Publié : jeu. mars 01, 2007 10:44 am
Un article de: http://www.ledevoir.com/2006/08/19/116289.html
Avortement - Québec a violé sa propre loi
Avortement - Québec a violé sa propre loi
Clairandrée Cauchy
Édition du samedi 19 et du dimanche 20 août 2006
Mots clés : avortement
La cour condamne le gouvernement à verser plus de 13 millions aux femmes qui ont eu recours au privé
La Cour supérieure condamne le gouvernement du Québec à verser 13 millions aux femmes qui se sont fait avorter depuis 1999 en clinique privée, soit une moyenne de près de 300 $ pour chaque opération.
Dans sa décision rendue publique hier, la juge Nicole Bénard a souligné que Québec a toléré une pratique interdite par la loi en permettant que les cliniques privées imposent des frais allant de 200 à 300 $ pour des avortements pourtant couverts par le régime d'assurance maladie. Le problème, c'est que les cliniques ne peuvent pas fonctionner adéquatement avec les 28 $ alloués par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) pour les frais de fonctionnement des cliniques privées, outre les honoraires des médecins.
«Permettre aux cliniques privées d'exiger des frais supplémentaires pour des services assurés, et ce, en sachant qu'il en va de leur survie, érige en système ce que la loi interdit», conclut la juge Bénard dans son jugement, qui donne raison à l'Association pour l'accès à l'avortement, à l'origine du recours collectif.
Les procureurs de Québec plaidaient que les frais supplémentaires exigés dans les cliniques privées portaient sur des services qui ne sont pas déjà assurés par la RAMQ, tels le counselling psychologique, les échographies ou les médicaments. La juge a balayé cet argument, soulignant par exemple qu'une échographie est médicalement requise avant de pratiquer une interruption volontaire de grossesse (IVG). «L'État sait très bien que des femmes paient un supplément pour des services assurés mais ferme les yeux et le tolère», tranche-t-elle.
«L'État ne peut plaider l'immunité puisqu'il ne peut prendre de décisions politiques ou administratives qui ne respectent pas les lois qu'il a adoptées», peut-on lire dans la décision.
Le gouvernement devra donc rembourser les frais payés par les quelque 45 000 femmes qui ont subi une IVG dans cinq cliniques privées de la province et deux centres de santé des femmes, soit 10,8 millions de dollars plus les intérêts, pour un total de plus de 13 millions. On estime qu'entre 20 et 25 % des avortements faits au premier trimestre de la grossesse sont pratiqués dans le secteur privé.
Le gouvernement dispose de 30 jours pour interjeter appel de la décision. Le ministre de la Santé, Philippe Couillard, a refusé de commenter le jugement hier. «On laisse le temps à notre contentieux de l'étudier. On doit bien comprendre l'ensemble du jugement, son étendue et sa portée», a expliqué son attachée de presse, Isabelle Merrizzi.
La décision a réjoui l'Association pour l'accès à l'avortement, qui avait intenté le recours collectif au nom des femmes qui ont subi un avortement en clinique privée depuis 1999. «Les femmes vont pouvoir choisir le lieu où elles veulent avoir ce service sans avoir à débourser des sommes d'argent, comme la loi le prescrit», a affirmé un des avocats qui ont plaidé la cause, Philippe Trudel.
M. Trudel espère néanmoins que Québec renoncera à en appeler de la décision et prendra les mesures nécessaires pour se conformer à sa propre loi. «Le Québec a toujours été une province ouverte et avant-gardiste en cette matière-là. [...] Ici, on a un exemple où le gouvernement a lui-même créé une médecine à deux vitesses et on espère que devant un jugement somme toute assez sévère, il va respecter le droit des femmes à l'accès libre et gratuit», a fait valoir Me Trudel.
Si Québec ne conteste pas le jugement, il restera à déterminer comment les frais pourront être remboursés dans le respect de l'anonymat entourant une telle intervention médicale. Une chose est certaine: les femmes concernées devront elles-mêmes formuler une demande à la suite de la parution d'un avis public dans les médias.
Et ensuite?
Si le jugement oblige Québec à rembourser les femmes pour les avortements passés, on continue néanmoins d'exiger des frais supplémentaires dans les cliniques privées.
«Les femmes qui arrivent aujourd'hui à la clinique doivent toujours débourser 300 $. Le jugement ne change rien tant que le gouvernement ne s'assoit pas à la table pour discuter des changements à faire», a expliqué la directrice de la clinique Morgentaler de Montréal, France Désilet.
Pour l'avocat Philippe Trudel, il ne fait aucun doute que le gouvernement devra remédier à la situation, jugée illégale par la cour. Il reste cependant à voir comment il s'y prendra. Les régies régionales pourraient par exemple accorder des subventions aux cliniques et aux centres de femmes pour dispenser les services, comme cela se fait déjà en Mauricie et en Outaouais. Il pourrait aussi carrément hausser les tarifs prévus à la RAMQ pour les frais de clinique, actuellement fixés à 28 $, comparativement à 400 $ en Ontario. Option moins souhaitable aux yeux de Me Trudel, le gouvernement pourrait aussi décider d'assurer seulement les services dispensés dans les hôpitaux et les CLSC.
Me Trudel a cependant souligné que les avortements pratiqués dans les cliniques privées spécialisées s'avèrent moins coûteux que ceux effectués dans les hôpitaux. «S'il y a un terrain propice à la conclusion de PPP, c'est bien là, parce qu'on parle de cliniques spécialisées, ouvertes depuis plusieurs années», estime-t-il.
