire.

La mort semble ne plus exister, en effet. Le sujet est banni des conversations. On meurt en institution, soustrait aux regards, en un banal épisode techno-médical. Les dépouilles ne sont plus exposées, mais rapidement incinérées. Les cendres, qui n'ont plus rien d'humain, sont enfouies dans des urnes discrètes.

Rien de cela n'est vraiment normal.

La preuve, c'est que la mort effraie comme jamais dans le passé parce qu'elle n'est plus enseignée, pour ainsi dire, et ne fait plus partie du processus normal de la vie.

Dans la civilisation judéo-chrétienne, des «modes d'emploi» de la mort existaient dès le XVe siècle?: ainsi, Ars Moriendi, ou L'Art de la mort, a été publié en 1415 et ensuite réédité plus d'une centaine de fois. Ces guides étaient évidemment imbibés de bondieuseries?: comment faire autrement puisque c'est précisément la conscience de la mort qui a entraîné l'invention de tous les dieux et de toutes les religions?

Or, le vacuum créé par le recul de la foi religieuse dans la plupart des sociétés développées n'a pas été comblé par ce qui aurait dû être un corpus laïque, humaniste, destiné à pacifier la mort. Une telle chose n'existe pas. À la fois médecin et essayiste, Atul Gawande dit: «Au cours des dernières décennies, la médecine a rendu caducs des siècles d'expérience, de tradition, de discours sur notre mortalité et a créé une nouvelle difficulté pour le genre humain: réapprendre comment mourir» (dans The New Yorker, notre traduction).

De sorte que, pour l'instant, chacun marche à tâtons et dans la douleur sur le chemin menant à sa propre fin.

C'est le cas, actuellement, du journaliste et essayiste britannique Christopher Hitchens, auteur de Dieu n'est pas grand, un des pères de ce qu'on appelle maintenant le Nouvel athéisme, atteint à 61 ans d'un cancer probablement incurable. Il en parle avec franchise et profondeur ce qui, venant de lui, est d'un grand intérêt (voir à ce sujet et au sujet de ses mémoires, Hitch-22, le blogue de l'édito sur Cyberpresse).

En banlieue de Québec, il y a quelques jours, un couple âgé s'est donné la mort en un pacte de suicide, déduit-on. On se demande en pareil cas: peut-on se suicider pour ne pas avoir à affronter une mort plus dure encore? Ce n'est pas absurde: le cas est fréquent chez les soldats en mission risquée, par exemple, ou chez certains malades qui se savent condamnés.

Que faire devant une telle détresse? En un mot, peut-être: moins de médecine invasive et inutile, plus de secours humains et de choix laissés à celui qui va mourir; moins de fabulation ésotérique et plus de tendresse. Davantage de lieux de mort comme il y a des lieux de naissance (ou mieux encore: plus de soutien à domicile). Davantage d'aide psychologique.

Et, surtout, surtout: un retour de l'acceptation et de la présence de la mort dans la vie.


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Anya
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Re: L'art de la mort

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Publié le 28 août 2010 à 06h00 | Mis à jour à 06h00
Seul face à la mort

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Marcel Boisvert

L'auteur est médecin en soins palliatifs à l'hôpital Royal Victoria.*

Mourir n'est jamais facile et l'entourage (proches et soignants) - en dépit des apparences - ne contredit pas le mot de Pascal: «On meurt seul.» On meurt seul parce que seul le mourant entre, de tout son être, dans le mystère de la mort. Car «il est loin d'être évident que quelqu'un parmi nous sache vraiment comment aider les mourants à maintenir leur intégrité quand ils sentent leur désintégration, quand leurs relations se désagrègent et quand nous-mêmes les connaissons trop peu et trop superficiellement pour raviver leur appartenance et leur dignité (ma traduction d'un passage d'un éditorial du bioéthicien David Roy).

À la tâche des proches et des soignants s'ajoute une autre dimension, que la psychanalyste Marie-Madeleine Davy a bien cernée dans Un itinéraire. Confrontée à sa propre mort lors d'une hospitalisation, elle écrit: «J'ignorais que le vivant et le pré-mort ne peuvent communiquer; aucune frontière ne les relie. L'un et l'autre n'appartiennent pas au même temps.» D'où ma réticence face aux prétentions que toute demande d'euthanasie ne puisse avoir d'autre signification qu'un appel de détresse, qu'un appel à la compassion. Je crois qu'elle a raison et que nous, soignants, croyons trop facilement qu'écouter, c'est comprendre... et que quelques semaines d'écoute suffisent. Qu'au bout de trois millénaires, tous les grands penseurs et mystiques n'aient rien déchiffré de plus valable sur la mort m'incite à prédire qu'il en sera toujours ainsi. Nous devons accepter une part de mystère.

Mais aujourd'hui, face à la mort, comment ne pas être seul, ne pas se sentir seul, quand la dégradation physique rétrécit l'espace vital au quadrilatère du lit; quand la faiblesse impose un langage laconique; quand les facultés ralentissent et limitent le malade au sensoriel et aux sentiments. Toute la poésie décrit des sentiments, mais les sentiments s'échangent-ils?

Une coïncidence m'a fait te relire... Tu te réfères au médecin interniste Eric Cassell qui, en 1982, écrivit son célèbre article The Nature of Suffering and the Goals of Medicine. Une première et magistrale incursion au coeur même de la souffrance, mystérieuse, qui prend racine au-delà d'une certaine progression de la maladie et fabrique sa vie propre, inextricablement imbriquée dans la biographie du malade, indéchiffrable sans une connaissance intime de son histoire. Oui, en 1982, on savait très peu de choses sur la nature de cette souffrance (NDLR?: le sida), difficile à soulager, qui tenait les soignants à distance. Cassell avait raison de s'affliger du sort des grands malades dont la vie s'achevait, bien tièdement accompagnés, enrobés dans leur souffrance. Grâce à lui, des progrès significatifs ont été accomplis dans l'accompagnement de cette souffrance globale, laquelle change son nom pour «indignité» quand elle devient intolérable. Nul doute, on accompagne mieux maintenant. L'indignité profonde ressentie par certains patients cède du terrain à la compassion et à la «thérapie de la dignité» introduite par le psychiatre Chochinov. Mais en faire un remède miracle serait impudent.

La souffrance qui ne peut être soulagée

Rien n'est parfait. D'où ma question née de tes propos rapportés dans L'actualité médicale en 2009: «La plupart des malades qui m'ont demandé l'euthanasie avaient une expérience de vie remplie d'une souffrance intense dans laquelle il n'y avait pas eu de main tendue.»

Comme toi, je sais d'expérience que ces mal-aimés sont les plus susceptibles de répondre positivement à la main tendue... mais pas tous. Ma question concernait ceux et celles - parmi ces patients - qui se situent en marge de «la plupart», et qui font écrire au grand théologien Paul Tillich: «Elles sont plus nombreuses qu'on pense les personnes pour qui la notion de suicide ne s'adresse pas à ceux que la vie a vaincus mais à ceux qui ont triomphé de la vie et qui sont également capables de vivre et de mourir et de choisir librement entre les deux.» Aujourd'hui, je vois que Cassell lui-même insiste sur l'impossibilité de soulager tous les grands malades qui souffrent au-delà du supportable. Dans When Suffering Patients Seek Death (texte que j'ignorais avant de t'écrire), il avait, avant moi, posé la même question: «Que doit-on faire pour les malades dont la douleur et la souffrance demeurent non soulagées et qui se situent en dehors de la plupart»?

