Deux Québec--Denise Bombardier
Deux Québec
Denise Bombardier
Édition du samedi 28 et du dimanche 29 janvier 2006
Des observateurs attentifs le savaient, mais, lundi soir, cette réalité a éclaté. Un certain Québec urbain, convaincu de sa supériorité cosmopolite, de son bon droit de gauche, tolérant jusqu'à l'indifférence, osé jusqu'à l'exhibitionnisme, tonitruant et sûr de son pouvoir, ce Québec en cachait un autre. Cet autre Québec plus silencieux, méfiant des métropoles, moins conservateur que dépositaire d'un héritage collectif, aussi tolérant mais nullement obsédé d'être toujours à l'avant-garde d'un progrès qui n'est souvent qu'un effet de mode, un Québec moins fébrile, également moins énervé par la nouveauté d'où qu'elle provienne, ce Québec sans Montréal a choisi comme les Normands, ses ancêtres, de ne plus mettre ses oeufs dans le même panier cul-de-sac et a aussi rejeté les «valeurs canadiennes» à la sauce libérale.
Il fallait bien qu'un jour les régions, et cela comprend Québec, la ville (et veuillez ne pas voir ici de la condescendance mais une simple formule pour définir le Québec sans Montréal), que les régions, donc, libèrent une parole et disent à la face de la population qu'il y a d'autres façons d'être ouvert, d'être libéral au sens philosophique du terme, d'être aussi solidaire, lucide, prudent, voire conservateur sans que cela représente un crime de lèse-progressisme.
Le Parti québécois et le Bloc, son bras fédéral, ont réussi à définir les Québécois comme un peuple de gauche, étant entendu par ailleurs qu'ils se réservaient le privilège de définir la gauche à leur manière, attribuant à l'État le rôle providentiel. À les entendre, le «vrai» Québécois idéal serait à la fois souverainiste et de gauche. Pour les libéraux fédéraux à qui on vient de signifier leur congé, le «vrai» Canadien idéal serait fédéraliste, rouge, donc infiniment généreux dans ses politiques sociales. S'ajoute à ces qualités une rectitude politique entérinée année après année par les jugements de la Cour suprême, défenseur de la charte de Pierre Elliott devenu icône. Nous sommes dans le bien, le bon et le vrai, dépassés seulement par les vertueux du NPD, qui incarnent à vrai dire la branche morale plus exacerbée du Parti libéral.
Le fossé entre les deux Québec se creuse inévitablement, et ce ne sont pas les grands-messes médiatiques qui rejoignent des millions de personnes à la fois qui y peuvent quelque chose. Il existe dans notre culture urbaine une forme larvée d'exclusion intellectuelle envers ces excentriques (au sens littéral du terme) qui choisissent de vivre en permanence là où les urbains vont se détendre les week-ends. Il faut écouter les émissions dites branchées qui distribuent les nihil obstat de la bonne pensée avec la bonne parole et son vocabulaire afférent pour comprendre que les réalités régionales hors Montréal sont exclues. Le Québec à la montréalaise semble croire qu'il représente la seule porte d'entrée dans la modernité, l'unique façon de vivre l'époque et surtout la voie royale vers le progrès en marche. Ce Québec-là a peu d'états d'âme, vomit toute nostalgie, n'admet d'autres hésitations que les siennes et surtout ne comprend pas qu'on puisse résister à ses multiples et polymorphes attraits. C'est bien connu, le rat des villes échappe aux pièges à rats, contrairement à son sous-spécimen, le rat des champs.
L'autre Québec, celui qui a voté bleu, pour parler simple, est loin de ne constituer qu'une masse informe d'ultraconservateurs fondamentalistes moraux en voie de trahison souverainiste. Sans doute y décompte-t-on plus de gens conservateurs sur le plan économique ou social. Mais si le test si cher aux affranchis consiste à choisir son camp en fonction du mariage homosexuel, par exemple, on a entendu cette semaine le nouveau député du Saguenay, Jean-Pierre Blackburn, afficher son opposition alors que la députée bientôt ministre de Québec, Josée Verner, a exprimé son appui.
