Visite de l'Institut Pinel
Le refuge de Guy Turcotte
Éric Thibault
20/08/2011 03h48
La direction de ce « super hôpital » a exceptionnellement ouvert ses portes au Journal de Montréal, mardi, pour une visite guidée d’une demi-journée. Une première depuis « plusieurs années », nous a dit sa responsable des communications, Sylvie Audet.
DANGEREUX, OUI MAIS…
L’hôpital psychiatrique du boulevard Henri-Bourassa a accueilli certains des criminels les plus médiatisés au pays, de Karla Homolka à Valéry Fabrikant.
Mais une fois le détecteur de métal franchi et les portes déverrouillées, on se retrouve « dans un milieu hospitalier, pas dans un établissement carcéral », insiste Richard Lusignan, chef du service de criminologie à Pinel.
Et ce, même si une vingtaine de criminels dangereux ou d’agresseurs sexuels qui ont été condamnés à plusieurs années de pénitencier par les tribunaux y sont actuellement traités pour leurs déviances.
Les professionnels de la santé et les membres du personnel de sécurité qui côtoient les patients ne portent pas d’uniforme.
« Souvent, les patients réagissent à l’uniforme parce qu’ils ont eu des problèmes avec l’autorité. Ils sont moins craintifs si nous sommes vêtus en civil », a expliqué Marion Lepage, chef du service de psychologie.
Les gardiens n’ont aucune arme pour intervenir auprès d’un patient violent et désorganisé, pas même un bâton ou une bonbonne de gaz poivre. Ils ont dû faire appel aux policiers de la Sûreté du Québec, en avril dernier, quand un patient en crise a pris des membres du personnel en otage, dans sa chambre.
Toutefois, même les policiers qui entrent à Pinel doivent se départir de leur arme de service, a ajouté Mme Audet.
60% DE « NON-RESPONSABLES »
Plus de la moitié des 291 lits sont occupés par des Québécois qui, comme Guy Turcotte, font l’objet d’une ordonnance de « détention » par la Commission d’examen des troubles mentaux après avoir reçu un verdict de non responsabilité criminelle ou été déclarés inaptes à faire face à la justice.
« Nous en avons présentement environ 180. Ces cas représentent 60% de notre clientèle. Ils ont eu une chance d’éviter la prison. Maintenant, il faut les amener à solutionner leur problème et à contrôler les risques qu’ils représentent pour qu’ils ne fassent plus de victimes, une fois de retour dans la communauté », a précisé le criminologue Lusignan.
Quelques mois après son arrestation, Guy Turcotte avait dit à la gardienne de ses deux enfants qu’il était « le moins fou des fous » à Pinel.
De fait, la majorité de la clientèle souffre de problèmes psychiques sévères comme la schizophrénie, les troubles délirants ou paranoïdes et la dépression majeure, selon la psychologue Lepage.
Pour imager l’ambiance de certaines activités, un éducateur a dit qu’« on manque parfois de coins dans nos salles »…
Sans évoquer spécifiquement le cas Turcotte, Mme Lepage a expliqué que la plupart des crimes commis par les « non-responsables » résultent d’un « cocktail » de maladie mentale, d’intoxication à l’alcool ou aux drogues, de facteurs de stress mal gérés et de carences sur le plan personnel.
« C’est souvent un état temporaire et non une étiquette à vie. »
La plupart des patients sortent au bout d’un an ou deux et leur retour en société est encadré par des ressources externes. « Mais certains sont ici depuis 30 ans », a ajouté M. Lusignan.
C’est peut-être le cas de ce sexagénaire aux yeux hagards, que deux employés tenaient par chaque bras pour l’escorter d’un pas lent vers sa chambre, après son repas.
TRAITEMENTS ET LOISIRS
L’Institut Pinel compte 900 employés pour moins de 300 patients, dont 25 psychiatres, 17 psychologues, 20 criminologues et six pharmaciens parmi une imposante équipe de professionnels. Il y a même un dentiste. Les patients musulmans ont leur imam. Les autochtones ont un tipi dans la cour extérieure.
Sans être un Club Med, les loisirs font partie intégrante du quotidien des patients et servent de « complément » aux soins psychiatriques et thérapeutiques. Un gymnase, une salle d’entraînement physique, une piscine, des terrains de soccer, de tennis et de basketball, ainsi qu’une patinoire en hiver, sont mis à leur disposition.
