L’adieu au Bye Bye
Encore un bilan insignifiant dans une soirée du tout-à-l’humour
Stéphane Baillargeon 1 janvier 2012
C’était une soirée à étages, comme le gâteau commercial surdimensionné d’un trop gros party. Un truc aussi fade et bourratif d’ailleurs. À la Saint-Sylvestre, vaut mieux sortir dans son restau préféré ou recevoir ses amis, parce que la télé, surtout la télévision d’État, fait souvent regretter d’avoir survécu encore une année pour endurer autant de banalités concentrées.
Tout en bas, hier soir, le pastiche western de Et Dieu créa… Laflaque! lançait près de six heures de productions d’adieu à 2011. On répète: six heures, et toutes dans le même ton humoristique, léger, bon enfant, cajoleur, pour ne pas dire obséquieux. Il n’y a pas moyen d’insérer une heure ou deux de télé pédagogique à l’ancienne dans ce menu, mettons une grande entrevue ou un plateau de débats? Pourquoi pas une sorte de Douze mois en 120 minutes, mettons, animée par la journaliste Anne-Marie Dussault?
Tout le monde en parle (TLMEP), l’émission-phare de Radio-Canada, a ensuite proposé un premier bilan avec des vedettes incontournables de différents domaines. Comme partout, comme avant, comme après, il a été bien sûr beaucoup question de corruption, des politiques conservatrices, des déboires du Bloc et de l’à-valoir du NPD.
Le ton habituel, convivial, complice, a été resservi avec toujours plus de flagornerie. De l’entre-nous réduit jusqu’au substrat, sans controverses, sans vagues, ou si peu, jusqu’à ce segment un peu surréaliste où André Boisclair et Marcel Leboeuf échangeaient sur les mérites comparés de la science des gaz de schiste et des colliers en bois de noisetier aux prétendues vertus thérapeutiques. Il ne manquait que Chantal Lacroix et sa table médiumnique…
Le troisième palier, occupé par Infoman, a encore fourni le meilleur de la trop longue chaîne des inventaires. Jean-René Dufort applique une recette éprouvée pendant l’année, une formule liant des morceaux d’anthologie plus ou moins cocasses mais toujours bien choisis à des commentaires juste assez déjantés.
Son ultime synthèse s’organise autour d’une division chronologique mensuelle. C’est simple, ça marche et c’est même instructif, enfin un peu, parfois. On a, par exemple, appris que Mme Paillé, la plus célèbre inconnue du débat des chefs aux dernières élections fédérales, n’a toujours pas déniché d’emploi.
La grosse machine infomanienne oscille sans cesse entre la critique et la complicité. Le cynisme désabusant atteint son paroxysme quand beaucoup de grosses poches participent volontairement à l’entreprise d’auto-dérision. Josélito Michaud, roi de la business des larmes, à ainsi exigé («Donne-moi ton vécu!») des confidences de M. Dufort, hospitalisé un long mois cette année.
Jean Charest demeure le maître incontesté de ce jeu auto-parodique. La députée du NPD Ruth Ellen Brosseau (également à TLMEP), ancienne barmaid, a bu un coquetail à base de Jack Daniel’s et d’orangeade Crush en l’honneur de son chef décédé. Par contre, Infoman a eu toutes les misères du monde à dénicher un conservateur fédéral pour se moquer de lui-même.
L’adieu au Bye Bye
Logiquement, le crescendo fantaisiste mène au Bye Bye, qui assure la transition vers la nouvelle année en synthétisant une ultime fois la dernière. Ce sas télévisuel existe depuis des décennies et semble arrivé au bout des sa vie inutile. Voilà en tout cas une autre tradition exsangue dans une société qui accumule les malades institutionnels, de l’école publique aux partis politiques…
C’était donc encore du pareil au même, avec des sketches et des numéros musicaux. La politique et ses thèmes connexes (le délabrement des infrastructures, la corruption, etc.) ont fourni la très large part des cibles de choix. L’émission elle-même était présentée comme le Bye Bye royal 2011, une allusion aux obsessions de restitutions monarchiques du gouvernement Harper.
La situation nationale, les petits et les grands bobos d’ici (le Colisée de Québec, les déboires du PQ, le gaz de schiste…) monopolisaient l’attention, l’actualité internationale (la crise économique, le Printemps arabe, etc.) étant à peine effleurée. On a par exemple zieuté un sketche téléscopant l’affaire DSK et la série Pan Am avec une apparition surprise de la comédienne Karine Vanasse. Une bonne demi-douzaine de personnalités (Les Denis Drolet, Marie-Êve Janvier et Jean-François Breau, etc.) offraient des caméos.
Surtout, les pastiches de la télé et des pubs fournissaient encore la matière à blague, enfin à ce qui devrait dérider. Le Bye Bye, c’est une métacritique de l’année passée par le filtre des productions télévisuelles, une sorte de mixte bâtard entre Les enfants de la télé et une vieille émission de MusiquePlus. Véronique Cloutier, l’animatrice-productrice formée à l’école de la télé-vidéo, donne parfois l’impression de se payer des numéros pour pouvoir exposer ses talents de show-girl, chanteuse, danseuse ou imitatrice. Cette mouture a tout de même proposé des effets spéciaux réussis, par exemple avec son hommage au Tintin de Steven Spielberg.
Pour le reste, la production abusait de références à On connaît la chanson, En direct de l’univers, Opération Séduction, Occupation Double, et on en passe et des pires. Plusieurs courtes interventions reprenaient des canevas de publicités pour une pharmacie, un jouet ou une loterie. Dans quelques jours, la diffusion radio-canadienne de RBO 3.0, ixième série hommage au groupe humoristique fondé il y a trois décennies, va montrer les racines de ce modèle usé.
Il n’y a rien de naturel ou d’obligatoire dans cette manière de faire rire. Si l’émission Un gars le soir à V peut faire quotidiennement autre chose que du pastiche des quiz et des téléromans, avec cinq cennes en plus, pourquoi faut-il encore endurer la répétition d’un modèle édulcoré à la télé d’État après des mois de préparation? Et non, ceci ne veut pas plus dire qu’il faudrait imiter cela : on a vu ce que le dérapage de la vulgarité a donné il y a trois ans au Bye Bye 2008. L’idée, c’est juste de sortir des ornières, en tout cas de celles-là.
Ou alors, tant qu’à faire, pourquoi ne pas faire mieux? On l’a dit l’an passé après le Bye Bye 2010, mais on peut bien le répéter puisque rien n’a changé : très franchement, cette émission synthèse s’avère beaucoup moins drôle et caustique que ce que présentait semaine après semaine Marc Labrèche avec ses 3600 secondes d’extase. Non mais pourquoi monopoliser autant d’énergie et de talent pour accoucher d’une pareille platitude quand on a déjà une émission hebdomadaire beaucoup bien mieux faite et autrement plus drôle?
Finalement, c’est peut-être TVA qui offre le menu le plus raisonnable pour dire adieu à l’année avec un peu de musique en soirée (cette fois avec une version avec vedettes de On connaît la chanson) suivi d’un film pour ceux et celles qui ne peuvent faire autrement que de se scotcher à l’écran pour passer le temps. Les réseaux américains adoptent à peu près la même recette.
Mais bon, comme après les grosse fêtes, il reste des restes. Les miettes du gâteau à étages 2011 sont resservies ce soir et seront ensuite congelées sur le site Tout.tv.
http://www.ledevoir.com/culture/televis ... au-bye-bye" onclick="window.open(this.href);return false;