Publié : jeu. mars 15, 2007 3:25 am
Le jeudi 15 mars 2007
Un rendez-vous avec un spécialiste en 72 heures
André Noël
La Presse
Une compagnie de Montréal offre à ses clients d’obtenir un rendez-vous avec un médecin spécialiste en 72 heures, moyennant des frais de 290 $ et plus, vient d’apprendre la Régie de l’assurance maladie du Québec.
La Régie n’a pas l’intention d’interdire cette activité, mais le Collège des médecins se dit «très préoccupé».
Une compagnie de Montréal offre à ses clients d’obtenir un rendez-vous avec un médecin spécialiste en 72 heures, moyennant des frais de 290 $ et plus, vient d’apprendre la Régie de l’assurance maladie du Québec. La Régie n’a pas l’intention d’interdire cette activité, mais le Collège des médecins se dit «très préoccupé».
La société Medecina, qui fonctionne depuis un an, s’affiche sur son site Web comme «le premier service accéléré de rendez-vous avec les professionnels de la santé au Canada» (www.medecina.ca). La page d’accueil se lit ainsi : «Fatigués d’attendre pour un rendez-vous chez un spécialiste de la santé ? Le temps c’est de l’argent et la santé n’a pas de prix !»
«Medecina offre à sa clientèle l’opportunité de prendre rendez-vous avec un médecin spécialiste dans les 72 heures. Le client n’a donc plus à subir l’attente inévitable causée par les conditions actuelles du réseau de la santé.»
Citant l’Institut Fraser, un groupe qui fait la promotion de la privatisation des services publics, la compagnie note : «Depuis les 10 dernières années, le temps d’attente a augmenté de 90 % au Canada.»
Suit la liste des spécialités des médecins avec qui un rendez-vous peut être pris en 72 heures, comme la cardiologie ou la neurologie. Les prix varient selon la spécialité. Ils commencent à 290 $.
Le site offre aussi de prendre rendez-vous avec des omnipraticiens privés, qui ne sont pas affiliés à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).
Le président de Medecina, Patrick Mercier, a dit à La Presse qu’il référait des clients surtout à des médecins non affiliés, mais aussi à des médecins affiliés. «Nous sommes conscients d’agir dans une zone grise, a-t-il dit. Par ailleurs, si le gouvernement interdisait le privé au Québec, Medecina n’existerait pas.»
«On a entendu parler de Medecina pour la première fois il y a quelques semaines, a dit Marc Lortie, porte-parole de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), au cours d’un entretien. À première vue, ce service ne semble pas violer la Loi sur l’assurance maladie.»
La Loi interdit à un médecin d’exiger des frais à ses patients lorsqu’il est rémunéré par la RAMQ, sauf pour des médicaments ou des agents anesthésiques. Il ne peut non plus «recevoir d’un établissement une somme d’argent ou un avantage direct ou indirect en considération de la dispensation de services assurés». L’immense majorité des 15 000 médecins du Québec sont affiliés à la RAMQ ; seulement une centaine ne le sont pas.
Ne peut-on pas supposer que les médecins se font payer par Medecina pour accepter de placer ses clients au-dessus de la liste d’attente ?
«Qui nous dit qu’ils reçoivent autre chose (que les remboursements de la RAMQ) ? a dit M. Lortie. On ne fera pas des enquêtes partout. Ici, on parle d’une agence de courtage qui propose de trouver un médecin spécialiste en 72 heures. Cela soulève peut-être une question d’éthique, mais à notre niveau, il ne semble pas y avoir de problème.»
M. Mercier a dit que Medecina ne donnait pas d’argent aux médecins affiliés à la RAMQ pour les convaincre de fixer des rendez-vous rapides. «Il y a des médecins qui n’ont pas une grosse pratique, a-t-il dit. Certains ont du temps. Ce ne sont pas tous les médecins qui travaillent comme des malades. D’autres ont des annulations. Si un médecin avait un patient à 14 h, mais que le rendez-vous est annulé, il est content que je lui réfère quelqu’un.»
Ces explications ne convainquent pas Marie-Claude Prémont, vice-doyenne de la faculté de droit de l’Université McGill, et spécialiste des lois sur la santé.
