Publié : sam. mars 17, 2007 8:06 am
Jean-Jacques Samson
La victoire de l'absurde
17/03/2007
Le Québec pourrait être dirigé, après le 26 mars, par un gouvernement du Parti québécois, porté au pouvoir avec moins de votes que le PLQ et l'ADQ et, en plus, ayant à sa tête le chef, André Boisclair, considéré par les Québécois comme le moins apte à exercer cette fonction. Ce serait le triomphe de l'absurde.
C'est pourtant le scénario à l'italienne qui ressort du dernier sondage Léger Marketing publié hier. La firme HKDP qui a créé un modèle de projection du nombre de sièges dont chaque parti hériterait, en attribue en effet 49 au Parti québécois, 43 au Parti libéral et 33 à l'Action démocratique de Mario Dumont qui détiendrait la balance du pouvoir.
«J'avais conclu une entente avec Christiane Gagnon (députée du Bloc québécois) pour lui revendre le bois de mes panneaux d'affichage, je pense que je ferais mieux de les garder!», a jeté en boutade hier la députée péquiste Agnès Maltais, pour illustrer à quel point un tel gouvernement serait fragile et susceptible de nous replonger rapidement en élections.
Les choses peuvent certes bouger encore beaucoup. Les intentions de vote allouées à l'ADQ sont loin d'être bétonnées; un fort pourcentage de répondants indique pouvoir réviser sa décision avant la date de l'élection. D'autre part, le budget fédéral sera déposé lundi; une amorce sérieuse de règlement du déséquilibre fiscal entre Ottawa et les provinces devrait théoriquement favoriser Jean Charest et Mario Dumont. Les deux prônent la bonne entente avec Ottawa et entretiennent des relations cordiales avec Stephen Harper. André Boisclair, quant à lui, tiendra le discours, on le devine déjà, du «trop peu trop tard».
Mario Dumont devra aussi préciser son cadre financier dans la foulée du budget fédéral. Inévitablement, il prêtera flanc. Ses adversaires devront toutefois se montrer prudents: depuis le début de la campagne, plus Mario Dumont a été attaqué par les autres chefs, plus il gagne des points.
Depuis 1970, les Québécois ont toujours accordé deux mandats consécutifs de gouvernement au Parti libéral et au Parti québécois, en alternance. Jean Charest pourrait briser cette séquence. Il est actuellement rattrapé par le fort taux d'insatisfaction à l'endroit de son gouvernement depuis 2003. Il a joué d'audace en déclenchant des élections alors que plus de 50 % de la population était encore insatisfait de sa gestion. M. Charest pouvait légalement attendre jusqu'en avril 2008. Entre l'audace et la témérité, la frontière est mince.
Mais il y a plus. La montée constante de l'Action démocratique traduit la brisure entre les régions et la métropole, ainsi que le ressentiment de la classe moyenne, non seulement contre le gouvernement Charest mais à l'endroit des deux «vieux partis» qui se sont échangé le pouvoir. Lorsque l'on fait abstraction de leurs options (fédéraliste et souverainiste), leurs programmes se confondent énormément dans l'esprit des citoyens. Jean Charest avait promis en 2003 un modèle différent de gouvernement. Or il n'a pas livré la marchandise à cet égard; il a au contraire accru diverses tarifications, comme le lui a vertement reproché un travailleur d'usine jeudi et, au cours de la dernière année, il a même copié l'interventionnisme reproché au Parti québécois.
Du côté du PQ, de nombreux militants et sympathisants souverainistes ne croient pas à la tenue d'un référendum à court terme, et le chef, André Boisclair, ne les enflamme pas du tout. Le Parti québécois n'a absolument pas profité des dernières années pour renouveler son discours sur la social-démocratie. Ces électeurs sont donc ouverts à écouter un nouveau discours, dans lequel ils se reconnaissent vite facilement. Le tronc commun, dans la philosophie et le programme de l'ADQ, est la famille, auquel Mario Dumont rattache ses propositions sur la santé, l'éducation, les garderies, les aînés, le logement, etc.
Depuis 40 ans, les partis politiques nous parlent de notre avenir collectif; l'ADQ s'adresse plutôt à l'individu. Ce courant ne cesse de prendre de la force. PLQ et PQ devront s'ajuster vite, à défaut de quoi ils se feront supplanter, sinon à cette élection, à la prochaine.