Ailleurs dans ce même article, Cassell écrit: «La souffrance de certains mourants est non soulageable parce que ses sources sont inaccessibles, cachées au plus profond d'eux-mêmes... Croire qu'on peut soulager toute souffrance dénote une incompréhension de la souffrance et de ses sources... Les plus expérimentés en soins palliatifs le reconnaissent.» Il termine en écrivant: «Quand des mourants demandent une aide à mourir pour être délivrés de souffrance non soulagée et que leur demande est conforme aux balises, cette demande devrait être exaucée» (c'est moi qui traduis). Évidemment, tu le sais, je souscris à cette opinion.

Je serai toujours d'accord avec toi, Serge: la compassion doit être une priorité absolue, mais elle ne doit pas avoir inconditionnellement le dernier mot, surtout si elle se traduit par une «condamnation à vivre» contre tout désir du mourant. Tu t'inspires à bon droit de Cassell (bien qu'il souscrive ?au besoin à l'euthanasie), mais quand la souffrance résiste à tous nos efforts, que devancer la mort est conforme aux valeurs intimes du mourant et qu'il le demande lucidement, l'euthanasie n'est pas «une démission de nos communautés humaines face à la souffrance», comme tu me l'écrivais jadis. Au contraire, comme l'a toujours prescrit la Dre Cicely Saunders, celle-là même qui a créé l'approche palliative, il s'agit d'une compassion qui accepte de rencontrer le malade sur son terrain, plutôt que de lui imposer le nôtre.

* Ce texte est tiré d'un échange de lettres entre le Dr Boisvert et son collègue Serge Daneault, qui exerce la médecine palliative à domicile à Montréal et à l'unité de soins palliatifs de l'hôpital Notre-Dame du CHUM. Cet échange est publié sous le titre Être ou ne plus être - Débat sur l'euthanasie, aux Éditions Voix Parallèles. Le livre sera en librairie à compter de jeudi.

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Beppo
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Re: L'art de la mort

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Publié le 31 août 2010 à 07h22 | Mis à jour à 07h24

Désir de mort

Lysiane Gagnon
La Presse

Incroyable, ce sondage qui nous apprend que 71% des Québécois veulent légaliser l'euthanasie et le suicide assisté. Incroyable, oui, qu'à propos d'une question aussi délicate et complexe - une question où interviennent les valeurs morales les plus profondes -, il se trouve autant de gens en faveur d'une solution aussi radicale. On sait bien que le Québec a jeté la religion à la poubelle, mais enfin, est-ce qu'il ne devrait pas en rester un petit vestige? Quelque chose comme le respect de la vie?

Deux facteurs pourraient expliquer cet engouement populaire pour le suicide assisté. D'abord, la question de Léger Marketing était biaisée: «Croyez-vous que la décriminalisation de l'euthanasie et du suicide assisté serait le bon moyen d'aider les gens à mourir dans la dignité?». On associait donc le suicide et l'euthanasie avec le concept de dignité.

Une autre raison pourrait expliquer l'apparente légèreté de la population face à ces enjeux très graves. Comme le disait le Dr Patrick Vinay, directeur des soins palliatifs au CHUM, lors d'une interview, peut-être qu'une bonne partie des répondants ont cru que la question portait sur l'acharnement thérapeutique. Ils auraient confondu l'euthanasie avec l'interruption des moyens utilisés pour maintenir artificiellement en vie un patient déjà condamné. La plupart des gens sont, avec raison, contre l'acharnement thérapeutique, mais cela n'a rien à voir.

Interrompre un traitement inutile, agressif et déshumanisant - débrancher les appareils sans lesquels le patient serait déjà mort -, ce n'est pas du tout la même chose que d'administrer une médication qui aura pour effet de faire mourir le patient.

Il est vrai qu'en cette matière, il y a place pour bien des nuances. Le médecin qui augmente la dose de morphine pour soulager les douleurs intolérables d'un patient en fin de vie sait que ces doses élevées pourraient hâter le décès, mais cette sorte d'euthanasie passive n'est pas l'euthanasie proprement dite, qui est un acte effectué non pas pour alléger la souffrance, mais dans le seul but de provoquer la mort du patient.

Le Québec est (presque) tout entier embarqué dans le train du suicide assisté. Bien qu'il s'agisse d'une matière relevant du code criminel, donc du fédéral, le gouvernement Charest veut mettre son grain de sel, et une commission consultative itinérante sur la façon d'aborder la fin de la vie tiendra à l'automne des audiences publiques dans 11 villes. À la Chambre des communes, c'est encore le Québec qui pousse à la roue, par l'intermédiaire du Bloc, qui en est à son troisième projet de loi sur la question.

Si le Collège des médecins est plutôt réservé, la grosse locomotive de la Fédération des médecins spécialistes est en marche depuis un an, sur la foi d'un sondage qui indiquerait qu'une majorité de ses membres (parmi les 23% qui y ont répondu) souhaite voir l'euthanasie encadrée par une loi.

Le fait qu'une fédération de médecins soit le principal promoteur de l'euthanasie est quelque peu troublant. Qu'ils veuillent clarifier la situation et s'éviter des poursuites, dans un contexte où, effectivement, l'euthanasie passive est souvent discrètement pratiquée, cela se comprend. Mais est-ce que leur serment ne les engage pas à maintenir la vie plutôt qu'à inventer des façons de donner la mort? Ne devraient-ils pas plutôt travailler sur le contrôle de la douleur?

Doute insidieux: certains d'entre eux seraient-ils excédés de voir des patients s'accrocher à leur misérable vie alors qu'on manque de lits aux soins intensifs? D'accord pour le débat, mais qu'on le fasse prudemment, en ayant aussi à l'esprit les effroyables abus que pourrait entraîner la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté.

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Beppo
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Re: L'art de la mort

Message par Beppo »

Serge Daneault a commis un texte dans La Presse de lundi le 30 août 2010 en page A 15 sous la rubrique « Forum ». Le texte intitulé « Une loi est insuffisante » se trouve, selon ma compréhension, une réponse au texte précédent signé par Marcel Boisvert. Je ne parviens pas à trouver le texte pour le moment mais dès que je le pourrai, je le mettrai à votre disposition.

:)



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Cass!
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Re: L'art de la mort

Message par Cass! »

Je revois mon grand pere, 92 ans, malade comme un chien, il vomissait tout ce qu'il mangait, incontinent, a la fin nourris par intubation, il voulait tellement mourrir, il pleurait quand on allait le voir en demandant pourquoi le bon dieu ne venait pas le chercher, honnetement si ca m'avait été possible je lui aurais fait ce cadeau moi, ca aurait été une délivrence pour lui, je suis certaine qu'il aurait fait son dernier souprir avec un sourire sur les levres voulant dire enfin c'est fini...

De toute facon l'euthanasie existe déja, c'est quoi d'administrer tellement d'anti douleur que finalement les patients finisse par en mourrir, c'est quoi ca sinon de l'euthanasie détourner?

