Publié : lun. oct. 23, 2006 6:09 am
Plus d'un million de Québécois accros à la télé-réalitéPaul Cauchon
Édition du lundi 23 octobre 2006
Le fait saillant de l'automne télévisuel, ce n'est ni Bazzo.tv ni les nouvelles séries à Radio-Canada. Le chiffre le plus spectaculaire de l'automne, c'est celui des 1,7 million de téléspectateurs qui regardent Occupation double à TVA. Il s'agit de l'émission la plus regardée au Québec. Devant Tout le monde en parle.
Vous êtes également, téléspectateurs au comportement mystérieux, plus de un million à regarder l'émission Loft Story à TQS le dimanche soir, ce même Loft Story dont la diffusion quotidienne, qui attire entre 700 000 et un million d'auditeurs, fait de TQS la deuxième chaîne la plus regardée au Québec ces temps-ci, devant Radio-Canada.
La popularité de ces deux émissions perturbe la programmation des autres réseaux. Ainsi, Loft Story le dimanche soir empêche On n'a pas toute la soirée à TVA d'atteindre l'auditoire qu'il espérait. Quant à Occupation double, il écrase littéralement le jeudi soir Le 7e round à Radio-Canada, envoyé à l'abattoir dans la même case horaire, et qui méritait mieux.
Sur la télé-réalité, tout semble avoir été dit depuis cinq ans. Et pourtant, on cherche encore l'explication définitive pour une tel engouement.
Occupation double est un méga-soap romantique, qui présente 17 candidats vivant dans deux maisons l'une à côté de l'autre. Depuis jeudi dernier, ils ne sont plus que sept. La semaine dernière, quelques-uns d'entre eux se promenaient dans les Caraïbes pour mieux faire connaissance ! Les participants gèrent un système complexe de vote pour s'éliminer mutuellement afin de former un couple gagnant qui se partagera des cadeaux somptueux, dont une maison.
Sous ses dehors de conte de fées romantique, Occupation double demeure quand même une télé-réalité basée sur les jeux de séduction, les conflits individuels et la compétition entre les individus. Jeudi dernier, Cindy voulait éliminer Frédérique du jeu «parce que c'est une adversaire de taille», et Frédérique voulait éliminer Maripier pour la même raison...
Loft Story présente deux différences importantes : le public est lui-même appelé à voter chaque semaine pour éliminer des concurrents, et l'émission, diffusée chaque jour, donne lieu à un talk-show le dimanche, où le comportement des lofteurs est scruté à la loupe par des commentateurs.
Cette émission du dimanche dépasse l'entendement : on fait de la psychologie à cinq cennes, on se réjouit des moindres conflits, on analyse le degré de bitchage de l'un envers l'autre, on se régale d'allusions égrillardes au fait que des lofteurs couchent ensemble, et l'animatrice Marie Plourde, qui ne doute de rien, ne cesse de répéter que «tout le Québec a hâte de savoir ce qui vous arrive» (ce qui est faux, puisqu'une bonne partie du Québec s'en fout complètement).
Quant aux participants, ils sont la plupart du temps pitoyables, sachant à peine s'exprimer, se passionnant pour des niaiseries, tentant de former des sous-groupes et des alliances qu'ils pourront mieux trahir par la suite. À l'occasion du talk-show Loft Story, des parents de lofteurs expriment d'ailleurs leur admiration pour leur progéniture, visiblement heureux de «passer à la tivi».
Chaque émission possède son propre réseau de haut-parleurs médiatiques qui en amplifient l'impact. Le concurrent éliminé d'Occupation double défile à Salut bonjour à TVA, celui de Loft Story à Caféine à TQS. Les concurrents font la tournée des postes de radio, des journaux à potins, et Le Journal de Montréal présente chaque jour des analyses «songées» de ces deux émissions. Récemment, un article consacré au dernier épisode d'Occupation double y était coiffé du titre Digne d'une tragédie grecque. Rien de moins. C'est ce qui s'appelle un renversement de valeurs. La Corée du Nord peut menacer le monde, la guerre s'embourber en Irak, des centaines de travailleurs forestiers perdre leur travail au Québec, des jeunes être enrôlés dans des gangs de rue à Montréal, rien n'y fait : pour plus d'un million de Québécois, il semble plus important de savoir quel lofteur a perdu sa petite culotte.
Mais est-ce si différent du comportement quotidien qui nous fait jeter un coup d'oeil à la fenêtre du voisin ?
On a beaucoup écrit que la télé-réalité titillait le voyeurisme. Ces deux émissions sont également des téléromans nouveau genre, qui s'appuient sur les mêmes ressorts dramatiques que les fictions (conflits entre les personnages, trahisons, amours), mais avec de vraies personnes, ce qui crée une fascination inépuisable. Certains téléspectateurs se moquent des participants et les critiquent, d'autres se demandent ce qu'ils feraient à leur place... mais tous regardent, et font donc augmenter l'écoute, au grand plaisir des annonceurs et des réseaux.
On pourrait toujours considérer qu'il s'agit de divertissements anodins auxquels il ne faudrait pas accorder trop d'importance, parce que le brave citoyen a bien le droit de se relaxer et se distraire sans se casser la tête.
