Chronique d'une criminologue
Travailler avec des criminels ne signifie pas qu’on approuve leurs crimes
8 juillet 2011
Le verdict de non-responsabilité criminelle dans l’affaire Guy Turcotte cette semaine amène son lot de commentaires et de questionnements.. et avec raison. Plusieurs ont accusés les gens aux opinions radicales de ne rien connaître en matière juridique tandis que d’un autre côté, les personnes qui avançaient des explications plus nuancées/en faveur du verdict étaient accusées de prendre parti pour un assassin. Étaient condamnés d’avance les professionnels oeuvrant auprès de criminels et je ne peux m’empêcher de ne pas faire référence à une blogueuse et avocate connue, la criminaliste Véronique Robert. L’article qu’elle a publié le jour même où le verdict est tombé, intitulé Ils étaient onze, un peu de respect, a suscité énormément de réactions. Elle a reçu des commentaires constructifs, nuancés, mais elle s’est aussi fait “ramasser” par des lecteurs si vous me permettez l’expression. Certains l’ont accusée d’avoir un parti pris pour les criminels qu’elle défend dans le cadre de ses fonctions. Et ce n’est pas un cas isolé, je peux vous en passer un papier. J’ai suivi le procès Turcotte de près et j’ai échangé avec beaucoup d’internautes sur Twitter lorsque le verdict est tombé mardi dernier. Certains accusaient les avocats de la défense de ne pouvoir être impartials puisque leur travail est de défendre les criminesls, cela voulaient donc dire implicitement qu’ils approuvaient la conduite tenue par leurs client. J’ai échangé ce jour-là avec une autre avocate criminaliste qui m’expliquait que lorsqu’un procès se termine avec un tel verdict, les avocats de la défense ne rentrent pas à la maison sabrer le champagne avec la satisfaction d’avoir sauvé un meurtrier. Elle a précisé que les avocats de la défense sont humains et rentrent parfois à la maison dégoûtés ou attristés, même s’ils défendent les intérêts de leurs clients. Le pire dans tout ça c’est qu’il faut qu’elle le précise parce que beaucoup croient le contraire. Comme travailler avec des criminels fait partie de mon quotidien depuis quelques années, pour moi c’est évident. Mais il en est autrement pour beaucoup (trop) de gens et c’est la raison pour laquelle je voulais rédiger un billet pour faire quelques précisions au sujet des professionnels intervenant auprès d’une clientèle judiciarisée. Parce qu’au final il était trop long, j’ai décidé de le scinder en quelques articles pour rendre votre lecture plus légère et agréable.
1. Travailler avec des délinquants ne signifie pas qu’on approuve ce qu’ils ont fait
On ne m’entendra jamais dire que c’est correct d’avoir violé, tué, fraudé, violenté, menacé quelqu’un. Jamais. Toutefois, au stade de la sentence où mes collègues et moi travaillons, c’est-à-dire dans le cadre d’une libération sous conditions, nous n’avons pas le choix de travailler en collaboration avec le justiciable. Cela implique que bien que nous n’approuvions pas les gestes posés, nous avons le devoir de traiter la personne en face de nous avec dignité et respect, de même que de reconnaître qu’elle a le potentiel de vivre en respectant les lois établies. Sans ça, impossible d’être supportant dans le cheminement de réinsertion sociale. On tente de responsabiliser l’individu face à ses actes et de faire en sorte qu’il effectue un travail personnel important sur les facteurs qui l’ont poussé à s’enliser dans la criminalité. L’objectif est de l’amener à les amenuiser à un point tel qu’il demeurera un citoyen respectueux des lois. Oui, des fois les crimes commis nous écoeurent littéralement de par leur nature ou leur extrême degré de violence, mais il faut faire attention de ne pas le laisser paraître et ça ne doit pas influencer notre pratique. D’autres fois, les circonstances entourant certains délits perpétrés suscitent des réactions telles que : “C’est vrai qu’il ne l’a pas eu facile.. sans excuser les gestes ceci dit”. Un exemple (fictif, seulement pour illustrer): un type qui a perdu sa fille sombre dans l’alcool et la drogue pour noyer sa peine. Sa femme, aussi peinée sinon plus, décide de s’enlever la vie. Acculé au pied du mur parce qu’il boit et “sniffe” ses payes, il perd son emploi et décide d’accepter de surveiller une plantation de marijuana pour avoir assez d’argent pour payer le loyer et les frais funéraires de sa femme et sa fille. C’est peut-être exagéré, mais des fois on voit des situations du genre, dont les circonstances n’excusent en rien le crime commis, mais qui l’expliquent en faisant presque naître de la compassion. J’ai dit PRESQUE, et ça non plus on ne le laisse pas paraître dans notre pratique, tout le monde est traité sur le même pied d’égalité. Mais bon, disons que ces cas-là sont assez rares et jamais on ne se dit :”Moi à sa place j’aurais tellement fait la même chose”.
Dans mon prochain article, je traiterai de l’énoncé suivant: “Non, on ne se fout pas des victimes”.
Sur ce, bon week-end tout le monde, profitez-en bien!
La Criminologue
http://lacriminologue.com/" onclick="window.open(this.href);return false;