Personnellement j'aurais aimé bien mieux pouvoir faire un conseil de famille et dire ok ca pu de bon sens s'il veut partir nous allons le laisser partir et l'aider a le faire, ben non a la place nous avons du attendre des semaines et des semaines avant que la mort finisse par venir le chercher.

Pauvre homme a quelques part je trouve ca inhumain de terminer sa vie comme ca, il n'avait pas mériter partir dans d'aussi grande douleur et d'en etre conscient et lucide sauf dans les dernieres journées :(.
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Anya
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Re: L'art de la mort

Message par Anya »

Publié le 05 septembre 2010 à 13h46 | Mis à jour le 06 septembre 2010 à 07h30
Mourir dans la dignité: les citoyens se prononcent dès demain

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Lia Lévesque
La Presse Canadienne
Montréal

Après avoir entendu des experts, le printemps dernier, la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité écoutera ce que les citoyens du Québec ont à dire à ce sujet, à compter de mardi, à Montréal.

Le refus de traitement, l'acharnement thérapeutique, l'euthanasie, l'arrêt de traitement et les soins palliatifs sont au nombre des thèmes qui seront abordés par la commission spéciale, créée par l'Assemblée nationale.

Finalement, ce sont huit villes, et non plus 11 comme prévu au départ, qui seront visitées par la commission, soit Montréal, Québec, Gatineau, Saint-Jérôme, Sherbrooke, Rimouski, Trois-Rivières et Saguenay.

La question ne fait pas qu'intéresser les citoyens, elle les passionne, a rapporté en entrevue avec La Presse Canadienne le président de la commission, le député libéral Geoffrey Kelley. «Juste comme preuve de l'intérêt, je pense qu'on est rendu à 230 mémoires reçus et 60 demandes d'intervention.»

Et la commission a aussi tâté le pouls des citoyens par Internet. «Règle générale à l'Assemblée nationale, si on a 500 répondants à un questionnaire en ligne, on est assez heureux. On est pas loin de 4000, maintenant», a relaté le député de la circonscription de Jacques-Cartier.

Pour guider le public, la commission a d'ailleurs produit un document de réflexion, qui dissipe la confusion entre l'acharnement thérapeutique, l'aptitude à consentir aux soins, l'arrêt de traitement, l'euthanasie, le refus de traitement, la sédation palliative, la sédation terminale, les soins palliatifs, le suicide assisté et le testament de vie.

L'euthanasie et le suicide assisté relèvent du gouvernement fédéral, puisqu'ils sont considérés comme des actes criminels dans le Code criminel. Toutefois, ce sont les provinces qui appliquent les dispositions du droit criminel, donc qui décident ou non d'intenter des poursuites criminelles ou pénales, rappelle-t-on dans ce document de réflexion.

Or, «depuis une vingtaine d'années, les sentences rendues par les tribunaux canadiens en matière d'euthanasie et de suicide assisté sont souvent légères, voire symboliques», écrit-on dans le document.

M. Kelley fait aussi valoir que des aspects connexes relèvent de la compétence provinciale, comme le code de déontologie des médecins et l'offre de soins palliatifs. «Il y a beaucoup de zones qui sont de la responsabilité provinciale.»

Mais si la commission en venait à la conclusion qu'il faudrait modifier le Code criminel, elle pourrait formuler une recommandation en ce sens au gouvernement fédéral. Le député Kelley insiste toutefois sur le «si» et assure qu'aucune voie n'est encore privilégiée. «On n'en est pas là encore. Je veux assurer la population: «on veut vous écouter; il n'y a pas de décision prise'. Nous sommes en mode d'écoute.»

Jusqu'ici toutefois, le gouvernement fédéral s'est montré fermé. Un projet de loi à ce sujet, déposé par la députée bloquiste Francine Lalonde, a été rejeté en avril dernier par 228 voix contre 59. Le projet proposait de modifier le Code criminel pour permettre à un médecin d'aider une personne qui éprouve des douleurs physiques ou mentales aiguës, sans perspective de soulagement, ou qui est atteinte d'une maladie en phase terminale «à mourir dignement quand elle y consent de façon libre et éclairée».

À la toute fin de ses audiences publiques, la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité rédigera un rapport, qu'elle soumettra à l'Assemblée nationale. Elle compte 15 membres provenant des quatre partis politiques représentés au parlement.

«On va essayer de refléter ce qu'on a entendu. Est-ce que ça peut inclure une recommandation dirigée vers le gouvernement fédéral? Moi je ne l'exclus pas. Je pense que même au niveau fédéral, il faut respecter le sérieux de notre processus. Ça va être une grande consultation», a conclu le président de la commission.

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MsPontchartrain
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Re: L'art de la mort

Message par MsPontchartrain »

J'aimerais bien aller voir l'exposition sur la mort ... autrefois c'était une pratique très courante que de photographier et d'exposer ainsi les défunts, parfois même en famille (avec les vivants). Aujourd'hui, on tente d'expulser la vieillesse, la maladie et la mort hors du champ visuel de la société, alors qu'autrefois on vivait constamment en sa présence. Je ne trouve pas cela morbide, je pense que c'est plutôt une occasion de méditer sur la mort et pourquoi pas, y voir une certaine sérénité ?
.anthurium.
Seigneur de la Causerie
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Re: L'art de la mort

Message par .anthurium. »

Beppo a écrit : Publié le 31 août 2010 à 07h22 | Mis à jour à 07h24

Désir de mort

Lysiane Gagnon
La Presse

Incroyable, ce sondage qui nous apprend que 71% des Québécois veulent légaliser l'euthanasie et le suicide assisté. Incroyable, oui, qu'à propos d'une question aussi délicate et complexe - une question où interviennent les valeurs morales les plus profondes -, il se trouve autant de gens en faveur d'une solution aussi radicale. On sait bien que le Québec a jeté la religion à la poubelle, mais enfin, est-ce qu'il ne devrait pas en rester un petit vestige? Quelque chose comme le respect de la vie?

Deux facteurs pourraient expliquer cet engouement populaire pour le suicide assisté. D'abord, la question de Léger Marketing était biaisée: «Croyez-vous que la décriminalisation de l'euthanasie et du suicide assisté serait le bon moyen d'aider les gens à mourir dans la dignité?». On associait donc le suicide et l'euthanasie avec le concept de dignité.

Une autre raison pourrait expliquer l'apparente légèreté de la population face à ces enjeux très graves. Comme le disait le Dr Patrick Vinay, directeur des soins palliatifs au CHUM, lors d'une interview, peut-être qu'une bonne partie des répondants ont cru que la question portait sur l'acharnement thérapeutique. Ils auraient confondu l'euthanasie avec l'interruption des moyens utilisés pour maintenir artificiellement en vie un patient déjà condamné. La plupart des gens sont, avec raison, contre l'acharnement thérapeutique, mais cela n'a rien à voir.

Interrompre un traitement inutile, agressif et déshumanisant - débrancher les appareils sans lesquels le patient serait déjà mort -, ce n'est pas du tout la même chose que d'administrer une médication qui aura pour effet de faire mourir le patient.

