Publié : mer. avr. 18, 2007 4:18 am
Soupçonné de recevoir de l'aide d'amis pour se nourrir, un assisté social s'est vu couper entièrement son chèque d'aide sociale le mois dernier, après avoir refusé de produire une liste des coordonnées de ses amis et la nature de leur soutien.
Le prestataire de la sécurité du revenu, qu'on appellera Fernand, se débrouille depuis plusieurs années avec un chèque mensuel d'aide sociale de 548 $ par mois pour payer un loyer de 400 $. Une fois ses comptes payés, il lui reste seulement 50 $ pour se nourrir. En février dernier, son agent d'aide sociale l'a convoqué pour lui demander comment il arrivait à boucler son budget. On lui a alors demandé de présenter une liste des personnes qui l'aident, que ce soit en lui donnant de l'argent, de la nourriture ou en lui offrant des repas.
Dans une lettre dont Le Devoir a obtenu copie, ce dernier a répondu qu'outre quelques invitations très occasionnelles à souper chez des amis, il se débrouillait seul. «J'ai appris à cuisiner et je fais tous mes repas moi-même, souvent en style asiatique, avec des fèves, des légumineuses et du riz», écrit-il, énumérant des magasins où on peut s'approvisionner à faible coût.
Jugeant qu'il avait omis de produire un «document ou un renseignement nécessaire à la vérification de son admissibilité et à l'établissement du montant accordé», les autorités de la sécurité du revenu lui ont coupé son aide sociale.
La situation fait bondir la coordonnatrice du Groupe-ressource du Plateau-Mont-Royal, Louise Bergeron. «C'est clair que le chèque d'aide sociale n'est pas suffisant pour se nourrir. C'est un piège. S'il dit qu'il reçoit de l'aide, son chèque sera coupé d'autant, s'il dit qu'il n'en reçoit pas, on le coupe parce qu'on ne le croit pas», s'insurge Mme Bergeron.
Fernand a demandé récemment une révision de la décision, en vain. Il la conteste maintenant devant le Tribunal administratif du Québec. En attendant que la cause soit jugée, une juge a ordonné qu'on lui verse une aide de dépannage d'urgence, qu'il devra rembourser si jamais il perd.
L'entraide familiale pénalisée
Si Fernand avait affirmé qu'il recevait de l'aide de proches ou de parents d'une façon régulière, il aurait également été pénalisé. On aurait alors déduit de son chèque mensuel la valeur de l'aide accordée, même s'il s'agit de nourriture.
Dans un cas relaté par la porte-parole du Front commun des personnes assistées sociales, Nicole Jeté, un homme qui vit avec un montant de 588 $ par mois (ayant des contraintes temporaires à l'emploi) et paie un loyer de 450 $ a ainsi été convoqué par son agent d'aide sociale pour expliquer comment il se débrouille pour manger. «Il lui a dit que sa mère l'aidait en faisant deux épiceries par mois, d'une valeur de 35 à 50 $, depuis deux ans. L'agente a fait une moyenne du montant reçu en deux ans et lui a dit qu'il avait une dette d'autant», explique Mme Jeté.
Si, au lieu de compter sur l'aide de sa mère, la personne en question avait fréquenté les banques alimentaires ou les soupes populaires, cette aide n'aurait pas été comptabilisée, explique Mme Jetté. «C'est impossible d'avoir une solidarité sociale dans la dignité. Il faut être quêteux et aller chercher de quoi manger dans des organismes, avec une étiquette», s'indigne Mme Jetté.
Au cabinet de la ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Michelle Courchesne, on préfère référer le dossier au niveau administratif. Le responsable des relations avec les médias du ministère, Claude Morin, confirme qu'une aide régulière de la part d'amis ou de membres de la famille est déduite des prestations d'aide sociale, contrairement à celle reçue de la part d'organismes de charité. «L'aide de proches ou de la famille est considérée comme un "avantage comptabilisable" lorsqu'elle a un caractère régulier. C'est assimilé à un revenu», explique M. Morin. Il précise qu'une telle enquête n'est pas systématique, elle survient lorsqu'un agent d'aide sociale constate que le budget du prestataire peut difficilement être équilibré.
Le soutien prodigué par des organismes de charité est cependant considéré comme une «aide ponctuelle», poursuit M. Morin.
Le ministère s'appuie sur une logique d'équité pour justifier une telle pratique. «Il faut que le calcul soit équitable pour tous ceux qui reçoivent de l'aide. [...] À la base, c'est une aide de dernier recours. Si une personne a un recours régulier à de la famille ou un proche, cela signifie que la personne a d'autres recours. L'État prend quelqu'un en charge seulement quand il n'y a pas d'autres recours», explique M. Morin.
Fait à noter, cette aide sous forme «d'avantage comptabilisable» est entièrement déduite du montant d'aide sociale, alors que les premiers 200 $ par mois en gain de travail sont exemptés.
Le Collectif pour un Québec sans pauvreté, qui réclame depuis des années l'établissement d'un barème plancher à l'aide sociale qui couvrirait les besoins essentiels, juge cette pratique incohérente avec le discours gouvernemental. «Dans son plan d'action, la ministre vante l'importance que tous les acteurs de la société se mettent ensemble pour vaincre la pauvreté, on incite la société à soutenir les personnes, mais aussitôt que la famille entre en compte, cela entraîne des réductions de chèque», critique le porte-parole du collectif, Jean-Pierre Hétu.
Cette pénalité à l'entraide choque également Nicole Jetté, qui pousse plus loin la réflexion en déplorant les pénalités imposées aux assistés sociaux qui restent avec des parents. «On a dit que c'étaient des jeunes, mais la réalité, c'est que ce sont des gens de plus de 40 ans qui vivent avec des parents âgés. On parle d'aidants naturels et le gouvernement donne des crédits d'impôt pour cela, mais quand il s'agit d'assistés sociaux, on les coupe!»