«Comment Medecina arrive-t-elle à obtenir ces rendez-vous rapides ? demande-t-elle. Si elle ne paye pas directement les médecins, paye-t-elle les cliniques où ces médecins travaillent ? Il y a matière à enquête de la part de la RAMQ. Cette façon de faire est contraire à ce que signifie le régime d’assurance maladie public : dans tous les cas, c’est la priorité médicale qui doit être déterminante, et non pas le fait de débourser des centaines de dollars.»
Au Collège des médecins, on se dit très préoccupé par l’existence d’un courtier en santé. Selon le Collège, un médecin ne peut pas recevoir des honoraires ou une bonification pour accélérer l’accès aux soins de santé.
Le docteur Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, a appris l’existence de Medecina par La Presse. Selon lui, il serait inacceptable que des patients puissent court-circuiter l’accès à des médecins affiliés à la RAMQ en versant de l’argent.
Il fait valoir toutefois que les médecins travaillent souvent dans des cliniques qui ne leur appartiennent pas : dans ces cas, ce ne sont pas eux qui gèrent les rendez-vous. «Si des cliniques acceptent de l’argent pour court-circuiter les listes d’attente, c’est dégueulasse», dit-il.
Le Dr Michel Copti, neurologue, était justement furieux quand il a constaté qu’une femme lui avait été référée par Medecina à la clinique Métro-Médic Centre-Ville. «Ce n’est pas normal de fonctionner comme ça, a-t-il dit à La Presse. Je ne suis pas désengagé (de la RAMQ). Je ne vois pas pourquoi on ferait des passe-droits pour court-circuiter les listes d’attente.»
Medecina a-t-elle versé de l’argent au secrétariat de la clinique Métro-Médic pour ce rendez-vous ? M. Mercier dit qu’il devait donner de l’argent à la secrétaire de la clinique, mais que, finalement, il ne l’a pas fait. Il ajoute qu’il n’y réfère plus personne et qu’il ne connaît pas personnellement son administrateur, le Dr Fernand Taras.
Le Dr Taras est ce médecin qui a ouvert la Clinique Rockland MD, en profitant de l’occasion créée par l’arrêt Chaoulli et la loi 33, qui font plus de place au privé en santé. Cette clinique exige des frais à ses patients. Le ministre de la Santé, Philippe Couillard, a demandé à la RAMQ d’en vérifier la nature. Mais dans le cas de Medecina, il n’y aura pas d’enquête.
Un rendez-vous avec un spécialiste en 72 heures
André Noël
La Presse
Une compagnie de Montréal offre à ses clients d’obtenir un rendez-vous avec un médecin spécialiste en 72 heures, moyennant des frais de 290 $ et plus, vient d’apprendre la Régie de l’assurance maladie du Québec.
La Régie n’a pas l’intention d’interdire cette activité, mais le Collège des médecins se dit «très préoccupé».
Une compagnie de Montréal offre à ses clients d’obtenir un rendez-vous avec un médecin spécialiste en 72 heures, moyennant des frais de 290 $ et plus, vient d’apprendre la Régie de l’assurance maladie du Québec. La Régie n’a pas l’intention d’interdire cette activité, mais le Collège des médecins se dit «très préoccupé».
La société Medecina, qui fonctionne depuis un an, s’affiche sur son site Web comme «le premier service accéléré de rendez-vous avec les professionnels de la santé au Canada» (www.medecina.ca). La page d’accueil se lit ainsi : «Fatigués d’attendre pour un rendez-vous chez un spécialiste de la santé ? Le temps c’est de l’argent et la santé n’a pas de prix !»
«Medecina offre à sa clientèle l’opportunité de prendre rendez-vous avec un médecin spécialiste dans les 72 heures. Le client n’a donc plus à subir l’attente inévitable causée par les conditions actuelles du réseau de la santé.»
Citant l’Institut Fraser, un groupe qui fait la promotion de la privatisation des services publics, la compagnie note : «Depuis les 10 dernières années, le temps d’attente a augmenté de 90 % au Canada.»
Suit la liste des spécialités des médecins avec qui un rendez-vous peut être pris en 72 heures, comme la cardiologie ou la neurologie. Les prix varient selon la spécialité. Ils commencent à 290 $.
Le site offre aussi de prendre rendez-vous avec des omnipraticiens privés, qui ne sont pas affiliés à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).
Le président de Medecina, Patrick Mercier, a dit à La Presse qu’il référait des clients surtout à des médecins non affiliés, mais aussi à des médecins affiliés. «Nous sommes conscients d’agir dans une zone grise, a-t-il dit. Par ailleurs, si le gouvernement interdisait le privé au Québec, Medecina n’existerait pas.»