Il est vrai qu'en cette matière, il y a place pour bien des nuances. Le médecin qui augmente la dose de morphine pour soulager les douleurs intolérables d'un patient en fin de vie sait que ces doses élevées pourraient hâter le décès, mais cette sorte d'euthanasie passive n'est pas l'euthanasie proprement dite, qui est un acte effectué non pas pour alléger la souffrance, mais dans le seul but de provoquer la mort du patient.

Le Québec est (presque) tout entier embarqué dans le train du suicide assisté. Bien qu'il s'agisse d'une matière relevant du code criminel, donc du fédéral, le gouvernement Charest veut mettre son grain de sel, et une commission consultative itinérante sur la façon d'aborder la fin de la vie tiendra à l'automne des audiences publiques dans 11 villes. À la Chambre des communes, c'est encore le Québec qui pousse à la roue, par l'intermédiaire du Bloc, qui en est à son troisième projet de loi sur la question.

Si le Collège des médecins est plutôt réservé, la grosse locomotive de la Fédération des médecins spécialistes est en marche depuis un an, sur la foi d'un sondage qui indiquerait qu'une majorité de ses membres (parmi les 23% qui y ont répondu) souhaite voir l'euthanasie encadrée par une loi.

Le fait qu'une fédération de médecins soit le principal promoteur de l'euthanasie est quelque peu troublant. Qu'ils veuillent clarifier la situation et s'éviter des poursuites, dans un contexte où, effectivement, l'euthanasie passive est souvent discrètement pratiquée, cela se comprend. Mais est-ce que leur serment ne les engage pas à maintenir la vie plutôt qu'à inventer des façons de donner la mort? Ne devraient-ils pas plutôt travailler sur le contrôle de la douleur?

Doute insidieux: certains d'entre eux seraient-ils excédés de voir des patients s'accrocher à leur misérable vie alors qu'on manque de lits aux soins intensifs? D'accord pour le débat, mais qu'on le fasse prudemment, en ayant aussi à l'esprit les effroyables abus que pourrait entraîner la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté.

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Je ne sais pas si on parle du même sondage mais on m'a dit que l'on demandait au gens si ils étaient pour le suicide assisté ou l'eutanasie et si on ne répondait pas on ne pouvaient plus passer à la question suivante. Si c'est exact on est en train de se faire rouler dans la farine.
On veux nous faire entrer dans la gorge cette culture de-je-tue-mon-prochain-par-compassion
Prière et chant religieux
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Beppo
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Re: L'art de la mort

Message par Beppo »

Publié le 07 septembre 2010 à 05h00 | Mis à jour à 05h00

Est-ce bien nécessaire?

Pierre Foglia
La Presse

Parlant d'euthanasie, parlons de mon ami Pierre qui m'a convoqué un jour pour me dire: il me reste un an.
Cela avait commencé par un nodule sur un poumon, il y avait eu aussi des pontages, il fumait beaucoup.

Puis on lui a diagnostiqué un cancer de la prostate, ce qui ne l'avait pas tant ralenti, l'hiver en Floride, le golf l'été, son paquet de cigarettes par jour. Cela pendant deux ou trois ans, jusqu'à cette annonce qui m'avait tétanisé, un midi, dans un resto de Granby où nous avions nos habitudes: il me reste un an, peut-être pas.

Il avait décidé avec son médecin de ne plus recevoir de soins. Entendons-nous sur les termes, ils sont importants dans ce débat: son médecin et lui avaient convenu d'interrompre le traitement de sa maladie. On ne s'occuperait que de sa douleur. Une sédation progressive, des doses de plus en plus fortes de morphine jusqu'à «la shot finale».

Ici un flou: la sédation précédait-elle la maladie, la tirait-elle comme un cheval qui tire sa carriole de plus en plus vite à mesure qu'il sent l'écurie, ou bien se contentait-elle de suivre son évolution?

Tout ce que je sais, c'est que nos rendez-vous ont continué, pas tristes du tout. Je me souviens d'un fou rire qui nous avait saisis un midi quand je lui avais dit qu'il me faisait penser à une boîte de petits pois avec une date de péremption dessus.

T'as mal?

Avec ça, non, il avait posé sur la table, à côté de son verre de vin, une boîte de pilules, blanches je crois.

Nos derniers rendez-vous ont eu lieu chez lui. Trop affaibli pour le resto, il marchait difficilement, mais il était assez serein, je me souviens d'une fois où nous parlions d'un combat de boxe, Pacquaio contre je ne sais plus qui, qui aurait lieu en mai, il avait dit d'un ton plat, sans émotion particulière: je ne serai plus là.

Il est resté chez lui jusqu'à la fin, il était inconscient quand on l'a transporté à l'hôpital de Granby où il est mort dans les 24 heures.

Autre petit flou: y a-t-il bien eu une «shot finale» ? Si oui, a-t-elle abrégé la vie de mon ami d'une journée? Deux? Une semaine, un mois, deux mois?

On s'en fout parce que de toute façon - une journée ou un mois -, c'était bien mieux comme ça. On s'en fout sauf que cela fait partie du débat: qu'est-ce que l'euthanasie et qu'est-ce que cela n'est pas?

Pour la plupart des gens, l'euthanasie n'est pas ce que je viens de raconter. Pour la plupart des gens, l'euthanasie, c'est si le médecin, à la requête de mon ami, lui avait fait une ordonnance pour une potion finale: couic, c'est fini.

Doit-on voter une loi qui permette à un malade de mettre fin à sa vie dès lors qu'il se sait condamné? Dieu que je n'ai pas envie de ce débat-là. Dieu que je n'ai pas envie d'une autre engueulade qui ressemblerait tellement à celle sur l'avortement, entre humanistes cathos - la vie est sacrée - et humanistes libertaires - mon corps m'appartient. Juste à l'idée de ce qu'ils vont se dire, j'ai envie d'aller faire un tour de vélo.

Pour ou contre une loi qui permettrait l'euthanasie? J'ai envie de poser une question préliminaire, j'ai envie de demander: est-ce bien nécessaire? Pour l'essentiel, ne vit-on pas déjà dans l'esprit de cette loi qui n'existe pas?

Le parcours de fin de vie de mon ami Pierre, dans son ordinarité même, ne témoigne-t-il pas d'une pratique très, très répandue au Québec, au Canada, un peu partout en Europe?

1 - La liberté de choisir de ne plus recevoir de soins, ce qui est déjà un formidable raccourci. 2 - L'assurance donnée par le médecin qu'on ne souffrira pas et qu'on ne traînera pas en chemin. 3 - La shot finale pour finir ça en toute humanité.

Ce n'est pas légal, dites-vous. Vous êtes sûr? Des médecins de mes amis m'ont déjà dit que, au-delà d'une certaine dose, le remède contre la douleur rapproche aussi de la fin, la shot extrême est donnée pour soulager la douleur extrême, et voyez comme ça tombe bien, elle met fin aussi à la vie du souffrant. Ici les médecins parlent de double emploi, à moins que ce soit de double effet, je ne me souviens plus.

Je repose ma question, est-ce bien nécessaire d'inscrire dans un article de loi ce qui se pratique couramment: médecins et patients s'entendant pour ne pas prolonger indûment une vie qui n'a plus ni sens, ni qualité, ni dignité.