Le prestataire de la sécurité du revenu, qu'on appellera Fernand, se débrouille depuis plusieurs années avec un chèque mensuel d'aide sociale de 548 $ par mois pour payer un loyer de 400 $. Une fois ses comptes payés, il lui reste seulement 50 $ pour se nourrir. En février dernier, son agent d'aide sociale l'a convoqué pour lui demander comment il arrivait à boucler son budget. On lui a alors demandé de présenter une liste des personnes qui l'aident, que ce soit en lui donnant de l'argent, de la nourriture ou en lui offrant des repas.
Dans une lettre dont Le Devoir a obtenu copie, ce dernier a répondu qu'outre quelques invitations très occasionnelles à souper chez des amis, il se débrouillait seul. «J'ai appris à cuisiner et je fais tous mes repas moi-même, souvent en style asiatique, avec des fèves, des légumineuses et du riz», écrit-il, énumérant des magasins où on peut s'approvisionner à faible coût.
Jugeant qu'il avait omis de produire un «document ou un renseignement nécessaire à la vérification de son admissibilité et à l'établissement du montant accordé», les autorités de la sécurité du revenu lui ont coupé son aide sociale.
La situation fait bondir la coordonnatrice du Groupe-ressource du Plateau-Mont-Royal, Louise Bergeron. «C'est clair que le chèque d'aide sociale n'est pas suffisant pour se nourrir. C'est un piège. S'il dit qu'il reçoit de l'aide, son chèque sera coupé d'autant, s'il dit qu'il n'en reçoit pas, on le coupe parce qu'on ne le croit pas», s'insurge Mme Bergeron.
Fernand a demandé récemment une révision de la décision, en vain. Il la conteste maintenant devant le Tribunal administratif du Québec. En attendant que la cause soit jugée, une juge a ordonné qu'on lui verse une aide de dépannage d'urgence, qu'il devra rembourser si jamais il perd.
L'entraide familiale pénalisée
Si Fernand avait affirmé qu'il recevait de l'aide de proches ou de parents d'une façon régulière, il aurait également été pénalisé. On aurait alors déduit de son chèque mensuel la valeur de l'aide accordée, même s'il s'agit de nourriture.
Dans un cas relaté par la porte-parole du Front commun des personnes assistées sociales, Nicole Jeté, un homme qui vit avec un montant de 588 $ par mois (ayant des contraintes temporaires à l'emploi) et paie un loyer de 450 $ a ainsi été convoqué par son agent d'aide sociale pour expliquer comment il se débrouille pour manger. «Il lui a dit que sa mère l'aidait en faisant deux épiceries par mois, d'une valeur de 35 à 50 $, depuis deux ans. L'agente a fait une moyenne du montant reçu en deux ans et lui a dit qu'il avait une dette d'autant», explique Mme Jeté.
Si, au lieu de compter sur l'aide de sa mère, la personne en question avait fréquenté les banques alimentaires ou les soupes populaires, cette aide n'aurait pas été comptabilisée, explique Mme Jetté. «C'est impossible d'avoir une solidarité sociale dans la dignité. Il faut être quêteux et aller chercher de quoi manger dans des organismes, avec une étiquette», s'indigne Mme Jetté.
Au cabinet de la ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Michelle Courchesne, on préfère référer le dossier au niveau administratif. Le responsable des relations avec les médias du ministère, Claude Morin, confirme qu'une aide régulière de la part d'amis ou de membres de la famille est déduite des prestations d'aide sociale, contrairement à celle reçue de la part d'organismes de charité. «L'aide de proches ou de la famille est considérée comme un "avantage comptabilisable" lorsqu'elle a un caractère régulier. C'est assimilé à un revenu», explique M. Morin. Il précise qu'une telle enquête n'est pas systématique, elle survient lorsqu'un agent d'aide sociale constate que le budget du prestataire peut difficilement être équilibré.
Le soutien prodigué par des organismes de charité est cependant considéré comme une «aide ponctuelle», poursuit M. Morin.
Le ministère s'appuie sur une logique d'équité pour justifier une telle pratique. «Il faut que le calcul soit équitable pour tous ceux qui reçoivent de l'aide. [...] À la base, c'est une aide de dernier recours. Si une personne a un recours régulier à de la famille ou un proche, cela signifie que la personne a d'autres recours. L'État prend quelqu'un en charge seulement quand il n'y a pas d'autres recours», explique M. Morin.
Fait à noter, cette aide sous forme «d'avantage comptabilisable» est entièrement déduite du montant d'aide sociale, alors que les premiers 200 $ par mois en gain de travail sont exemptés.
Le Collectif pour un Québec sans pauvreté, qui réclame depuis des années l'établissement d'un barème plancher à l'aide sociale qui couvrirait les besoins essentiels, juge cette pratique incohérente avec le discours gouvernemental. «Dans son plan d'action, la ministre vante l'importance que tous les acteurs de la société se mettent ensemble pour vaincre la pauvreté, on incite la société à soutenir les personnes, mais aussitôt que la famille entre en compte, cela entraîne des réductions de chèque», critique le porte-parole du collectif, Jean-Pierre Hétu.
Cette pénalité à l'entraide choque également Nicole Jetté, qui pousse plus loin la réflexion en déplorant les pénalités imposées aux assistés sociaux qui restent avec des parents. «On a dit que c'étaient des jeunes, mais la réalité, c'est que ce sont des gens de plus de 40 ans qui vivent avec des parents âgés. On parle d'aidants naturels et le gouvernement donne des crédits d'impôt pour cela, mais quand il s'agit d'assistés sociaux, on les coupe!»