Publié : jeu. avr. 12, 2007 2:09 pm
La Presse, Montréal, Samedi 7 Avril 2007 en page A7
Étendez-vous un peu, docteur Mailloux
Yves Boisvert
Pierre Mailloux a retrouvé le droit de pratique qu'on n'aurait jamais dû lui enlever -- pas comme ça, en tout cas. Même les malappris les plus hirsutes ont le droit d'être traités équitablement.
Mais ce bon jugement du Tribunal des professions n'était pas sitôt déposé que le Doc Mailloux s'est mis à crier vengeance en interprétant tout croche ce jugement.
Mieux : il dit qu'il réclamera 10,5 millions, la même somme que ce que le gouvernement a versé à Maher Arar pour compenser l'année de torture et de mauvais traitements qui lui a été infligés en Syrie par la faute de la GRC.
« Je ne demande rien de moins. Moi, on me harcèle et on me torture depuis 1999 et on attaque mon intégrité », a-t-il déclaré à un collègue du Nouvelliste.
Doc, étendez-vous un peu. ou allez fendre quelques bûches et réfléchissez avant de dire d'autres niaiseries.
Comparer une procédure du Collège des médecins, aussi pénible soit-elle, avec la torture subie dans sa chair par un homme traité publiquement et injustement, c'est d'une bêtise assez considérable.
Ou bien le Doc Mailloux se sent persécuté, ou bien il a une vision grandiose de son propre personnage, ou bien il montre que ce « bon jugement » qu'il se vante de posséder s'est asséché.
Récapitulons. Le 23 janvier. le comité de discipline du Collège des médecins prononce la radiation provisoire de Mailloux. Les motifs : prescrïptions exagérées d'antipsychotiques et propos radiophoniques immodérés et irresponsables.
J'ai écrit à l'époque -- et je le pense encore -- que cette décision était teintée politiquement : on voulait la peau du Doc Mailloux, au Collège. Aucun patient, ni responsable hospitalier, ni proche des patients ne s'est jamais plaint de lui. Il se peut qu'il soit fautif mais, si on examine les cas où l'on a réussi à obtenir une radiation provisoire, on voit que la preuve conte Mailloux était carrément insuffisante. La radiation provisoire est une mesure d'urgence : avant même d'entendre la cause en profondeur, on retire sa licence à un médecin récidiviste accusé d'agressions sexuelles, à un médecin malade qui ne sait plus ce qu'il fait, à un incompétent dangereux, etc. Mailloux ne fait pas le poids à côté de ça...
Mailloux a porté l'affaire en appel devant le Tribunal des professions, et la juge Louise Provost lui a donné raison mercredi sur l'essentiel : on ne l'a pas traité correctement devant le comité de discipline. On ne lui a pas fourni toute la preuve qu'il y avait contre lui et surtout, on lui a interdit de faire entendre des témoins -- des patients.
C'est le grand reproche que fait la juge Provost au comité : sans même donner raison, on a balayé les demandes de Mailloux, lui disant qu'on lui donnerait les documents quand la plainte sera entendue « au fond ». Évidemment, c'était remettre à une date indéterminée la possibilité pour Mailloux de se défendre.
Comme il y a une « faiblesse apparente » dans cette décision, la juge Provost constate, c'est l'évidence, que si elle ne suspend pas la radiation, Mailloux subira un préjudice irréparable : la perte de mois, sinon d'années de pratique.
Voilà une décision bien raisonnée. Mais elle ne vous donne aucunement ouverture à une poursuite contre le Collège des médecins et son syndic. Quand la juge Provost parle de « préjudice irréparable », elle emploie une expression de la Cour suprême, qui énumère les critères à considérer avant de suspendre une ordonnance.
Il faut bien comprendre ce qu’est une jugement rendu en appel. Même sévère, même cinglant, un jugement du Tribunal des professions qui casse une décision du comité de discipline n’est pas un jugement en responsabilité civile. Les comités de discipline jouissent d’une immunité quand ils agissent dans l’exercice de leurs fonctions, sans quoi ils seraient constamment paralysés par la peur des poursuites.
Le juge Provost rend une décision dure sur le travail du comité de discipline. Quant à moi, les trois membres de ce comité ont été aveuglés par l’immense vent d’antipathie qui souffle contre Mailloux. C’est grave.
Mais les chances de Mailloux, qui n’est pas sans reproches, de gagner une poursuite en dommages sur cette base-là sont à peu près nulles. S’il y a des tribunaux d’appel, c’est parce qu’il faut s’attendre (malheureusement!) à ce que des juges se trompent, soient emportés par leurs passions, etc.
Mailloux a fait annuler la radiation « provisoire », mais maintenant il devra se défendre sur le fond, et des psychiatres sont prêts à aller dire qu’il a été fautif dans sa pratique, aussi difficile et aussi admirable soit-elle par certains côtés.
Au lieu de monter sur ses grands chevaux, il devrait prendre cette victoire pour ce qu’elle est : un rappel à l’ordre ponctuel du comité de discipline. Nullement une accolade ou un triomphe. Une invitation, peut-être, à régler raisonnablement toutes ces procédures.