Ou bien on se dit que le succès de ces émissions nous dit quelque chose sur la superficialité du Québec et sur le niveau culturel de sa population. Mais nous dit quoi au juste ?
pcauchon@ledevoir.com
Édition du lundi 23 octobre 2006
Le fait saillant de l'automne télévisuel, ce n'est ni Bazzo.tv ni les nouvelles séries à Radio-Canada. Le chiffre le plus spectaculaire de l'automne, c'est celui des 1,7 million de téléspectateurs qui regardent Occupation double à TVA. Il s'agit de l'émission la plus regardée au Québec. Devant Tout le monde en parle.
Vous êtes également, téléspectateurs au comportement mystérieux, plus de un million à regarder l'émission Loft Story à TQS le dimanche soir, ce même Loft Story dont la diffusion quotidienne, qui attire entre 700 000 et un million d'auditeurs, fait de TQS la deuxième chaîne la plus regardée au Québec ces temps-ci, devant Radio-Canada.
La popularité de ces deux émissions perturbe la programmation des autres réseaux. Ainsi, Loft Story le dimanche soir empêche On n'a pas toute la soirée à TVA d'atteindre l'auditoire qu'il espérait. Quant à Occupation double, il écrase littéralement le jeudi soir Le 7e round à Radio-Canada, envoyé à l'abattoir dans la même case horaire, et qui méritait mieux.
Sur la télé-réalité, tout semble avoir été dit depuis cinq ans. Et pourtant, on cherche encore l'explication définitive pour une tel engouement.
Occupation double est un méga-soap romantique, qui présente 17 candidats vivant dans deux maisons l'une à côté de l'autre. Depuis jeudi dernier, ils ne sont plus que sept. La semaine dernière, quelques-uns d'entre eux se promenaient dans les Caraïbes pour mieux faire connaissance ! Les participants gèrent un système complexe de vote pour s'éliminer mutuellement afin de former un couple gagnant qui se partagera des cadeaux somptueux, dont une maison.
Sous ses dehors de conte de fées romantique, Occupation double demeure quand même une télé-réalité basée sur les jeux de séduction, les conflits individuels et la compétition entre les individus. Jeudi dernier, Cindy voulait éliminer Frédérique du jeu «parce que c'est une adversaire de taille», et Frédérique voulait éliminer Maripier pour la même raison...
Loft Story présente deux différences importantes : le public est lui-même appelé à voter chaque semaine pour éliminer des concurrents, et l'émission, diffusée chaque jour, donne lieu à un talk-show le dimanche, où le comportement des lofteurs est scruté à la loupe par des commentateurs.
Cette émission du dimanche dépasse l'entendement : on fait de la psychologie à cinq cennes, on se réjouit des moindres conflits, on analyse le degré de bitchage de l'un envers l'autre, on se régale d'allusions égrillardes au fait que des lofteurs couchent ensemble, et l'animatrice Marie Plourde, qui ne doute de rien, ne cesse de répéter que «tout le Québec a hâte de savoir ce qui vous arrive» (ce qui est faux, puisqu'une bonne partie du Québec s'en fout complètement).
Quant aux participants, ils sont la plupart du temps pitoyables, sachant à peine s'exprimer, se passionnant pour des niaiseries, tentant de former des sous-groupes et des alliances qu'ils pourront mieux trahir par la suite. À l'occasion du talk-show Loft Story, des parents de lofteurs expriment d'ailleurs leur admiration pour leur progéniture, visiblement heureux de «passer à la tivi».
Chaque émission possède son propre réseau de haut-parleurs médiatiques qui en amplifient l'impact. Le concurrent éliminé d'Occupation double défile à Salut bonjour à TVA, celui de Loft Story à Caféine à TQS. Les concurrents font la tournée des postes de radio, des journaux à potins, et Le Journal de Montréal présente chaque jour des analyses «songées» de ces deux émissions. Récemment, un article consacré au dernier épisode d'Occupation double y était coiffé du titre Digne d'une tragédie grecque. Rien de moins. C'est ce qui s'appelle un renversement de valeurs. La Corée du Nord peut menacer le monde, la guerre s'embourber en Irak, des centaines de travailleurs forestiers perdre leur travail au Québec, des jeunes être enrôlés dans des gangs de rue à Montréal, rien n'y fait : pour plus d'un million de Québécois, il semble plus important de savoir quel lofteur a perdu sa petite culotte.
Mais est-ce si différent du comportement quotidien qui nous fait jeter un coup d'oeil à la fenêtre du voisin ?
On a beaucoup écrit que la télé-réalité titillait le voyeurisme. Ces deux émissions sont également des téléromans nouveau genre, qui s'appuient sur les mêmes ressorts dramatiques que les fictions (conflits entre les personnages, trahisons, amours), mais avec de vraies personnes, ce qui crée une fascination inépuisable. Certains téléspectateurs se moquent des participants et les critiquent, d'autres se demandent ce qu'ils feraient à leur place... mais tous regardent, et font donc augmenter l'écoute, au grand plaisir des annonceurs et des réseaux.
On pourrait toujours considérer qu'il s'agit de divertissements anodins auxquels il ne faudrait pas accorder trop d'importance, parce que le brave citoyen a bien le droit de se relaxer et se distraire sans se casser la tête.
Ou bien on se dit que le succès de ces émissions nous dit quelque chose sur la superficialité du Québec et sur le niveau culturel de sa population. Mais nous dit quoi au juste ?
pcauchon@ledevoir.com