On est loin, c'est vrai, du couic-c'est-fini des cliniques suisses. De l'ordonnance d'une kill pill au Colorado. Du froid légalisme des Hollandais: vous voulez mourir, monsieur? Signez ici.

Il y a de l'exécution capitale dans le droit officiel, inscrit dans la loi, à l'euthanasie. Je trouve le demi-mot, le non-dit, le non-signé, le tacite tellement plus, comment dire? Tellement plus palliatif. Au médecin qui se présenterait à mon chevet avec un formulaire, signez là, je préfère le médecin qui me dira ne vous inquiétez pas, monsieur Foglia, dès qu'on ne pourra plus soulager vos douleurs, cela ira très vite. Je ne lui demanderai pas de détail.

Oui, mais si on tombe sur un médecin d'une autre école? Un de ceux-là qui font la leçon de vie aux mourants? Je demanderais d'en changer... Notons que des statistiques relevées lors des récents débats sur l'euthanasie au Québec nous disent que plus de 75% des médecins, des spécialistes et des étudiants en médecine sont en faveur de l'euthanasie. Du moins dans le flou thérapeutique où on la pratique chez nous.

Je ne suis pas contre une loi, je me demande seulement de quelle utilité elle sera pour le commun des mourants qui, pour peu qu'on leur épargne la souffrance, réclament de mourir dans la dignité, mais, le plus souvent, en même temps, de vivre encore un peu.

On parle beaucoup de ces cas extrêmes de malades végétatifs euthanasiés par des proches qui se retrouvent absurdement devant les tribunaux et en prison. Soit, passons une loi pour eux. Mais qu'on n'imagine pas une loi qui permettra à la jeune femme dans la trentaine qui vient d'apprendre qu'elle a le parkinson, ou au monsieur de 65 ans au début encore conscient de la maladie d'Alzheimer, qu'on n'imagine pas, disais-je, une loi qui permettra à ceux-là de réclamer la kill pill.

Oubliez ça. Même les cliniques suisses où l'on pratique (à grand prix!) le suicide assisté ne recevraient pas la jeune femme de mon exemple ni le monsieur au début de l'alzheimer. La jeune femme ne pourra se rendre en Suisse qu'au bout de son calvaire. Quant au monsieur alzheimer, jamais. Parce que jamais il ne pourra donner son consentement.

Des fois, pour mourir, on ne peut compter que sur soi-même. Cela s'appelle le suicide.

NOTA BENE - Vraiment, mais alors là vraiment rien à voir, cette chronique vous reviendra vendredi, samedi et lundi prochains dans le cahier des sports, elle parlera de vélo et de la gang du Tour de France en représentation chez nous jusqu'à dimanche.

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Placeress
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Re: L'art de la mort

Message par Placeress »

J aime bien le texte de Foglia.... je suis en accord...

La seule chose, c est que certains medecins ne sont pas a l aise avec le fait qu ils prennent la decision eux-meme sans rellement etre appuye legalement. Car actuellement, un famille pourrait poursuivre pour une surdose d analgesique qui aurait cause la fin de la vie prematurement. Donc pour certains, c est lourd a porter comme fardeau.
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Thewinneris
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Re: L'art de la mort

Message par Thewinneris »

Moi aussi je trouve le témoignage et analyse de Pierre Foglia plein de bon sens! Pas besoin d'ouvrir un grand débat, juste peut-être d'ajouter quelques termes pour protèger les médecins et comme le dit monsieur Foglia, ne pas condamner ceux qui abgrège la vie d'un proche qui est végétatif. Mais laisser le reste comme c'est présentement!
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Beppo
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Re: L'art de la mort

Message par Beppo »

Publié le 08 septembre 2010 à 07h35 | Mis à jour à 07h37

Sartre et Camus au temps de l'euthanasie

Nathalie Petrowski
La Presse

Avec sa couverture qui rappelle un dépliant de CLSC, ses caractères d'impression tellement petits et serrés que leur lecture peut facilement rendre bigleux et une facture graphique qui confine à l'ennui, Être ou ne plus être des médecins Marcel Boisvert et Serge Daneault n'est pas un livre qu'on a tout de suite envie de lire. Ajoutez à cela deux auteurs qui, d'entrée de jeu, se comparent à Sartre et Camus et qui le font autour d'un sujet - l'euthanasie - qui pèse trois tonnes et voilà réunies plusieurs bonnes raisons de fuir cet ouvrage comme la peste.

Mais sachez que la fuite serait une erreur. Une très grave erreur. Car ce livre qui n'a l'air de rien, ce livre qui ne paie pas de mine, est en réalité un trésor.

Fruit d'une correspondance entre deux médecins pour qui les malades en fin de vie n'ont plus aucun secret, Être ou ne plus être est un livre passionnant. En fait, c'est mieux qu'un livre passionnant. C'est un grand livre, écrit par deux hommes, semblables mais opposés qui, en plus d'être des praticiens d'expérience, sont des intellectuels brillants et vigoureux, des écrivains sensibles et engagés et enfin, des philosophes capables de s'élever au-dessus du débat primaire et de son chapelet de pour et de contre, pour embrasser chacun de son côté avec ses idées, ses convictions et ses divergences, la formidable complexité entourant la question de l'euthanasie.

Bref, ce à quoi Marcel Boisvert et Serge Daneault nous convient est un débat de haut niveau dont devraient s'inspirer tous ceux qui se préparent à aller témoigner à la commission sur l'euthanasie.

D'entrée de jeu, dans cet aller-retour épistolaire qui n'est jamais aride à lire et qui pourtant ne fuit pas la profondeur, le lecteur aura sans doute le réflexe de donner raison à celui qui partage sa position sur l'euthanasie. C'est ce qui m'est arrivé. Viscéralement opposée à l'euthanasie, j'ai commencé par boire toutes les idées de Serge Daneault, qui fait de la médecine palliative depuis une trentaine d'années et encore aujourd'hui, notamment à l'unité de soins palliatifs de l'hôpital Notre-Dame.

Quand il déclare que l'euthanasie demeure à ses yeux la manifestation la plus triste du désespoir et qu'il faut inviter tous ceux qui souffrent à ne pas y céder, je ne peux qu'être d'accord. Idem lorsqu'il écrit: «Il y a une toute petite différence entre la sédation (palliative) et l'euthanasie mais elle est d'une importance capitale: dans le cas de la sédation (palliative), la médecine aide efficacement à supporter la souffrance. Dans celui de l'euthanasie, la médecine supprime la souffrance en supprimant la personne souffrante.»

Je partage enfin sa vision d'une civilisation qui définit l'être humain par ce qu'il fait et non par ce qu'il est, civilisation qui, dès lors que le peintre ne peut plus peindre ou que le prof ne peut plus enseigner, condamne ces derniers à la mort à plus ou moins brève échéance.

Reste que plus j'avançais dans Être ou ne plus être, plus les idées de Marcel Boisvert, qui fut longtemps à l'unité des soins palliatifs du Royal Vic, m'interpellaient et me touchaient malgré notre opposition face à l'issue finale. Son appel à la liberté de choix et son plaidoyer pour l'autodétermination du mourant qui, selon lui, n'a pas à être privé de sa propre mort par un état paternaliste, sont difficilement contestables. «Cette persistance paternaliste à servir la vie jusqu'au dernier souffle à l'encontre des valeurs du malade, prend les allures d'une idéologie: servir une idée au détriment d'un humain», écrit-il à juste titre dans une lettre qui fait subtilement ressortir le caractère religieux des arguments anti-euthanasie.

