SAQ - Coup de gueule
Véronique Robert, avocate, droit criminel.
Jeudi 25 août 2011
Je n’en prendrai pas l’habitude, même si le sujet cadre dans un blogue juridique.
Il n’est pas question toutefois de droit criminel, ni de droits fondamentaux. Il s’agit bel et bien d’un coup de gueule en lien avec l’application, par des employés de la SAQ, de leur « Code d’éthique ». Du manque de discernement de certains employés de la SAQ, en fait.
Le 6 août dernier, je n’avais plus de vin et je m’apprêtais à souper. Je me rends donc à la SAQ-Express des Galeries Normandie à Montréal, la SAQ où j’allais le plus souvent car elle est tout près de chez-moi. Inutile de dire que je n'y vais plus. Dommage, j'aimais bien les autres employés, surtout celui qui m'a fait connaître le Mirassou.
Je réalise en sortant de la maison que la voiture de ma fille de 17 ans est garée derrière la mienne (oui, la mise en contexte me paraît importante pour démontrer l’absurdité de l’aventure) alors je lui demande de la reculer. Une fois dehors avec ses clés en main, elle me propose de m’y conduire. Merci Alice. C'est sympa.
Arrivées à la SAQ, nous entrons toutes les deux. Eh oui, il faisait une chaleur monstre et nous n’avons pas pensé la laisser suffoquer dans la voiture non climatisée. Il faut dire que chaque fois que j’ai fait des courses avec ma fille (notre librairie est en face de cette SAQ ainsi que notre épicerie) elle est toujours entrée avec moi. Mon beau-fils de 9 ans aussi, d'ailleurs.
J’achète donc des vins rouges (des pinots noirs californiens pour la plupart), et aussi –je m’en confesse– deux bouteilles de « Wild Vines®», vous savez, cette boisson frizzante à base de fruits, légèrement alcoolisée, que les jeunes filles aiment bien. Les grandes filles aussi, parfois, surtout à l’heure de l’apéro quand elles sont trop feignasses pour préparer une sangria.
J’ignore de quoi ma fille et moi avons bavardé dans les allées du magasin, mais elle avait effectivement des amis qui venaient à la maison ce soir-là et elle croit que le commis nous a entendu en parler. Peut-être… Je m’en contrebalance.
Arrivées à la caisse, ma fille derrière moi qui clavarde sur son portable sans se soucier de ce qui l’entoure, je tends ma carte bancaire au caissier qui, sans me regarder, demande à ma fille ses pièces d’identité. Elle lève les yeux et rougit. Son portefeuille est dans la voiture, et de toute manière elle a 17 ans. Je demande au caissier s’il est sérieux. Oui, il est trrèèès sérieux :
Avec mes quelques bouteilles de rouge et mes deux bouteilles de Wild Vines, je suis coupable de tentative d’achat d’alcool pour une mineure. Coupable oui, parce que c'est moi qui passe pour une mère dévergondée, alors que la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques ne me concerne pas: elle concerne le vendeur.
J’étais d’abord sidérée, puis hors de moi. J’ai bien essayé d’expliquer au caissier qu’il comprenait mal son rôle, qu’il ne pouvait pas refuser de me vendre du vin au motif que ma fille m’accompagnait et que, peut-être, rendue à la maison, elle prendrait un verre de Wild Vines. Ce que nous permettons à la maison ne le regarde pas. Regard de poisson. Il s’est contenté d’interpeller son collègue qui, regard de grenouille, m’a simplement pointé une affiche marquée « Même si vous achetez pour un mineur » ou un truc du genre.
Certes, il est interdit aux employés de la SAQ, aux employés d’épiceries et de dépanneurs, de vendre de l’alcool ou des cigarettes à des mineurs, et il est interdit de vendre de l’alcool à un majeur qui achète pour un mineur. C’est indiqué explicitement dans le Code d’éthique des employés de la SAQ:
Cette règle est une application des articles 102.1 à 103.9 de la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques. Or, aucune loi ne dispense ceux par qui elle doit être appliquée de faire preuve de discernement. Discernement. Jugeote. Bon sens.
Aussi, la formulation de cette politique est ambiguë. On dit
« Si nous avons des motifs raisonnables de croire qu’un client majeur achète de l’alcool pour un mineur, qu’il soit son enfant ou non, nous refuserons de le lui vendre, car cet acte est illégal ». Or, ce qui est illégal, ce n’est pas d’acheter de l’alcool pour un mineur, ou de boire un verre de vin avec un mineur; ce qui est illégal c’est de vendre de l’alcool à un mineur ou à quelqu’un qui achète pour un mineur. Ça vaut aussi dans les restaurants et les bars.[1]
Aucune loi n’interdit à un parent de servir un verre de champagne à son jeune de 17 ans pour son anniversaire.
Discernement. Jugeote. Bon sens.
Ne pas acheter pour un mineur signifie « ne pas acheter POUR un mineur ». Tautologique? Vous est-il déjà arrivé de vous faire demander par un jeune inconnu d’entrer au dépanneur pour lui afin de lui procurer ses clopes? Moi oui. Ce que j’ai répondu à cela ne vous regarde pas. Mais je suis tout à fait d’accord que, suivant la loi, le préposé d'un magasin ne peut pas vendre à un adulte s’il voit un mineur dehors qui attend sa bière, sa vodka ou ses cigarettes.
Ce n’est pas d’une telle situation dont il s’agit ici. Il s’agit de ma vie privée. Il s’agit de mes achats, et de ce que nous allions boire et manger sur notre terrasse.
Ma fille serait restée à la maison j’aurais pu faire mes achats. Ma fille serait restée dans la voiture j’aurais pu faire mes achats. Rien n’indique qu’elle n’aurait pas pu, malgré ces hypothétiques précautions, se saouler la gueule en soirée jusqu’au coma éthylique. Ce qu'elle ne fait jamais... Mais ce que les jeunes font certainement quand ils sont coincés dans une telle rectitude de santé publique. Santé publique. N'importe quoi.
Quid du parent qui achète du cognac avec un bébé dans le sac ventral? Le préposé pourrait soupçonner qu’il va lui en mettre une goutte dans son biberon, comme le faisaient nos mères-grands?
Ce soir-là, j’ai bu de l’eau minérale. Y’a pas mort d’homme, j’en conviens. Mais il faudrait que la SAQ explique à ses employés que, poussé à l’extrême, leur manque de discernement devrait les inciter à appeler la DPJ. Ou encore, interdire à tout parent qui a la photo d'un ado dans son portefeuille d'acheter de l'alcool, tiens, au cas où il lui ferait goûter en rentrant à la maison.
Et ce commis qui m'a humiliée le 6 août dernier, si je retournais et qu'il me reconnaissait, devrait-il être conséquent et refuser de me vendre de l'alcool, maintenant qu'il me soupçonne d'acheter pour une mineure.
Vous savez, la DPJ pourrait intervenir si un parent saoulait son enfant…. Mais croyez-vous que la DPJ interviendrait si elle apprenait qu’il y a parfois chez-nous des jeunes de 16 à 25 ans qui prennent une bière sur la terrasse, ou un verre de vin avec nous en mangeant? Allons.
Discernement. Jugeote. Bon sens. Je réclame le droit de magasiner avec ma fille, bon sang.
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