Plus violentes qu’avant
Isabelle Maher
03/07/2011 23h32

Elles frappent avec leurs poings, se battent dans la cour d’école, attaquent gratuitement des passants, font du taxage ou des vols qualifiés. Que se passe-t-il avec les adolescentes ? Les études le confirment : jamais elles n’ont été aussi violentes.
« J’ai frappé une policière en pleine face, pis je l’ai poussée par terre. Deux autres policiers ont voulu l’aider. Je les ai frappés eux autres aussi. Moi, si on m’attaque, je frappe. C’est comme ça qu’on m’a élevée. »
D’une voix grave et sans émotion, Jessica, 17 ans, raconte comment elle s’est retrouvée en garde fermée au Centre jeunesse de Laval. L’endroit accueille toutes les jeunes montréalaises qui doivent se trouver sous encadrement intensif, ce qui inclut les filles qui ont du mal à contrôler leur impulsivité.
Depuis 30 ans, le nombre d’adolescentes agressives augmente de façon fulgurante. Entre 1974 et 2003, le nombre de voies de fait chez les jeunes Canadiennes a augmenté de 1 494% et les vols qualifiés de 400 %.
Bien qu’alarmistes, ces données ne traduisent pas forcément une hausse spectaculaire de la délinquance féminine, croit Nadine Lanctôt, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la délinquance des adolescentes et des adolescents .
« Oui, les adolescentes se retrouvent plus souvent devant la justice et on peut croire qu’elles semblent beaucoup plus violentes, concède-t-elle. Mais est-ce une hausse réelle ou la réaction d’une société qui tolère moins les troubles de comportement ? , nuance Mme Lanctôt, également professeure en psychoéducation à l’Université de Sherbrooke. Selon moi, la violence des filles reste stable et suit celle des garçons. »
Différent sur le terrain
Pour Anne Lauzon, du Centre jeunesse de Montréal, la violence chez les jeunes filles n’a rien d’une vue de l’esprit, elle est bien réelle et plutôt inquiétante.
« Des filles qui battent leurs parents, je ne voyais pas ça, il y a 20 ans. Aujourd’hui, c’est très fréquent », observe la directrice des services de réadaptation qui travaille auprès des jeunes depuis 33 ans.
Anne Lauzon est sidérée par cette agressivité qui dépasse largement le stade de la petite délinquance ordinaire.
« J’ai vu un cas où elles se sont mises à quatre pour battre une vieille dame. De la violence gratuite qui devait servir d’initiation pour entrer dans une gang. Jamais je n’aurais cru qu’une chose pareille puisse se produire », confie-t-elle.
De plus en plus, les jeunes filles sont activement impliquées dans les actes de violence alors qu’avant, elles en étaient davantage les victimes, souligne Anne Lauzon.
Fait préoccupant, chez les petites filles on observe également un changement, explique Nadine Lanctôt qui a suivi une cohorte de filles violentes. « Il existe dans la population un noyau dur de 5 % de petites filles très violentes, une proportion des filles de ce noyau augmente depuis les années 1970. »
La violence féminine précoce s’explique de diverses façons, mais se résume en un mot : détresse. « Il y a une désespérance plus présente qu’il y a 20 ans, croit Anne Lauzon. Leurs expériences sexuelles sont banalisées. De nos jours, t’es pas une vraie fille si t’as pas fait une pipe à un gars à l’école. »
« Beaucoup d’entre elles ont subi de la maltraitance ou des abus sexuels, ajoute Nadine Lanctôt. Certaines ont des problèmes de santé mentale. Et la plupart ont des vies adultes tout aussi complexes. »
Différentes des garçons
Plus subtile, plus intense, plus taboue que celle des garçons, la violence des jeunes filles est reconnue et documentée. Mais lorsque vient le temps de traiter la délinquance féminine, encore aujourd’hui, on applique des remèdes destinés aux garçons. Pourtant, selon les experts consultés, ces deux clientèles sont bien différentes.
« Les garçons sont premier degré alors que les filles agissent par en dessous. Elles sont observatrices, elles prennent leur temps, elles se vengent. Les plus corpulentes ne sont pas nécessairement les plus violentes. La première forme de violence, chez les filles, elle est verbale », explique Anne Lauzon du Centre Jeunesse de Montréal.
Victime et bourreau
Lorsqu’une fille explose, elle le fait différemment d’un garçon. Les gangs de filles sont même plus violents que ceux des garçons, explique-t-elle.
« Les intervenants ont plus de difficulté avec les filles qu’avec les garçons. Devant un juge, elles pleurent, elles deviennent une sorte de victime. Il arrive qu’elles attirent la pitié et on ne les responsabilise pas, ce qui est une erreur », note la directrice des services de réadaptation.
« Des filles très violentes ne se battent pas tout le temps », ajoute la chercheuse Nadine Lanctôt qui s’est rendue dans un centre jeunesse pour évaluer les programmes d’intervention auprès des adolescentes agressives. Ce qui nous interpelle, dit-elle, c’est que ces filles ont besoin de service et de programmes efficaces. Le problème c’est que les programmes n’ont pas été pensés pour elles et donnent plutôt des résultats chez les garçons », déplore-t-elle.
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