Lettre de Benoît XVI aux Irlandais - Une réponse décevante au scandale de la pédophilie
Jean-Claude Leclerc 22 mars 2010 Éthique et religion
La lettre de Benoît XVI aux catholiques d'Irlande à propos des agressions sexuelles d'enfants confirme la gravité d'une crise tardivement reconnue et encore mal diagnostiquée. Si la compassion exprimée par le pape aux victimes brisées et aux prêtres humiliés en touchera plusieurs, par contre les solutions qu'il présente à l'Église d'Irlande restent bien en deçà des redressements qui s'imposent.
Renonçant à la gestion secrète de ces drames, le successeur de Jean-Paul II incite les autorités ecclésiastiques à porter à la connaissance des autorités civiles les cas, peu nombreux peut-être mais fort répandus, d'inconduite sexuelle au sein du clergé et des ordres religieux. Cette pratique du dévoilement ouvrira la porte à d'autres réparations. Mais elle ne saurait guère enrayer la pédophilie.
Il est vrai que la pédophilie ne sévit pas seulement en milieu religieux. Mais l'incidence plus forte de ces situations au sein du clergé et d'institutions proches des enfants traduit, par-delà les «péchés» et les «crimes» que déplore le pape, des failles dans le recrutement des gens appelés à servir dans des fonctions de grande confiance et d'intégrité. Ces failles, plus d'un évêque le reconnaît, portent aussi sur le pouvoir ecclésiastique tel qu'il existe présentement.
Benoît XVI veut réconforter les victimes et leurs familles, mais aussi les prêtres et les religieux éclaboussés par le scandale, et les simples fidèles qui ont perdu confiance dans l'Église. Mais au-delà du réconfort, un examen plus critique des causes d'un tel échec tarde encore. Un double problème propre à l'Église catholique expliquerait, en effet, qu'elle soit plus que d'autres confessions frappée d'une telle plaie.
D'abord, en misant essentiellement sur des moyens spirituels pour prévenir ou guérir ce genre de déviation sexuelle, l'Église risquait à la fois d'attirer plus de pédophiles qu'en d'autres milieux, et de leur offrir, le cas échéant, une thérapie plus morale que médicale, souvent vouée à l'insuccès. Ce risque existe toujours. Bien des croyants trouveront admirable la foi de Benoît XVI dans la «grâce» divine. Il faut pourtant plus que de la compassion pour sortir de l'enfer de la pédophilie. Même l'emprisonnement des fautifs souvent réclamé par leurs victimes contribue rarement au rétablissement des uns et des autres.
Le célibat des prêtres
Mais le célibat ecclésiastique ne serait-il pas en cause? À juste titre, Mgr Antoine Hérouard, secrétaire général de la Conférence des évêques de France, trouve absurde et injurieux de tenir les célibataires pour pédophiles. Il reconnaît cependant «que le statut de célibataire peut servir de refuge à des personnes qui ont une structure psychique faussée et qui peuvent, par ce biais, avoir accès plus facilement aux enfants et aux jeunes».
Le célibat ecclésiastique, tout en n'étant pas la cause de la pédophilie au sein de l'institution, y est néanmoins un facteur aggravant. En excluant les femmes et les gens mariés du sacerdoce, l'Église catholique aura involontairement mais structurellement servi de refuge privilégié et de couverture sociale pour des personnes aux prises avec ce trouble de l'identité sexuelle.
Le pape propose de soumettre le recrutement du clergé et des ordres religieux à un examen plus minutieux de l'équilibre et de la maturité des candidats. Une telle mesure aurait dû aller de soi depuis longtemps. Toutefois, malgré cette précaution, la chute des effectifs cléricaux risque aujourd'hui de perpétuer une surreprésentation de «vocations» problématiques.
Par contre, un clergé ouvert aux femmes et aux gens mariés apporterait à l'Église catholique un milieu moins sexuellement inhibé et plus à même d'offrir aux fidèles cette sensibilité et cette expérience qui auront si cruellement fait défaut à la hiérarchie quand frappaient à sa porte des familles en quête de protection et d'appui.
La lettre du pape a été froidement accueillie parmi les victimes et dans le public. Elle reflète, il est vrai, une conception de l'Église qui reste dominée par l'institution ecclésiastique. Benoît XVI y invoque le passé glorieux du catholicisme irlandais. Mais, s'il blâme les évêques actuels d'Irlande, il passe sous silence le rôle de Rome dans ce drame qui discrédite partout l'Église.
Pendant des années et dans plusieurs diocèses et congrégations, les autorités directement chargées des plaintes ont souvent choisi, non pas une solution «pastorale», mais la voie de l'obstruction judiciaire. Les victimes avaient besoin d'un «pasteur», elles se sont heurtées à des avocats. Benoît XVI propose aux Irlandais une mission ecclésiastique dans leur pays. De quelle aide sera-t-elle pour les victimes? Une commission judiciaire y a déjà fait la lumière, sans la collaboration du Vatican.
Si le pape reconnaît des lacunes dans le recrutement et la formation du clergé, il attribue à la «société», non à l'Église romaine, «une tendance à favoriser le clergé et d'autres figures d'autorité». Il reconnaît, certes, une «préoccupation déplacée pour la réputation de l'Église», mais n'explique pas la préférence donnée à l'institution cléricale aux dépens des fidèles vulnérables qu'elle devait protéger.
Cette position, concluront certains, ne sied guère à un chef spirituel qui a longtemps veillé à la discipline au sein de l'Église catholique. Ne serait-il pas opportun qu'il justifie, en toute transparence, l'action qu'il a menée depuis le début d'un tel scandale, l'un des plus graves, de son propre aveu, à survenir dans l'histoire de l'Église?
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