Il est plutôt rassurant de constater que la représentation politique soit plus fidèle des différences profondes qu'on constate sociologiquement entre Montréal et le reste du Québec. Sur le plan idéologique, la société québécoise est moins différente de la société canadienne que certains aimeraient le croire. Ce sont des sociétés qui se gouvernent au centre, et les extrémistes sont plus isolés qu'un certain discours partisan ne le laisse entendre. Les born-again, les adorateurs de la guerre armés jusqu'aux dents et les militants de l'abolition du rôle de l'État en tant que régulateur social se comptent sur les doigts de la main. Et ils ont le droit d'être représentés et entendus, même si leur discours nous écorche les oreilles. Ceux qui ont élu André Arthur ont peut-être erré mais ne sont pas des lépreux sociaux pour autant. Le Québec urbain contient aussi ses fanatiques progressistes prêts à faire subir la vindicte populaire à ceux qui ne partagent pas leurs idées. Et ceux qui vivent entourés d'immigrants fraîchement débarqués plutôt qu'entre gens dits de souche n'ont pas l'esprit nécessairement plus ouvert aux autres, ne sont pas obligatoirement plus tolérants et moins aveuglés devant l'évolution sociale.
denbombardier@videotron.ca
Denise Bombardier
Édition du samedi 28 et du dimanche 29 janvier 2006
Des observateurs attentifs le savaient, mais, lundi soir, cette réalité a éclaté. Un certain Québec urbain, convaincu de sa supériorité cosmopolite, de son bon droit de gauche, tolérant jusqu'à l'indifférence, osé jusqu'à l'exhibitionnisme, tonitruant et sûr de son pouvoir, ce Québec en cachait un autre. Cet autre Québec plus silencieux, méfiant des métropoles, moins conservateur que dépositaire d'un héritage collectif, aussi tolérant mais nullement obsédé d'être toujours à l'avant-garde d'un progrès qui n'est souvent qu'un effet de mode, un Québec moins fébrile, également moins énervé par la nouveauté d'où qu'elle provienne, ce Québec sans Montréal a choisi comme les Normands, ses ancêtres, de ne plus mettre ses oeufs dans le même panier cul-de-sac et a aussi rejeté les «valeurs canadiennes» à la sauce libérale.
Il fallait bien qu'un jour les régions, et cela comprend Québec, la ville (et veuillez ne pas voir ici de la condescendance mais une simple formule pour définir le Québec sans Montréal), que les régions, donc, libèrent une parole et disent à la face de la population qu'il y a d'autres façons d'être ouvert, d'être libéral au sens philosophique du terme, d'être aussi solidaire, lucide, prudent, voire conservateur sans que cela représente un crime de lèse-progressisme.
Le Parti québécois et le Bloc, son bras fédéral, ont réussi à définir les Québécois comme un peuple de gauche, étant entendu par ailleurs qu'ils se réservaient le privilège de définir la gauche à leur manière, attribuant à l'État le rôle providentiel. À les entendre, le «vrai» Québécois idéal serait à la fois souverainiste et de gauche. Pour les libéraux fédéraux à qui on vient de signifier leur congé, le «vrai» Canadien idéal serait fédéraliste, rouge, donc infiniment généreux dans ses politiques sociales. S'ajoute à ces qualités une rectitude politique entérinée année après année par les jugements de la Cour suprême, défenseur de la charte de Pierre Elliott devenu icône. Nous sommes dans le bien, le bon et le vrai, dépassés seulement par les vertueux du NPD, qui incarnent à vrai dire la branche morale plus exacerbée du Parti libéral.
Le fossé entre les deux Québec se creuse inévitablement, et ce ne sont pas les grands-messes médiatiques qui rejoignent des millions de personnes à la fois qui y peuvent quelque chose. Il existe dans notre culture urbaine une forme larvée d'exclusion intellectuelle envers ces excentriques (au sens littéral du terme) qui choisissent de vivre en permanence là où les urbains vont se détendre les week-ends. Il faut écouter les émissions dites branchées qui distribuent les nihil obstat de la bonne pensée avec la bonne parole et son vocabulaire afférent pour comprendre que les réalités régionales hors Montréal sont exclues. Le Québec à la montréalaise semble croire qu'il représente la seule porte d'entrée dans la modernité, l'unique façon de vivre l'époque et surtout la voie royale vers le progrès en marche. Ce Québec-là a peu d'états d'âme, vomit toute nostalgie, n'admet d'autres hésitations que les siennes et surtout ne comprend pas qu'on puisse résister à ses multiples et polymorphes attraits. C'est bien connu, le rat des villes échappe aux pièges à rats, contrairement à son sous-spécimen, le rat des champs.