En fait, par une étrange osmose, j'en suis venue à adopter les idées du Dr Boisvert ou du moins à les comprendre et à en apprécier l'humanisme et l'intelligence. J'aurais dû, dans l'exercice, prendre mes distances des propos de Serge Daneault. Il n'en fut rien. Même si par moments, je me méfie de son côté curé, Daneault finit toujours par me rallier par la puissance d'une réflexion vivante et jamais désincarnée. Lors de sa dernière lettre à Marcel Boisvert, Daneault a l'humilité de conclure que ce sont en fin de compte les expériences de la vie et non pas les idées, qui forgent les opinions des êtres humains.

«Je dirais que la souffrance dont tu fus témoin dans ta vie t'a souvent paru ignoble et inacceptable. C'est pourquoi la perspective de la vivre et de la faire vivre te paraît scandaleuse», écrit-il à Boisvert, ajoutant: «Pour ma part, j'ai trop vu de fins de vie où l'inattendu survient sans avertir, où un bonheur ultime se glisse au détour d'un mot, d'un pardon, d'un dernier je t'aime, pour risquer une seule fois d'empêcher ce bonheur par la provocation délibérée de la mort.»

Ainsi se conclut un livre délicat et touchant, où personne n'est défait ni battu, où le débat entourant l'euthanasie perd en simplisme et en raccourcis ce qu'il gagne en richesse, en humanisme et en profondeur. Sartre et Camus n'auraient pas fait mieux.

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Fleur de Jasmin
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Re: L'art de la mort

Message par Fleur de Jasmin »

Foglia et Petrowski, très bons textes. :)

Perso, je suis 100% pour l'euthanasie passive, mais en ce qui concerne l'euthanasie active, pour moi c'est un gros non.

Je dirais même que lorsque l'on parle du suicide assisté, ou encore de l'euthanasie active, la phrase tant utilisée comme argument " le droit de mourir dans la dignité" me lève quasiment le coeur. :gla:
Si un jour tout ça devenait légal, rien qu'à penser à ceux et celles qui ne voudraient pas se prévaloir de ce droit, seraient peut être vue comme étant indignes et égoïstes !!! Bref, ça me met tout à l'envers, rien que d'y penser.

Privilégier les soins palliatifs, serait à mon avis, une solution beaucoup plus digne. :)
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Anya
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Re: L'art de la mort

Message par Anya »

Publié le 10 septembre 2010 à 12h12 | Mis à jour à 16h06
Euthanasie et suicide assisté: Québec «devrait laisser tomber les poursuites»

Sara Champagne
La Presse

Un professeur en médecine et un professeur émérite de la Faculté de droit de McGill estiment que le Québec devrait s'ouvrir à la possibilité de laisser tomber les poursuites criminelles en cas d'euthanasie ou de suicide assisté.

Selon eux, on pourrait s'inspirer de la Colombie-Britannique qui dans la foulée de l'affaire Sue Rodriguez, a émis une directive stipulant que dans certaines circonstances il n'y a pas lieu pour la province de déposer des poursuites.

Dr François Desbiens, professeur de médecine et candidat pour succéder au Dr Yves Lamontagne à la tête du Collège des médecins du Québec, a livré un témoignage très attendu en faveur de l'euthanasie, ce matin. Il estime que la Commission parlementaire doit baser ses recommandations sur le rapport d'experts du Collège qui en en sont venus à la conclusion qu'il existe «des situations exceptionnelles où l'euthanasie pourrait être considérée comme une étape ultime de soins et permettre aux médecins d'assumer leurs responsabilités.»

«Certains médecins craignent d'être poursuivis, il y a un malaise actuellement, a affirmé Dr François Desbiens. Pour sortir de notre ornière, il faut commencer par examiner l'avenue pour les procureurs de la province de ne pas intenter des poursuites. Le Québec est relativement en avance avec le reste du Canada grâce au nouveau code civil sur l'arrêt de traitement, mais les médecins pratiquent dans un contexte difficile.»

L'avocat Pierre Deschamps, spécialisé en droit privé et comparé, est allé dans le même sens en expliquant que ce ne sont pas tous les homicides qui méritent 25 ans de prison. «Tant qu'à ne pas avoir de mesure pour autoriser la mort assistée, une mesure pour ne pas encourager les poursuites seraient mieux que rien du tout. Ce serait arbitraire, on voit l'inconfort. Il faut se garder une petite gêne avant de permettre à quelqu'un de tuer quelqu'un, sauf qu'on a eu trois cas qui ont donné du fil à retordre à nos tribunaux »

M. Pierre Deschamps a fait référence au cas de Marielle Houle, accusée d'avoir encouragé son fils de 36 ans à se suicider, qui a finalement été condamnée à trois ans de probation sous conditions, en 2006. Il y aussi eu le cas de André Bergeron, accusé de tentative de meurtre sur sa conjointe, atteinte de l'ataxie de Friedreich, en 2006, dont l'accusation a été remplacée par une accusation d'aide au suicide.

Une douzaine de témoignages doivent être entendus aujourd'hui, lors de la dernière journée d'auditions à Montréal. Mais étant donné le flot de demandes d'interventions citoyennes, le président de la Commission, Geoffrey Kelly, a annoncé que d'autres audiences auraient lieu dans la région métropolitaine à la mi-octobre.

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Anya
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Re: L'art de la mort

Message par Anya »

Je change de commission
Lise Payette 10 septembre 2010 Actualités en société

Avec mes excuses au commissaire Bastarache, j'abandonne sa commission. Il y a trop d'avocats et d'avocasseries pour mon bonheur dans cet étalage d'ego surdimensionnés. J'ai un tel sentiment de temps perdu que je me dis qu'il est temps de passer à autre chose. Jean Charest voulait que le dossier s'enlise, il a réussi. Même les avocats vont finir par se demander ce qu'ils font là. On y fait la démonstration qu'une machine peut tourner sur elle-même sans jamais aller nulle part, et il m'arrive de penser que c'était le but ultime de la démarche.

L'autre commission, celle qui va maintenant retenir mon attention, ne sera probablement pas diffusée à longueur de journée par les télévisions généralistes et c'est dommage. Trop triste, tout ça, pour garder les téléspectateurs devant leur petit écran pendant des heures. Pourtant, les sujets dont on va discuter, l'euthanasie et la dignité de fin de vie, sont omniprésents dans nos préoccupations et concernent tous les membres de notre société sans exception. Nous allons tous mourir un jour ou l'autre. En attendant, nous allons voir disparaître des membres de notre famille ou des amis et les accompagner de notre mieux chez des médecins trop pressés, des hôpitaux débordés, en espérant leur procurer la guérison quand elle est possible, ou une fin dans la dignité quand ils auront fait leur choix.

