ENTREVUE
Paul Piché se vide le coeur
Sophie Durocher
11-05-2011 | 02h52
Au lendemain des élections, j’ai écrit une chronique sur l’absence d’implication des artistes québécois pendant la campagne électorale. Mon texte a fait réagir Paul Piché qui a tenu à spécifier que tous les artistes n’étaient pas restés inactifs.
En entrevue le chanteur, souverainiste convaincu et homme de gauche, en avait gros sur le coeur. Il fait le point avec nous sur le résultat des récentes élections et la pertinence de subventionner les artistes.
SOPHIE : Paul, comment réagis-tu devant les résultats des élections ?
PAUL : Je suis inquiet. Mais en même temps, je suis aussi content parce qu’il fallait qu’il se passe quelque chose. Si on continuait avec le PQ qui tergiverse et dit « peut-être … à un moment donné… » et le Bloc à Ottawa qui défend le Québec, on aurait vécu dans la confédération canadienne jusqu’à disparaître lentement.
C’est vrai que le Bloc représentait une sécurité dans la tête des gens qui se disaient : « On peut rester, on peut tougher encore quelques années ». Mais là, on se sent un peu tout nus. C’est un point tournant extrêmement important, on est à la croisée des chemins. Les gens vont peutêtre se rendre compte qu’on n’a pas d’affaire au Canada.
Les gens étaient tannés du Bloc et je les comprends. Mais ça a ouvert la porte à la grande confusion dans laquelle des avocats du diable comme Mulcair sont capables de nous mener. Finalement, c’est un peu une acceptation du Canada.
Est-ce qu’on accepte ça ? Est-ce qu’en votant comme ça on vient de dire « OK, finalement, on va vivre dans un pays qui ne nous reconnaît pas, un pays dans lequel on n’aura jamais aucun pouvoir décisionnel » ?
On va vivre dans ce pays-là, nous ? Si on accepte ça, c’est que le monde s’essuie les pieds sur notre dos, c’est tout !
Il ne faut pas exagérer non plus. Le Parti Conservateur, ce n’est pas le Bonhomme 7 heures. Est-ce que les gens ont vraiment raison d’avoir si peur de Harper ?
Ils vont couper partout. Pour eux, la culture, c’est du gaspillage en soi. Regarde le peu de considérations qu’ils ont eu pour le droit d’auteur. Ils percevaient ça comme une taxe au lieu de voir ça comme notre revenu. On n’exagère pas le danger des conservateurs, au contraire, même, on le sous-estime. Des régimes de droite, on a connu ça avec Duplessis. La culture, c’est le progressisme, eux sont contre ça. Maintenant qu’ils sont majoritaires, ils n’ont aucune raison de s’empêcher de piger dans le pot de biscuits.
Il y a des gens qui disent que les artistes n’ont pas à nous dire pour qui voter, qu’ils n’ont pas à parler de politique.
Faudrait se la fermer, quoi ? Il y a des gens que ça dérange que les artistes s’expriment. Pourtant, les hommes d’affaires se prononcent, on interviewe les gens de la rue… Je pense au contraire que les gens tiennent beaucoup à l’opinion des artistes. On représente le côté émotif, imaginaire, on représente un peu le rêve, l’émotion. C’est important. On ne peut pas juste décider des choses avec les chiffres. Il faut qu’il y ait aussi les raisons du coeur.
Comment as-tu réagi à la chronique de ma collègue Nathalie Elgrably-Lévy, Non au mécénat public, dans le Journal du 6 mai? Elle affirmait que si les artistes n’ont pas de succès, ce n’est pas au gouvernement de leur donner des sous.
C’est la loi de la jungle totale. La loi de la jungle est faite pour la jungle, pas pour la société humaine. Au contraire, on doit se donner des lois d’entraide CONTRE la jungle.
Il y a une sorte de frustration, d’amertume contre les artistes. Tout le reste de la société est subventionné. Le transport en commun, la santé. On subventionne la création d’emplois dans n’importe quoi, pourquoi on ne peut pas subventionner la création d’emplois dans le domaine artistique ? C’est complètement absurde !
En plus, c’est prouvé que c’est payant un dollar investi en culture. Cette industrie là a autant besoin de subventions que les autres. On subventionne bien Bombardier.
Tu t’opposes donc totalement à la moindre réduction de l’intervention de l’État ?
Ils veulent faire tourner la roue de l’histoire à l’envers. Revenir à une époque où il n’y avait aucun progrès. La société moderne et démocratique dans laquelle on vit est là grâce au fait que les gouvernements interviennent de plus en plus !
Mais on a un déficit énorme! Ça coûte cher donner des subventions !
Ces gens-là ont de la misère avec le partage, c’est aussi simple que ça. C’est la base de la société humaine qui est construite sur le partage et eux ils boudent ça.
On parle de création de la richesse. C’est quoi, si c’est pas d’avoir du théâtre, du cinéma, des spectacles ? C’est quoi, cette maudite niaiserie-là : collectivement on a de l’argent, mais on n’a pas le droit d’aller magasiner des belles choses parce que c’est du gaspillage ?
À propos de...
La défaite du Bloc
«C’est sûr que moi à un moment donné, il fallait venir me chercher chez moi pour que j’aille voter pour le Bloc. J’ai beau avoir été tanné du Bloc, j’ai voté pour eux quand même. Il reste que j’ai fait ça en bon soldat, j’ai pas fait ça avec tout mon coeur, c’est clair. Alors quand Paul Piché est tanné, qu’est-ce qui arrive avec le restant du monde ? Ils sont tannés en maudit ! Quand on dit qu’on a les politiciens qu’on mérite… On vient de scraper des Pierre Paquette, des Gilles Duceppe, et on envoie à Ottawa des députés qui s’en vont faire un « Girls Night Out ». Ça n’a aucun bon sens. Je n’en reviens pas comment on a gaspillé du bon monde. Et c’est après coup qu’on le voit. On se sent orphelin. Je suis sûr que c’est un sentiment que plein de gens ont eu, même ceux qui ont voté pour le NPD. Il y a une petite insécurité qui s’installe, veut, veut pas. »
La montée du NPD
«Pour nous défendre devant une majorité conservatrice, on se retrouve avec des gens qui, sur le plan de la culture, ne sont pas là. Dans le programme du NPD, les sommes allouées à la culture, c’est très faible. Thomas Mulcair a été avocat pour Alliance Québec. Il peut bien avoir changé un peu de point de vue mais il reste qu’on envoie un avocat d’Alliance Québec pour nous défendre, ça ne tient pas debout. Et les candidats NPD unilingues anglophones, c’est un manque de respect. Je ne peux pas croire qu’ils ne pouvaient pas trouver des poteaux qui parlaient français. C’est un manque d’attention et de respect. »
La victoire des conservateurs
La dernière fois, en 2008, quand les artistes avaient pris part à la campagne électorale, ce n’était pas un appui au Bloc, c’était contre les coupures, contre le gouvernement Harper.
Cette année, les gens ont voté stratégique, même les souverainistes, en espérant que Layton pourrait stopper Harper. Mais c’est encore le faux rêve canadien qui continue ! Une sorte de Canada qu’on imagine comme nous. Il faut que les gens arrêtent de chialer contre Harper et les conservateurs et qu’ils commencent à chialer contre le Canada ! »
http://fr.canoe.ca/divertissement/celeb ... 6-jdm.html" onclick="window.open(this.href);return false;