«On a entendu parler de Medecina pour la première fois il y a quelques semaines, a dit Marc Lortie, porte-parole de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), au cours d’un entretien. À première vue, ce service ne semble pas violer la Loi sur l’assurance maladie.»
La Loi interdit à un médecin d’exiger des frais à ses patients lorsqu’il est rémunéré par la RAMQ, sauf pour des médicaments ou des agents anesthésiques. Il ne peut non plus «recevoir d’un établissement une somme d’argent ou un avantage direct ou indirect en considération de la dispensation de services assurés». L’immense majorité des 15 000 médecins du Québec sont affiliés à la RAMQ ; seulement une centaine ne le sont pas.
Ne peut-on pas supposer que les médecins se font payer par Medecina pour accepter de placer ses clients au-dessus de la liste d’attente ?
«Qui nous dit qu’ils reçoivent autre chose (que les remboursements de la RAMQ) ? a dit M. Lortie. On ne fera pas des enquêtes partout. Ici, on parle d’une agence de courtage qui propose de trouver un médecin spécialiste en 72 heures. Cela soulève peut-être une question d’éthique, mais à notre niveau, il ne semble pas y avoir de problème.»
M. Mercier a dit que Medecina ne donnait pas d’argent aux médecins affiliés à la RAMQ pour les convaincre de fixer des rendez-vous rapides. «Il y a des médecins qui n’ont pas une grosse pratique, a-t-il dit. Certains ont du temps. Ce ne sont pas tous les médecins qui travaillent comme des malades. D’autres ont des annulations. Si un médecin avait un patient à 14 h, mais que le rendez-vous est annulé, il est content que je lui réfère quelqu’un.»
Ces explications ne convainquent pas Marie-Claude Prémont, vice-doyenne de la faculté de droit de l’Université McGill, et spécialiste des lois sur la santé.
«Comment Medecina arrive-t-elle à obtenir ces rendez-vous rapides ? demande-t-elle. Si elle ne paye pas directement les médecins, paye-t-elle les cliniques où ces médecins travaillent ? Il y a matière à enquête de la part de la RAMQ. Cette façon de faire est contraire à ce que signifie le régime d’assurance maladie public : dans tous les cas, c’est la priorité médicale qui doit être déterminante, et non pas le fait de débourser des centaines de dollars.»
Au Collège des médecins, on se dit très préoccupé par l’existence d’un courtier en santé. Selon le Collège, un médecin ne peut pas recevoir des honoraires ou une bonification pour accélérer l’accès aux soins de santé.
Le docteur Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, a appris l’existence de Medecina par La Presse. Selon lui, il serait inacceptable que des patients puissent court-circuiter l’accès à des médecins affiliés à la RAMQ en versant de l’argent.
Il fait valoir toutefois que les médecins travaillent souvent dans des cliniques qui ne leur appartiennent pas : dans ces cas, ce ne sont pas eux qui gèrent les rendez-vous. «Si des cliniques acceptent de l’argent pour court-circuiter les listes d’attente, c’est dégueulasse», dit-il.
Le Dr Michel Copti, neurologue, était justement furieux quand il a constaté qu’une femme lui avait été référée par Medecina à la clinique Métro-Médic Centre-Ville. «Ce n’est pas normal de fonctionner comme ça, a-t-il dit à La Presse. Je ne suis pas désengagé (de la RAMQ). Je ne vois pas pourquoi on ferait des passe-droits pour court-circuiter les listes d’attente.»
Medecina a-t-elle versé de l’argent au secrétariat de la clinique Métro-Médic pour ce rendez-vous ? M. Mercier dit qu’il devait donner de l’argent à la secrétaire de la clinique, mais que, finalement, il ne l’a pas fait. Il ajoute qu’il n’y réfère plus personne et qu’il ne connaît pas personnellement son administrateur, le Dr Fernand Taras.
Le Dr Taras est ce médecin qui a ouvert la Clinique Rockland MD, en profitant de l’occasion créée par l’arrêt Chaoulli et la loi 33, qui font plus de place au privé en santé. Cette clinique exige des frais à ses patients. Le ministre de la Santé, Philippe Couillard, a demandé à la RAMQ d’en vérifier la nature. Mais dans le cas de Medecina, il n’y aura pas d’enquête.