Je me souviens d'un temps où les médecins, qui ne sont pas connus comme les plus progressistes des citoyens, ne voulaient même pas entendre parler d'euthanasie. Ils avaient cette attitude du «Éloignez de moi ce calice» qui les protégeait d'avoir à se prononcer. On dit qu'ils ont évolué. On dit même qu'aujourd'hui, c'est une grande majorité d'entre eux qui souhaitent tenir compte de l'opinion de leurs patients souvent exprimée clairement devant eux longtemps avant que la maladie ou l'âge ait fait des ravages, ou plus tard, quand la maladie a frappé et que ce qu'il reste de vie est compté.

Ceux et celles qui sont de foi catholique s'accrochent à l'idée du ciel, lieu de toutes les délices, allant de la fréquentation des anges aux retrouvailles avec les êtres aimés qui sont partis les premiers, sous l'oeil bienveillant de leur Dieu, ce beau vieillard avec sa barbe blanche. Dans une autre religion, on promet «de jeunes vierges» à la pelletée pour consoler d'une mort précoce, on a le droit de se demander où va s'arrêter la surenchère du paradis promis. Quand on a les deux pieds sur terre, la question se pose autrement. Comment souhaitons-nous finir notre vie, celle que nous avons, la seule que nous aurons? Quelle dose de souffrance sommes-nous prêts à accepter? Comment voulons-nous fermer les yeux pour toujours?

Comment faire savoir nos dernières volontés et à qui? On le fait bien pour ce qu'on possède, ces biens matériels qu'on souhaite transmettre, le vieux collier de ma tante Alice, les photos de mariage de grand-maman, la bague de ma mère... Comment faire en sorte que ce soit aussi clair pour la fin de notre vie? Comment voulons nous rendre notre dernier souffle, où et dans quelles conditions?

Le débat ne sera pas facile. Ceux et celles qui parleront le plus fort se réclameront de Dieu comme ils le font chaque fois. Mais quoi qu'ils disent, nous savons bien que les choses doivent changer pour permettre à chaque être humain qui le souhaite de déterminer sa fin de vie et de finir son passage sur cette terre dans la dignité.

Certains ont émis l'opinion qu'il n'était pas utile de parler de ces choses-là et qu'il valait peut-être mieux laisser les décisions se prendre comme elles se prennent déjà dans bien des cas par un médecin et son patient, les yeux dans les yeux, dans une chambre d'hôpital. Il faut reconnaître que cette façon de faire favorise les «happy few» qui connaissent bien le médecin, ou qui ont eu le temps d'établir une relation de confiance avec le soignant, ou qui finissent leur vie à la maison plutôt qu'à l'hôpital. Si les choses ne sont pas claires, il y aura toujours des malades souffrants qui paieront pour le manque de franchise sur la question.

Je préfère qu'on fasse la lumière sur ce dossier plutôt que de devoir me demander si la personne âgée qui se perd en forêt s'est vraiment égarée ou si elle n'a pas choisi d'en finir avec la vie tout simplement et n'a pas trouvé d'autre moyen pour mener sa décision à terme. Notre société est si hypocrite devant la souffrance qu'il faut aller au bout de la réflexion.

L'opinion de la société a beaucoup évolué sur ces questions au cours des dernières années. Cette commission parlementaire mériterait que la télévision joue son rôle et suive cette commission qui a l'appui de la majorité de la population. Elle doit servir à nous ouvrir les yeux avant de les fermer pour toujours.

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Beppo
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Re: L'art de la mort

Message par Beppo »

Publié le 10 septembre 2010 à 06h00 | Mis à jour à 06h00

Euthanasie: une très grave erreur

L'euthanasie et le suicide assisté ne sont pas nécessaires pour mourir dans la dignité si le patient est accompagné.

Caroline Girouard
L'auteure est médecin oncologue à l'hôpital Sacré-Coeur de Montréal. Caroline Girouard a livré un témoignage devant la Commission sur le droit de mourir dans la dignité, mercredi, au nom d'une trentaine de médecins et infirmières qui soignent les patients atteints de cancer. En voici des extraits.

C'est au nom des milliers de personnes que nous avons accompagnées jusqu'à la fin de leur vie, à cause des innombrables histoires, la plupart banales, mais chaque fois bouleversantes de vérité, que nous nous objectons fermement à toute forme de permission légale d'application de l'euthanasie ou du suicide assisté.

Si la possibilité d'une mort provoquée par le médecin - c'est-à-dire une euthanasie - avait été une option pendant ces moments-là, ces histoires auraient été complètement différentes, et fort probablement tragiques dans le sens le plus négatif du terme.

L'euthanasie et le suicide assisté ne sont absolument pas nécessaires pour mourir dans la dignité et ouvrir une porte à l'un ou à l'autre serait assurément une très grave erreur pour nos patients déjà vulnérables.

En 17 ans d'expérience, il n'y a pas eu, dans ma pratique, une seule demande soutenue et répétée d'euthanasie de la part d'un de mes patients. Des demandes ponctuelles dans certains moments plus difficiles physiquement ou émotivement, des moments de découragement, d'épuisement, j'en dénombre certainement moins de 10. Et aucune de ces demandes n'a persisté lors des rencontres qui ont suivi.

C'est sûr que, instinctivement et superficiellement, la perspective d'avoir une maladie mortelle, la peur d'être abandonné, de souffrir, la peur d'être un fardeau pour les autres sont tous des facteurs qui font dire au patient: «J'aimerais mieux mourir que de vivre cela.» Mais dans la vraie vie, dans nos bureaux, dans les chambres d'hôpital, que ce soit au moment du diagnostic, lors des traitements, lorsqu'il n'y a plus de traitement actif contre la maladie ou en fin de vie, cette demande ne persiste pas.

Prenons l'exemple d'une femme à qui vous annoncez le diagnostic de cancer du sein, soit au début ou encore lors d'une récidive en cancer généralisé. Quelle est la première réaction? C'est un monde qui s'écroule. La patiente est dévastée. Elle serait mutilée, perdrait ses cheveux, perdrait sa féminité, perdrait son travail en plus d'être malade à vomir jusqu'à ne plus pouvoir s'occuper d'elle-même et de sa famille. Et c'est normal de réagir comme ça devant une situation inconnue. Mais la patiente revient une ou deux semaines plus tard, vous êtes là, vous la reconnaissez, vous vous informez d'elle, répondez à ces questions, vous la rappelez à la maison. En deux mots, vous prenez soin d'elle.

Les patients ne sont pas abandonnés à eux-mêmes, et ils le sentent très bien. Petit à petit se développe une relation médecin-patient, une relation de confiance, de respect mutuel. Les patients sont contents de venir à leur rendez-vous et nous, on est contents de les voir. On avance ensemble à travers les difficultés et les moments plus faciles. Les patients nous font confiance parce qu'ils savent qu'on leur veut du bien. C'est pour ça qu'on est médecins.

Récemment, une étude publiée dans le New England Journal of Medicine démontrait qu'un suivi parallèle - oncologie et soins palliatifs - augmentait les chances de survie des malades atteints de cancer du poumon. Un malade accompagné est plus fort, physiquement et mentalement. La perception de sa valeur comme personne, sa tolérance à la douleur, aux effets secondaires des traitements ou aux complications de sa maladie, est complètement différente de celui qui vit ça tout seul.