Chef des nouvelles
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La victoire de l'absurde
17/03/2007
Le Québec pourrait être dirigé, après le 26 mars, par un gouvernement du Parti québécois, porté au pouvoir avec moins de votes que le PLQ et l'ADQ et, en plus, ayant à sa tête le chef, André Boisclair, considéré par les Québécois comme le moins apte à exercer cette fonction. Ce serait le triomphe de l'absurde.
C'est pourtant le scénario à l'italienne qui ressort du dernier sondage Léger Marketing publié hier. La firme HKDP qui a créé un modèle de projection du nombre de sièges dont chaque parti hériterait, en attribue en effet 49 au Parti québécois, 43 au Parti libéral et 33 à l'Action démocratique de Mario Dumont qui détiendrait la balance du pouvoir.
«J'avais conclu une entente avec Christiane Gagnon (députée du Bloc québécois) pour lui revendre le bois de mes panneaux d'affichage, je pense que je ferais mieux de les garder!», a jeté en boutade hier la députée péquiste Agnès Maltais, pour illustrer à quel point un tel gouvernement serait fragile et susceptible de nous replonger rapidement en élections.
Les choses peuvent certes bouger encore beaucoup. Les intentions de vote allouées à l'ADQ sont loin d'être bétonnées; un fort pourcentage de répondants indique pouvoir réviser sa décision avant la date de l'élection. D'autre part, le budget fédéral sera déposé lundi; une amorce sérieuse de règlement du déséquilibre fiscal entre Ottawa et les provinces devrait théoriquement favoriser Jean Charest et Mario Dumont. Les deux prônent la bonne entente avec Ottawa et entretiennent des relations cordiales avec Stephen Harper. André Boisclair, quant à lui, tiendra le discours, on le devine déjà, du «trop peu trop tard».
Mario Dumont devra aussi préciser son cadre financier dans la foulée du budget fédéral. Inévitablement, il prêtera flanc. Ses adversaires devront toutefois se montrer prudents: depuis le début de la campagne, plus Mario Dumont a été attaqué par les autres chefs, plus il gagne des points.
Depuis 1970, les Québécois ont toujours accordé deux mandats consécutifs de gouvernement au Parti libéral et au Parti québécois, en alternance. Jean Charest pourrait briser cette séquence. Il est actuellement rattrapé par le fort taux d'insatisfaction à l'endroit de son gouvernement depuis 2003. Il a joué d'audace en déclenchant des élections alors que plus de 50 % de la population était encore insatisfait de sa gestion. M. Charest pouvait légalement attendre jusqu'en avril 2008. Entre l'audace et la témérité, la frontière est mince.
Mais il y a plus. La montée constante de l'Action démocratique traduit la brisure entre les régions et la métropole, ainsi que le ressentiment de la classe moyenne, non seulement contre le gouvernement Charest mais à l'endroit des deux «vieux partis» qui se sont échangé le pouvoir. Lorsque l'on fait abstraction de leurs options (fédéraliste et souverainiste), leurs programmes se confondent énormément dans l'esprit des citoyens. Jean Charest avait promis en 2003 un modèle différent de gouvernement. Or il n'a pas livré la marchandise à cet égard; il a au contraire accru diverses tarifications, comme le lui a vertement reproché un travailleur d'usine jeudi et, au cours de la dernière année, il a même copié l'interventionnisme reproché au Parti québécois.
Du côté du PQ, de nombreux militants et sympathisants souverainistes ne croient pas à la tenue d'un référendum à court terme, et le chef, André Boisclair, ne les enflamme pas du tout. Le Parti québécois n'a absolument pas profité des dernières années pour renouveler son discours sur la social-démocratie. Ces électeurs sont donc ouverts à écouter un nouveau discours, dans lequel ils se reconnaissent vite facilement. Le tronc commun, dans la philosophie et le programme de l'ADQ, est la famille, auquel Mario Dumont rattache ses propositions sur la santé, l'éducation, les garderies, les aînés, le logement, etc.
Depuis 40 ans, les partis politiques nous parlent de notre avenir collectif; l'ADQ s'adresse plutôt à l'individu. Ce courant ne cesse de prendre de la force. PLQ et PQ devront s'ajuster vite, à défaut de quoi ils se feront supplanter, sinon à cette élection, à la prochaine.
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