Mais à le voir parti comme il est parti avec son moulin à vent, je ne suis pas bien sûr que tout cela finira raisonnablement…
Étendez-vous un peu, docteur Mailloux
Yves Boisvert
Pierre Mailloux a retrouvé le droit de pratique qu'on n'aurait jamais dû lui enlever -- pas comme ça, en tout cas. Même les malappris les plus hirsutes ont le droit d'être traités équitablement.
Mais ce bon jugement du Tribunal des professions n'était pas sitôt déposé que le Doc Mailloux s'est mis à crier vengeance en interprétant tout croche ce jugement.
Mieux : il dit qu'il réclamera 10,5 millions, la même somme que ce que le gouvernement a versé à Maher Arar pour compenser l'année de torture et de mauvais traitements qui lui a été infligés en Syrie par la faute de la GRC.
« Je ne demande rien de moins. Moi, on me harcèle et on me torture depuis 1999 et on attaque mon intégrité », a-t-il déclaré à un collègue du Nouvelliste.
Doc, étendez-vous un peu. ou allez fendre quelques bûches et réfléchissez avant de dire d'autres niaiseries.
Comparer une procédure du Collège des médecins, aussi pénible soit-elle, avec la torture subie dans sa chair par un homme traité publiquement et injustement, c'est d'une bêtise assez considérable.
Ou bien le Doc Mailloux se sent persécuté, ou bien il a une vision grandiose de son propre personnage, ou bien il montre que ce « bon jugement » qu'il se vante de posséder s'est asséché.
Récapitulons. Le 23 janvier. le comité de discipline du Collège des médecins prononce la radiation provisoire de Mailloux. Les motifs : prescrïptions exagérées d'antipsychotiques et propos radiophoniques immodérés et irresponsables.
J'ai écrit à l'époque -- et je le pense encore -- que cette décision était teintée politiquement : on voulait la peau du Doc Mailloux, au Collège. Aucun patient, ni responsable hospitalier, ni proche des patients ne s'est jamais plaint de lui. Il se peut qu'il soit fautif mais, si on examine les cas où l'on a réussi à obtenir une radiation provisoire, on voit que la preuve conte Mailloux était carrément insuffisante. La radiation provisoire est une mesure d'urgence : avant même d'entendre la cause en profondeur, on retire sa licence à un médecin récidiviste accusé d'agressions sexuelles, à un médecin malade qui ne sait plus ce qu'il fait, à un incompétent dangereux, etc. Mailloux ne fait pas le poids à côté de ça...
Mailloux a porté l'affaire en appel devant le Tribunal des professions, et la juge Louise Provost lui a donné raison mercredi sur l'essentiel : on ne l'a pas traité correctement devant le comité de discipline. On ne lui a pas fourni toute la preuve qu'il y avait contre lui et surtout, on lui a interdit de faire entendre des témoins -- des patients.
C'est le grand reproche que fait la juge Provost au comité : sans même donner raison, on a balayé les demandes de Mailloux, lui disant qu'on lui donnerait les documents quand la plainte sera entendue « au fond ». Évidemment, c'était remettre à une date indéterminée la possibilité pour Mailloux de se défendre.
Comme il y a une « faiblesse apparente » dans cette décision, la juge Provost constate, c'est l'évidence, que si elle ne suspend pas la radiation, Mailloux subira un préjudice irréparable : la perte de mois, sinon d'années de pratique.
Voilà une décision bien raisonnée. Mais elle ne vous donne aucunement ouverture à une poursuite contre le Collège des médecins et son syndic. Quand la juge Provost parle de « préjudice irréparable », elle emploie une expression de la Cour suprême, qui énumère les critères à considérer avant de suspendre une ordonnance.
Il faut bien comprendre ce qu’est une jugement rendu en appel. Même sévère, même cinglant, un jugement du Tribunal des professions qui casse une décision du comité de discipline n’est pas un jugement en responsabilité civile. Les comités de discipline jouissent d’une immunité quand ils agissent dans l’exercice de leurs fonctions, sans quoi ils seraient constamment paralysés par la peur des poursuites.
Le juge Provost rend une décision dure sur le travail du comité de discipline. Quant à moi, les trois membres de ce comité ont été aveuglés par l’immense vent d’antipathie qui souffle contre Mailloux. C’est grave.
Mais les chances de Mailloux, qui n’est pas sans reproches, de gagner une poursuite en dommages sur cette base-là sont à peu près nulles. S’il y a des tribunaux d’appel, c’est parce qu’il faut s’attendre (malheureusement!) à ce que des juges se trompent, soient emportés par leurs passions, etc.
Mailloux a fait annuler la radiation « provisoire », mais maintenant il devra se défendre sur le fond, et des psychiatres sont prêts à aller dire qu’il a été fautif dans sa pratique, aussi difficile et aussi admirable soit-elle par certains côtés.
Au lieu de monter sur ses grands chevaux, il devrait prendre cette victoire pour ce qu’elle est : un rappel à l’ordre ponctuel du comité de discipline. Nullement une accolade ou un triomphe. Une invitation, peut-être, à régler raisonnablement toutes ces procédures.
Mais à le voir parti comme il est parti avec son moulin à vent, je ne suis pas bien sûr que tout cela finira raisonnablement…