Malheureusement, les soins palliatifs, à domicile ou à l'hôpital, sont encore bien peu développés chez nous. Mais c'est là qu'on doit agir, c'est là que les vrais besoins sont. Et les soins palliatifs ne sont pas seulement pour les patients en phase terminale, ils sont un appui extraordinaire pour les patients et leur famille tout au long de leur maladie.

C'est vrai qu'il arrive des moments où la douleur devient insupportable au fur et à mesure que la maladie évolue, ou que les patients ont de la difficulté à respirer au point de se sentir suffoqués (la détresse respiratoire). Mais on ne les laisse pas à leur agonie, on ne les abandonne pas, on appaise leur douleur avec des sédatifs. Dans ces cas-là, ce n'est pas nous qui tuons le malade, mais sa maladie.

Les infirmières et les médecins dans notre groupe pensent que la dignité d'une personne vient d'un rapport qui dit: tu es aimé. Et tuer, c'est toujours trahir cet amour.

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Anya
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Re: L'art de la mort

Message par Anya »

Publié le 11 septembre 2010 à 11h04 | Mis à jour à 11h06

Délivrez-nous de nos souffrances
Michèle Ouimet
La Presse

La pièce est immense, avec de grands lustres qui pendent du plafond. Environ 150 chaises sont alignées sur un tapis beige à motifs. En face, trois tables où siègent les 15 députés membres de la Commission sur le droit de mourir dans la dignité, tous partis politiques confondus.

C'est dans ce décor anonyme d'un hôtel de Montréal que la mort a rôdé. Toute la semaine, de 9h30 à 21h, les élus ont entendu des médecins, des infirmières, des représentants d'associations et des simples citoyens. Certains ont défendu avec passion le droit à l'euthanasie* et au suicide assisté, d'autres s'y sont opposés bec et ongles.

Et il y a eu des témoins qui ont parlé des horreurs de l'agonie avec une précision chirurgicale: les souffrances, la peur, le grand vertige existentiel. L'agonie toute nue, sans fard, brutale, effrayante.

Trois témoignages ont particulièrement remué les élus: sur la mort de Laurent Rouleau et de France Thériault, et sur le supplice de Nicole Gladu. Trois témoignages qui se résument en une phrase: délivrez-nous de nos souffrances dans la dignité en légalisant l'euthanasie ou le suicide assisté. S'il vous plaît.

Nicole Gladu a témoigné en fauteuil roulant. Elle souffre du syndrome dégénératif musculaire postpolio: ses muscles ne se régénèrent plus et chaque respiration lui siphonne toute son énergie. Il n'y a pas de cure. La lecture de son mémoire donne la chair de poule. Un mémoire coup-de-poing où elle affirme sans l'ombre d'une hésitation qu'elle veut mettre fin à sa vie avant de basculer «dans une existence de dépendance caricaturale».

Sauf qu'elle devra mourir dans la clandestinité ou à l'étranger, car la personne qui l'aiderait risque d'être condamnée à 14 ans de prison. Au Canada, l'euthanasie et le suicide assisté sont des crimes.

«De quel droit l'État peut-il prétendre décider à ma place des souffrances que je dois endurer?» a-t-elle dit.

Laurier Thériault a parlé de sa femme, France, morte à 42 ans de la maladie de Lou Gehrig. Une maladie qui, petit à petit, tue tous les muscles. Le malade meurt suffoqué, car il ne peut plus respirer. Par contre, il reste lucide. Il meurt enfermé dans un corps qui refuse d'obéir, seul, incapable de communiquer avec son entourage.

France est morte à l'hôpital, entourée de sa famille. C'est elle qui a choisi le moment de sa mort: le 24 septembre 2007. Le médecin l'a endormie avec une injection, puis un inhalothérapeute a éteint l'appareil respiratoire qui la maintenait en vie. Elle est morte quelques minutes plus tard.

Lucien Rouleau, lui, a vécu un cauchemar. À 59 ans, atteint depuis 15 ans de la sclérose en plaques, il s'est tiré deux balles dans le thorax avec sa vieille carabine de chasse. Il a attendu avant d'appeler le 911. Il voulait être certain de mourir.

À l'hôpital, les médecins ont voulu l'opérer. Il a protesté. Sauf que le droit de refuser un traitement ne s'applique pas aux gens qui tentent de se suicider. Il a fallu qu'un psychiatre convainque les médecins de ne pas intervenir. Il est mort dans les bras de sa femme 14 heures plus tard.

Alors, pour ou contre l'euthanasie?

***

Le Dr Ayoub, oncologue fort respecté, a parlé de son opposition farouche à l'euthanasie. Peu importe les souffrances physiques ou morales, peu importe l'état végétatif du patient, peu importe si la vie ne tient plus qu'à un fil, l'euthanasie est inacceptable, a-t-il dit aux élus. Ce n'est pas négociable.

Si le patient est athée et que la souffrance ne représente rien pour lui, doit-il l'endurer? Sa volonté de mourir ne prime-t-elle pas? Non, a répondu l'inflexible Dr Ayoub.

Plusieurs opposants à l'euthanasie sont croyants. Pour eux, la vie est sacrée. Point final.

D'autres craignent les dérives, l'absence de balises, l'euthanasie à toutes les sauces, sans garde-fou assez puissant pour empêcher les abus: la mort de patients pour libérer des lits et économiser de l'argent, la mort de vieux pour que la famille touche l'héritage plus vite ou soit libérée d'un fardeau trop lourd.

Mais les chiffres déboulonnent ces craintes. En Oregon, seulement 0,2% de tous les décès en 2009 étaient attribuables à des suicides assistés; en Belgique, ce chiffre a oscillé entre 0,2% et 0,8% de 2003 à 2009. Aux Pays-Bas, on parle de 0,1% pour les suicides assistés et de 2% pour l'euthanasie.

Pas étonnant, quand on connaît les conditions très strictes qui encadrent l'euthanasie et le suicide assisté. Le patient doit être majeur, sa maladie incurable, ses souffrances insupportables. La demande doit être formulée par écrit, approuvée par deux médecins, dont un qui n'a pas de lien avec le malade. On est loin de la piqûre administrée à la va-vite.

Très peu de gens se rendent jusque-là. Faut-il changer la loi pour satisfaire une toute petite minorité? demandent les opposants.

Oui. Parce que personne ne devrait avoir le droit de dicter à un agonisant comment et quand il doit mourir. Et personne ne devrait l'obliger à endurer des souffrances qui, à ses yeux, ne riment à rien.

***

À quoi va servir cette commission? À bien peu de chose, je le crains. La tablette guette son rapport - une belle place à côté de celui de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables.

Car le suicide assisté et l'euthanasie sont des crimes, et seul Ottawa a le pouvoir de modifier le Code criminel. Québec peut demander à ses procureurs de ne pas intenter de poursuite, sauf que le coeur du problème ne sera pas résolu. Le malade continuera de mourir dans la clandestinité, en glanant une recette sur l'internet.

Pour l'instant, Ottawa n'a pas l'intention de bouger. Avec les conservateurs au pouvoir, Nicole Gladu risque de mourir à l'étranger et non chez elle, en paix. Et en toute légalité.

* Dans l'euthanasie, une personne provoque la mort d'un malade, alors que dans le suicide assisté, elle ne fait que l'aider à mettre fin à ses jours.

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