Lorsqu’ils ne rencontrent pas leur équipe médicale traitante, ils participent à de nombreuses activités : ateliers d’horticulture, de peinture, de poterie, de menuiserie, de photo, de théâtre, de chant et de musique.
« Ça stimule leur estime de soi, qui est une carence souvent commune chez nos patients. C’est très important qu’ils se valorisent dans leurs forces et leurs intérêts. La passivité est un gros problème en santé mentale. La pratique des sports leur permet aussi d’apprendre à respecter des règles », a fait valoir Mme Lepage.
On leur apprend à s’occuper des plantes et des perruches, parce que pour certains issus de milieux familiaux où ils ont été dépourvus d’attention, « prendre soin d’un animal ou d’une fleur est plus facile que de prendre soin d’un être humain ».
FAIBLE TAUX DE RÉCIDIVE
La réhabilitation est le mot d’ordre dans cette institution. Les récidivistes qui veulent demeurer irrécupérables ne sont pas admis à sa fameuse Unité de traitement pour les délinquants sexuels, devenue une référence mondiale en raison de ses traitements avant-gardistes et de ses résultats.
« Comme avec nos patients, on a même réhabilité des lampes au sodium dans l’atelier d’horticulture, dont les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) nous ont fait cadeau après les avoir saisies » dans une plantation de marijuana, a témoigné Richard Lusignan en riant.
L’institut psychiatrique, qu’on appelait jadis l’« Asile des détenus aliénés de Bordeaux », a même son école. La classe obligatoire en saison scolaire est fréquentée par une quinzaine de jeunes contrevenants qui y sont en traitement après avoir été condamnés pour des crimes violents.
« Je n’ai jamais eu un seul patient qui a récidivé une fois ressorti de Pinel, depuis 1995. C’est très rare. C’est moins d’un cas par année », a affirmé Marion Lepage.
ENFERMÉS LA NUIT
La seule restriction de liberté imposée aux patients de Pinel, c’est d’être confinés dans leur modeste chambre, enfermés, de 22 h 50 à 8 h 15. Ils peuvent cependant demander l’aide d’un intervenant pour débarrer leur porte au besoin, durant la nuit, en actionnant un bouton d’urgence.
Guy Turcotte, pendant les jours suivant la mort de ses deux enfants en février 2009, serait l’un des rares à avoir été enfermé dans une salle d’isolement à l’Institut Pinel ces dernières années, parce qu’il disait vouloir se suicider.
Ces chambres, sans aucun meuble ou accessoire et surveillées en permanence, sont utilisées seulement en dernier recours pour « contrôler » des patients violents, suicidaires ou en psychose.
« Ça prend des motifs cliniques exceptionnels », a assuré la psychologue Lepage.
La direction a d’ailleurs abandonné certaines pratiques répressives (prises d’empreintes digitales et de photos, recours aux menottes, détention dans des cellules des palais de justice de Montréal et de Laval, isolement injustifié), après avoir accepté de payer un million de dollars en dédommagement à des patients qui ont intenté un recours collectif contre l’établissement, en 2003.
Q - Combien de temps Guy Turcotte pourrait-il rester à l’Institut Pinel?
R - Pendant encore au moins trois mois et peut-être même jusqu’à la fin de l’année 2012, selon ce que décidera la Commission d’examen des troubles mentaux à la suite de l’audience prévue le quatre novembre prochain.
Q - Quelle décision peut rendre la Commission à son endroit?
R - Le tribunal administratif doit déterminer si Turcotte représente ou non un danger pour la sécurité publique, en vertu de son état mental actuel et du risque de récidive.
Les commissaires peuvent prolonger sa détention à l’Institut Pinel d’une année, le libérer avec des conditions à respecter ou lui octroyer une libération inconditionnelle.
Toute décision sera réévaluée après un an.
Q - Quelles sont les chances qu’il soit libéré de l’Institut Pinel?
R - Les statistiques du ministère canadien de la Justice montrent que 30% des personnes jugées non responsables d’un crime violent pour cause de troubles mentaux sont libérées sous conditions, dès leur première évaluation par une commission d’examen.
Seulement 8% sont libérés sans aucune condition. La détention dans un hôpital psychiatrique est ordonnée dans la majorité des cas, soit 54%.
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