Publié le 19 août 2010 à 05h00 | Mis à jour le 19 août 2010 à 12h33
Grippe A (H1N1): le fameux comité d'urgence se devait d'être secret
Jean-François Cliche
Le Soleil
(Québec) Malgré la méfiance que cela a pu susciter au sein d'une partie de la population, le fameux «comité secret» qui a conseillé l'Organisation mondiale de la santé pendant la pandémie de grippe A (H1N1) devra rester secret pour être utile. C'est du moins l'avis qu'a exprimé un des experts qui y a siégé, le médecin montréalais Claude Thibeault, lors d'un entretien avec Le Soleil.
Avec 15 autres médecins et chercheurs des quatre coins du monde, le Dr Thibeault s'est retrouvé, pour ainsi dire, dans l'oeil de la tornade l'an dernier. Spécialiste en médecine aéronautique et ancien directeur des services médicaux d'Air Canada, son expertise est devenue particulièrement précieuse quand la grippe porcine a commencé à se répandre, au printemps 2009. C'est pour cette raison que l'OMS l'a inclus dans son «comité d'urgence», qui était chargé d'examiner les dernières données scientifiques et de conseiller l'organisation sur la marche à suivre.
«On se parlait par téléconférence. Il y a eu [une dizaine de réunions]. On se réunissait quand de nouvelles informations pertinentes étaient découvertes sur le virus, alors on pouvait avoir deux ou trois réunions très rapprochées dans le temps, puis être des semaines sans se parler», se souvient-il.
Afin d'éviter que ce groupe stratégique ne subisse la pression de divers lobbies, l'OMS a jalousement gardé l'identité de ses membres - une enquête récente du British Medical Journal et du Bureau of Investigative Journalism n'est d'ailleurs parvenue à en retracer que 3 sur 16. «Ma compagne était au courant, évidemment, mais personne d'autre ne le savait», dit le Dr Thibeault.
Le dilemme de la transparence
Mais en agissant de la sorte, l'OMS s'est attiré des accusations de manque de transparence, sans compter que de mauvaises langues ont supputé que le comité d'urgence était maintenu dans l'ombre afin de cacher l'influence indue qu'y auraient exercée des compagnies pharmaceutiques. Pour montrer patte blanche, l'organisme sanitaire a promis de dévoiler les noms des membres du comité une fois la pandémie terminée - et s'est exécuté la semaine dernière.
Mais même si cette méfiance peut être contre-productive, même si elle a pu convaincre des gens de ne pas se faire vacciner, le Dr Thibeault ne croit pas qu'il faudra, lors d'une future pandémie, divulguer les noms des membres du comité d'urgence.
«Pour moi, c'est très clair, et c'est un sentiment qui était partagé par les autres membres du comité : il faut que les noms soient gardés secrets. S'il fallait que les noms soient connus, il faudrait s'installer à côté du téléphone et passer nos journées à répondre aux médias ou à d'autres. Et c'est évident qu'il y aurait des pressions importantes.»
De toute façon, poursuit-il, même une parfaite transparence ne viendrait pas à bout des soupçons de certains. «Vous savez, ceux qui veulent voir des poux, ils en voient. [...] Si on donnait le nom demain matin de ceux qui sont sur les comités, je ne pense pas que cela changerait quelque chose pour ceux qui veulent créer des problèmes. Ils continueraient de dire que l'OMS fait ci, l'OMS fait ça.»
Enfin, sur l'idée voulant que l'OMS soit acoquinée avec l'industrie, le Dr Thibeault dit que «c'est absolument farfelu. Quiconque connaît un peu l'OMS et ses façons de fonctionner sait très bien que c'est complètement farfelu. C'est sûr que si on prend un individu au hasard, on peut imaginer que n'importe qui peut être soudoyé. [...] Mais que l'OMS soit globalement impliquée, c'est impensable. Au contraire, ils font tout pour éviter les conflits d'intérêts, et je dirais qu'ils vont peut-être même [dans l'excès inverse] des fois.»
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