Médias
La vérité si je mens
Nathalie Collard
La Presse
Crise de confiance, cynisme, doute... Depuis le début de la guerre en Irak, les Américains sont de plus en plus critiques à l'endroit de leurs médias. Les affaires Jessica Lynch, Jayson Blair et Stephen Glass n'ont pas aidé.
Le président Bush est déjà en campagne électorale. Les médias couvriront-ils correctement la présidentielle? Le public, en tout cas, en doute.
Or au même moment, nos voisins du Sud entrent de plain-pied en campagne présidentielle. Où iront-ils s'informer? Vont-ils faire confiance aux médias traditionnels ou se tourneront-ils davantage vers Internet? En ces temps de méfiance, un site Internet dirigé par un ancien journaliste de CNN s'est donné pour objectif de vérifier toutes les affirmations des candidats durant la campagne. Ils passent tout- publicités, discours, entrevues- au peigne fin. Un signe de plus que les médias ne font pas leur travail? Portrait de factcheck.org.
Les Américains font de moins en moins confiance aux médias traditionnels. Une étude réalisée par le Centre de recherche Pew, aux États-Unis, montre à quel point cette crise de confiance s'est accentuée depuis la dernière campagne présidentielle. Parmi les résultats significatifs: 39 % des 1506 répondants estiment que les médias déforment la réalité et seulement 35 % des répondants disent s'informer aux bulletins d'information de fin de soirée (contre 45 % il y a quatre ans). En outre, l'étude démontre ce que les observateurs devinent depuis quelques années déjà: de plus en plus de gens délaissent les médias traditionnels et vont chercher leur information ailleurs, sur Internet notamment (9 % de plus qu'il y a quatre ans, toujours selon le sondage).
Chez les jeunes de moins de 30 ans, la tendance est encore plus marquée. Un répondant sur cinq s'informe en regardant une émission humoristique du type Daily Show ou Saturday Night Life. C'est le double d'il y a quatre ans... (En fait, l'animateur du Daily Show, Jon Stewart, est tellement populaire auprès des jeunes qu'on l'a déjà surnommé, avec un brin d'ironie, le Walter Cronkite de sa génération. L'hebdomadaire Newsweek le mettait d'ailleurs à la une de son édition internationale la semaine dernière.)
La création du site factcheck.org arrive donc à point nommé.
Dirigé par Brooks Jackson, un journaliste qui compte plus de trente ans d'expérience, factcheck, lancé le 5 décembre dernier, est un projet conçu par le Centre de politique publique Annenberg, à l'Université de Pensylvannie. Objectif: réduire le niveau de déception et de confusion des électeurs en vérifiant les faits avancés par les principaux acteurs durant la campagne électorale.
«Jusqu'à l'an dernier, je travaillais à CNN, où je faisais essentiellement le même travail: expliquer, vérifier, vulgariser et débusquer les faussetés, explique Jackson, joint au téléphone à son bureau. C'est d'ailleurs la directrice du Centre, Kathleen Hall Jamieson, qui avait mis au point les outils de travail pour CNN. Lorsque j'ai quitté CNN, elle m'a offert ce poste qui s'inscrit dans la suite logique de mon travail de journaliste.»
Avec l'aide d'un recherchiste, Brooks Jackson examine les affirmations faites par les partis dans le cadre de la campagne présidentielle. Le travail de Factcheck, assure-t-il, est non partisan. Le Centre Annenberg est financé par une fondation et refuse toute contribution financière de la part des entreprises, des syndicats, des partis politiques et des lobbies.
«Si vous consultez notre site aujourd'hui, vous remarquerez que nous parlons davantage des démocrates, reconnaît-il. Cela s'explique par le fait qu'ils sont à la recherche d'un candidat qui se présentera contre George W. Bush. Pendant ce temps, les républicains adoptent plutôt un profil bas. Lorsque la course aura vraiment débuté, nous nous intéresseront tout autant aux républicains.»
Factcheck s'intéresse d'abord à la publicité télévisée, car c'est là, affirme Brooks Jackson, le premier contact des électeurs avec les programmes des partis.
Un exemple: cette semaine, on va décortiquer le message télévisé d'un groupe de pression anti-immigration qui affirme que l'emploi des immigrants fait diminuer les salaires dans l'État de l'Iowa. «Notre travail est sensiblement le même que celui d'un journaliste, explique-t-il. Nous prenons contact avec le groupe en question, nous lui demandons sur quoi il se base pour faire de telles affirmations. Puis nous analysons les études citées, nous demandons l'opinion du groupe adverse, nous faisons de la recherche. Grosso modo, c'est un travail de reportage.»
Doit-on conclure que les médias ne font pas ou font mal leur travail? Après tout, n'est-ce pas le rôle des journalistes qui couvrent la campagne présidentielle sur le terrain d'exposer les mensonges des partis politiques?
«Écoutez, à part les grandes institutions comme le New York Times et le Washington Post, les journaux qui couvrent la campagne affectent un ou deux journalistes, qui font ce qu'ils peuvent avec les ressources qui sont à leur disposition, répond, diplomate, Brooks Jackson. Je ne suis pas là pour critiquer le travail des médias. L'objectif de Factcheck, c'est d'informer les électeurs pour qu'il puissent faire un choix éclairé. Notre rôle est également d'aider les journalistes dans leur travail. Ils peuvent utiliser notre information, la citer, la repiquer, il n'y a pas de problème. Je l'ai déjà dit, nous ne sommes pas là pour trouver la vérité: c'est le travail des philosophes et des théologiens. Nous sommes là pour exposer les faits en utilisant les meilleures techniques du journalisme et de la recherche universitaire.»
Jackson Brooks ne veut pas critiquer ses anciens collègues, mais il reconnaît tout de même que la couverture politique actuelle est décevante. « On a tendance à couvrir les campagnes présidentielles comme si c'était des courses de chevaux, lance-t-il. On s'intéresse à celui qui monte, à celui qui descend, mais on ne parle pas des programmes et des idées des partis. Quand j'entends parler de l'argent qui est investi pour couvrir l'affaire Michael Jackson, je suis découragé. Cette course à la célébrité est vraiment en train de miner le travail journalistique. Les patrons des médias semblent convaincus que c'est ce qui attire le public, mais je ne suis pas certain qu'ils aient raison. Je ne veux pas critiquer le travail de mes pairs, mais si le travail de Factcheck peut contribuer à rééquilibrer la couverture présidentielle, je serais bien content.»
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www.factcheck.org