Avortement - Québec a violé sa propre loi
Avortement - Québec a violé sa propre loi
Clairandrée Cauchy
Édition du samedi 19 et du dimanche 20 août 2006
Mots clés : avortement
La cour condamne le gouvernement à verser plus de 13 millions aux femmes qui ont eu recours au privé
La Cour supérieure condamne le gouvernement du Québec à verser 13 millions aux femmes qui se sont fait avorter depuis 1999 en clinique privée, soit une moyenne de près de 300 $ pour chaque opération.
Dans sa décision rendue publique hier, la juge Nicole Bénard a souligné que Québec a toléré une pratique interdite par la loi en permettant que les cliniques privées imposent des frais allant de 200 à 300 $ pour des avortements pourtant couverts par le régime d'assurance maladie. Le problème, c'est que les cliniques ne peuvent pas fonctionner adéquatement avec les 28 $ alloués par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) pour les frais de fonctionnement des cliniques privées, outre les honoraires des médecins.
«Permettre aux cliniques privées d'exiger des frais supplémentaires pour des services assurés, et ce, en sachant qu'il en va de leur survie, érige en système ce que la loi interdit», conclut la juge Bénard dans son jugement, qui donne raison à l'Association pour l'accès à l'avortement, à l'origine du recours collectif.
Les procureurs de Québec plaidaient que les frais supplémentaires exigés dans les cliniques privées portaient sur des services qui ne sont pas déjà assurés par la RAMQ, tels le counselling psychologique, les échographies ou les médicaments. La juge a balayé cet argument, soulignant par exemple qu'une échographie est médicalement requise avant de pratiquer une interruption volontaire de grossesse (IVG). «L'État sait très bien que des femmes paient un supplément pour des services assurés mais ferme les yeux et le tolère», tranche-t-elle.
«L'État ne peut plaider l'immunité puisqu'il ne peut prendre de décisions politiques ou administratives qui ne respectent pas les lois qu'il a adoptées», peut-on lire dans la décision.
Le gouvernement devra donc rembourser les frais payés par les quelque 45 000 femmes qui ont subi une IVG dans cinq cliniques privées de la province et deux centres de santé des femmes, soit 10,8 millions de dollars plus les intérêts, pour un total de plus de 13 millions. On estime qu'entre 20 et 25 % des avortements faits au premier trimestre de la grossesse sont pratiqués dans le secteur privé.
Le gouvernement dispose de 30 jours pour interjeter appel de la décision. Le ministre de la Santé, Philippe Couillard, a refusé de commenter le jugement hier. «On laisse le temps à notre contentieux de l'étudier. On doit bien comprendre l'ensemble du jugement, son étendue et sa portée», a expliqué son attachée de presse, Isabelle Merrizzi.
La décision a réjoui l'Association pour l'accès à l'avortement, qui avait intenté le recours collectif au nom des femmes qui ont subi un avortement en clinique privée depuis 1999. «Les femmes vont pouvoir choisir le lieu où elles veulent avoir ce service sans avoir à débourser des sommes d'argent, comme la loi le prescrit», a affirmé un des avocats qui ont plaidé la cause, Philippe Trudel.
M. Trudel espère néanmoins que Québec renoncera à en appeler de la décision et prendra les mesures nécessaires pour se conformer à sa propre loi. «Le Québec a toujours été une province ouverte et avant-gardiste en cette matière-là. [...] Ici, on a un exemple où le gouvernement a lui-même créé une médecine à deux vitesses et on espère que devant un jugement somme toute assez sévère, il va respecter le droit des femmes à l'accès libre et gratuit», a fait valoir Me Trudel.
Si Québec ne conteste pas le jugement, il restera à déterminer comment les frais pourront être remboursés dans le respect de l'anonymat entourant une telle intervention médicale. Une chose est certaine: les femmes concernées devront elles-mêmes formuler une demande à la suite de la parution d'un avis public dans les médias.
Et ensuite?
Si le jugement oblige Québec à rembourser les femmes pour les avortements passés, on continue néanmoins d'exiger des frais supplémentaires dans les cliniques privées.
«Les femmes qui arrivent aujourd'hui à la clinique doivent toujours débourser 300 $. Le jugement ne change rien tant que le gouvernement ne s'assoit pas à la table pour discuter des changements à faire», a expliqué la directrice de la clinique Morgentaler de Montréal, France Désilet.
Pour l'avocat Philippe Trudel, il ne fait aucun doute que le gouvernement devra remédier à la situation, jugée illégale par la cour. Il reste cependant à voir comment il s'y prendra. Les régies régionales pourraient par exemple accorder des subventions aux cliniques et aux centres de femmes pour dispenser les services, comme cela se fait déjà en Mauricie et en Outaouais. Il pourrait aussi carrément hausser les tarifs prévus à la RAMQ pour les frais de clinique, actuellement fixés à 28 $, comparativement à 400 $ en Ontario. Option moins souhaitable aux yeux de Me Trudel, le gouvernement pourrait aussi décider d'assurer seulement les services dispensés dans les hôpitaux et les CLSC.
Me Trudel a cependant souligné que les avortements pratiqués dans les cliniques privées spécialisées s'avèrent moins coûteux que ceux effectués dans les hôpitaux. «S'il y a un terrain propice à la conclusion de PPP, c'est bien là, parce qu'on parle de cliniques spécialisées, ouvertes depuis plusieurs années», estime-t-il.