Isabelle Gaston
Des confidences troublantes
Agnès Gaudet
Le Journal de Montréal
11/07/2011 06h28
Malgré la souffrance qui l'affligeait, Isabelle Gaston, la mère d'Olivier et Anne-Sophie, assassinés par leur père Guy Turcotte, s'est confiée à bord du train de Josélito Michaud, un an et demi après le drame. L'émotion à fleur de peau, retenant ses larmes, elle a ouvert son coeur à l'animateur.
Dans le cadre de son émission On prend toujours un train pour la vie, Josélito Michaud s'est longuement entretenu avec Isabelle Gaston. L'entretien a eu lieu il y a un an, c'est-à-dire un an et demi après la tragédie de février 2009.
L'émission était présentée hier soir à Radio-Canada. On y découvre une mère meurtrie, encore sous le choc. Elle y explique sa descente aux enfers, la profonde souffrance qui l'habitera pour toujours et le chemin emprunté pour tenter de s'en sortir.
Partager avec le public
Josélito Michaud ne donnera pas d'entrevue sur le sujet. L'animateur ne veut surtout pas que les gens croient qu'il tente de tirer profit de cette tragédie hypermédiatisée. S'il diffuse l'émission maintenant, c'est qu'il n'avait d'autre choix que d'attendre l'issue du procès avant de procéder.
Ayant suivi le procès et pris connaissance du verdict de Guy Turcotte, reconnu non criminellement responsable du meurtre de ses enfants, pour cause de troubles mentaux, Josélito Michaud a réécouté son entrevue avec Isabelle Gaston et retravaillé son montage jusqu'à hier, veille de la diffusion, afin d'en faire l'émission la plus adéquate possible.
Ce que Josélito veut avant tout, c'est partager avec le public l'épreuve que cette mère a vécue, alors qu'elle apprenait, le 22 février 2009, que son ex-conjoint, Guy Turcotte, venait d'assassiner leurs deux enfants, Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans et montrer comment elle a pu survivre à un tel drame.
* * *
«Cette journée-là, le 22 février, la Isabelle Gaston qui existait est morte. Vraiment. Je n'existe plus comme j'existais avant, comme mère, comme personne. Je me suis posé beaucoup la question: Pourquoi je continue ? Quand j'ai appris que mes enfants sont décédés, par le policier au téléphone, j'ai crié. J'ai perdu la voix. Après, je me suis un peu remontée et je me suis dit, 'faut que j'aille bercer mes enfants'.»
«Après, y'a tout un processus qui passe, mais y'a un moment où tu te dis, «je suis morte». J'existe plus. Mes enfants sont partis. Entre le lever du jour et le coucher du soleil, ma vie a complètement changé. Je ne le réalise pas encore, je suis encore à l'état de choc. On est à l'heure de la télé-réalité et je dis: okay, l'émission sur le deuil, c'est fini. Sortez mes enfants (...)»
«Je suis dans une autre dimension au niveau de mon cerveau. Je suis obligée de me protéger et d'arrêter de penser à cette journée-là (...) Cette journée-là, il faut que je la mette en boîte et que j'essaie de laisser la porte fermée, le plus que je peux. J'ai à combattre ces images-là, de mes enfants (...)»
«Ça n'a pas pris de temps de me dire: mais mon dieu, c'est à moi que ça arrive. Ce sont mes enfants qui sont sur le journal. Moi qui ai toujours eu une vie relativement rangée, que là, mes enfants ont été assassinés.»
«J'ai perdu beaucoup de gens dans ma vie et je commence à trouver... Aujourd'hui, je vois que ces morts-là m'ont préparé à ce que je viens de vivre. (...) J'aurais préféré qu'il m'enlève la vie à moi. J'aurais réellement préféré partir avec eux.»
«Honnêtement, ce qu'on peut me souhaiter -une vie heureuse bien sûr-mais je supplie la vie de venir me chercher et laisser une mère vivre. Je donnerais ma santé, je me couperais les deux bras, on pourrait me torturer pour avoir mes enfants, ne serait-ce que juste un regard à travers la fenêtre.»
«Dans le processus où j'essaie de guérir, j'essais de me dire, «au lieu de malchance de les avoir perdus, j'ai de la chance de les avoir connus». C'est la même situation, mais vu différemment (...)»
«Si on venait avec une boule de cristal et qu'on me disait: Isabelle, Olivier je vais te l'envoyer pour 5 1/2 ans et Anne-Sophie, je vais te l'envoyer pour 3 ans, est-ce que tu les prends ? Je dirais oui.»
«Je sais que je vais devoir apprendre à vivre avec cette souffrance-là. J'ai une boule ici (elle porte le poing à son estomac), des émotions sont ici. J'ai eu de la difficulté à prendre un grand souffle pendant plus d'une année. Je n'ai pas été capable de respirer pendant plus d'une année. Puis, j'attendais de ne plus souffrir pour avancer, mais cette souffrance-là va faire partie de moi pour toujours.»
«Donc, j'ai cette frustration-là de voir des enfants malades. Je deviens très fâchée et je me dis: moi mes enfants étaient pas malades. (...) Je ne comprends pas ( ...)»
«Je dirais que comme en salle de réanimation, quand y'a pas de pouls pendant trente minutes et que tout à coup quelqu'un cri: «Y'a un pouls!» Moi, je suis cette personne-là, (dont le pouls s'est arrêté). Mon pouls est faible, mais il n'a pas réussi à tuer ma capacité de vouloir honorer mes enfants, de vouloir honorer la vie que j'ai. »
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