Les nouveaux intouchables
1 juin 2011, 1:34
Par: Josée Legault
L'épiderme politique au Québec serait-il devenu sensible au point où d'être devenu la seule démocratie au monde où il ne serait plus possible de dénoncer une monarchie, même en termes durs?
Ou encore de critiquer sévèrement un ancien premier ministre maintenant au service rémunéré d'une puissante compagnie gazière albertaine et d'une industrie dont les intérêts ne sont pas nécessairement ceux du bien public québécois?
C'est pourtant bien ce qu'on aurait cru aujourd'hui à entendre les appels répétés au crime de lèse-majesté lancés par des élus contre les propos du député de Québec solidaire, Amir Khadir.
Sur la visite du très photogénique couple royal, M. Khadir n'a fait qu'exprimer tout haut ce que bien des Québécois pensent - et sûrement une partie des Canadiens anglais. Soit qu'il est tout à fait possible de critiquer le fait de payer à même les fonds publics les visites onéreuses des descendants d'une royauté.
Et pourtant, selon la vice première-ministre, Nathalie Normandeau, «Amir Khadir devrait s'excuser d'avoir qualifié la visite du couple royal de «parasitaire» (...) Monique Gagnon-Tremblay, la ministre des Relations internationales, l'accuse même d'avoir tenu des propos «dangereux» et d'avoir «incité à la violence». Comment? M. Khadir a dit qu'il souhaite participer à la manifestation du Réseau de résistance québécois (RRQ), un groupe controversé, pour dénoncer la visite officielle du couple royal. «Il veut manifester avec des indépendantistes radicaux comme (le porte-parole du RRQ Patrick) Bourgeois, qui dit qu'il va faire la guerre et qu'il va vaincre», affirme la ministre.» (1)
Quoi?
Des propos «dangereux» et incitant à la «violence»? Maintenant, qui exagère le plus ici?
Par contre, ces propos étaient-ils inélégants? Certes. Grossier? Pas tout à fait.
Quoique, si les vierges offensées de la classe politique se mettaient à chercher les vraies grossièretés qui les concernent - comme dans une gouvernance déficiente et parfois même faiblarde dans le département de l'éthique -, elles auraient de quoi s'occuper.
Quant au chef de l'ADQ, Gérard Deltell, qui accusait le député de QS de «manque de savoir-vivre», pour quelqu'un qui a traité le premier ministre de «parrain»...
Même le premier ministre a déjà traité une députée péquiste, en pleine Chambre, de termes que je n'ose même pas répéter ici.
Alors, pour ce qui est des leçons de bienséance, il semble y avoir amplement à boire et à manger de chaque côté de la Chambre...
Quant à Mme Normandeau, elle ferait sûrement mieux aussi d'examiner sa propre propension à traiter d'«émotifs» tous ceux qui osent s'opposer aux positions de son gouvernement dans le dossier controversé des ressources naturelles...
Quant à l'échange musclé entre messieurs Kadhir et Lucien Bouchard en pleine commission parlementaire où ce dernier venait demander des compensations à même les fonds publics pour ses nouveaux employeurs privés, quiconque a connu et/ou couvert l'ancien premier ministre y a tout de suite la part habituelle de théâtre qu'il aime apporter à chacune de ces crises d'indignation (2).
Mais à force de les faire et de les refaire, M. Bouchard commence à ressembler à une caricature de lui-même...
Pour l'homme qui a traîné Yves Michaud dans la boue en décembre 2000 en usant de rien de moins qu'une motion de blâme votée à l'unanimité des élus pour des propos qui furent déformés à dessein, disons que son affirmation selon laquelle M. Khadir n'aurait «aucun droit» d'avancer qu'il manque de fidélité envers le bien commun des Québécois prenait une solide dose d'audace... ou d'amnésie sélective.
On dirait bien qu'au-delà du penchant naturel de M. Bouchard pour les effets de toge, les envolées théâtrales et l'indignation portée haut et fort, l'ancien premier ministre n'a pas encore compris que sa décision d'accepter de représenter le lobby gazier et d'être rémunéré par une puissante compagnie albertaine, a laissé un goût amer chez beaucoup de Québécois (3).
C'est un fait. Objectif et indéniable.
Qu'il refuse, de surcroît, de se le faire dire en public par un élu, en dit long sur la perception qu'il semble avoir d'être au-dessus de toute critique sérieuse allant au fond des choses.
Et pour ce qui est du fond de la question, M. Bouchard semble aussi refuser de voir que, contrairement à ce qu'il disait en commission, il n'y a pas au Québec de «réticence» au privé en soi, mais plutôt une grande fatigue collective de voir de nombreuses compagnies, d'ici et d'ailleurs, profiter sans vergogne depuis des décennies des ressources naturelles des Québécois sans avoir à leur payer une vraie et juste part.
Elle est là, la vraie «réticence». C'est une réticence à se faire voler collectivement.
Quant aux sorties multiples et récentes du député Khadir, certains ont conclu à une stratégie concertée pour s'arroger un maximum d'attention médiatique.
Quelques commentateurs plus identifiés à droite ont même avancé qu'il tentait ainsi de séduire la frange la plus «radicale» et «fanatique» du PQ...
Pour l'attention médiatique, il n'y a nul doute que le député de Mercier sait comment maximiser sa visibilité.
Mais s'il le fait parfois en prenant des positions qui ne tiennent pas la route - le cas de ce marchand de chaussures de la rue Saint-Denis en est un -, dans les cas du couple royal, de l'ancien premier ministre, voire aussi du projet d'amphithéâtre de Québec, il exprime des points de vue que partagent sûrement de nombreux Québécois.
Et fait à noter: il le fait en s'en prenant directement à des «décideurs» dont il est possible de douter, du moins pour certains, du caractère «altruiste» de leurs propres intérêts financiers et économiques...
En cela, il projette l'image d'un élu qui ne fait pas partie du tricot très serré des élites financières et politiques d'ici. Dans une ère où les mots «corruption» et «collusion» fusent de toutes parts, c'est une caractéristique qui ne passe pas inaperçu.
On se souviendra d'ailleurs qu'il avait été également le seul à confronter directement l'ancien PDG de la CDP, Henri-Paul Rousseau, lequel, après avoir présidé à une perte historique de plusieurs dizaines de milliards de dollars, s'était ensuite trouvé un coussin doré chez Power Corporation.
Un affrontement qu'aucun autre élu, obnubilés qu'ils étaient presque tous par la force du personnage, n'avait eu le courage de soutenir.
Et ce fut le même manque collectif de courage dont ont souffert les députés face à Lucien Bouchard. Tous qu'ils furent autour de la table, sauf un.
Tant que le député de Mercier exprimera des préoccupations réelles que les autres partis ignorent ou minimisent, il aura les caméras et les micros pour lui. Et l'estime populaire.
Et comme les autres, lorsqu'il ne le fait pas, il a droit, lui aussi, à ses propres volées de bois vert...
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