L'autre Québec, celui qui a voté bleu, pour parler simple, est loin de ne constituer qu'une masse informe d'ultraconservateurs fondamentalistes moraux en voie de trahison souverainiste. Sans doute y décompte-t-on plus de gens conservateurs sur le plan économique ou social. Mais si le test si cher aux affranchis consiste à choisir son camp en fonction du mariage homosexuel, par exemple, on a entendu cette semaine le nouveau député du Saguenay, Jean-Pierre Blackburn, afficher son opposition alors que la députée bientôt ministre de Québec, Josée Verner, a exprimé son appui.
Il est plutôt rassurant de constater que la représentation politique soit plus fidèle des différences profondes qu'on constate sociologiquement entre Montréal et le reste du Québec. Sur le plan idéologique, la société québécoise est moins différente de la société canadienne que certains aimeraient le croire. Ce sont des sociétés qui se gouvernent au centre, et les extrémistes sont plus isolés qu'un certain discours partisan ne le laisse entendre. Les born-again, les adorateurs de la guerre armés jusqu'aux dents et les militants de l'abolition du rôle de l'État en tant que régulateur social se comptent sur les doigts de la main. Et ils ont le droit d'être représentés et entendus, même si leur discours nous écorche les oreilles. Ceux qui ont élu André Arthur ont peut-être erré mais ne sont pas des lépreux sociaux pour autant. Le Québec urbain contient aussi ses fanatiques progressistes prêts à faire subir la vindicte populaire à ceux qui ne partagent pas leurs idées. Et ceux qui vivent entourés d'immigrants fraîchement débarqués plutôt qu'entre gens dits de souche n'ont pas l'esprit nécessairement plus ouvert aux autres, ne sont pas obligatoirement plus tolérants et moins aveuglés devant l'évolution sociale.
denbombardier@videotron.ca
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- Seigneur de la Causerie
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- Inscription : ven. avr. 23, 2004 3:00 am
Elle vient de de dire dans un texte ce qu'on s'éfforce de dire depuis des pages dans un autre topic. Bravo mme Bombardier.
Prière et chant religieux
la-voute-f46/prieres-et-chants-religieux-t67717.html" onclick="window.open(this.href);return false;
Notre famille compte un nouveau membre à aimer.
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- Niko Bellic
- Immortel du Domaine
- Messages : 23834
- Inscription : sam. janv. 14, 2006 1:00 am
Sous une belle plume elle a le mérite nous expliquer que le Québec est diversifié, que nous ne sommes pas collectivement automatiquement le clone de l'autre et que tu sois d'une pensée ou d'une autre ne fait pas de toi un simple d'esprit.
Pour ce qui est du ton, quant à moi, je le trouve respectueux de la différence.
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- Niko Bellic
- Immortel du Domaine
- Messages : 23834
- Inscription : sam. janv. 14, 2006 1:00 am
.anthurium. a écritElle vient de de dire dans un texte ce qu'on s'éfforce de dire depuis des pages dans un autre topic. Bravo mme Bombardier.
exactement, cet article me satisfait pleinement, si les gens veulent le lire en mettant de côtés certains préjugés envers mme Bombardier on a tous a y gagner --Message edité par Ti-radis le 2006-01-29 19:52:35--
exactement, cet article me satisfait pleinement, si les gens veulent le lire en mettant de côtés certains préjugés envers mme Bombardier on a tous a y gagner --Message edité par Ti-radis le 2006-01-29 19:52:35--
Fabine a écritSous une belle plume elle a le mérite nous expliquer que le Québec est diversifié, que nous ne sommes pas collectivement automatiquement le clone de l'autre et que tu sois d'une pensée ou d'une autre ne fait pas de toi un simple d'esprit.
Pour ce qui est du ton, quant à moi, je le trouve respectueux de la différence.
Pour ce qui est du ton, quant à moi, je le trouve respectueux de la différence.
- Fleur de Jasmin
- Intronisé au Panthéon
- Messages : 26283
- Inscription : ven. avr. 09, 2004 12:00 am
Fabine a écritSous une belle plume elle a le mérite nous expliquer que le Québec est diversifié, que nous ne sommes pas collectivement automatiquement le clone de l'autre et que tu sois d'une pensée ou d'une autre ne fait pas de toi un simple d'esprit.
Pour ce qui est du ton, quant à moi, je le trouve respectueux de la différence.
Entièrement d'accord avec toi Fabine.
Pour ce qui est du ton, quant à moi, je le trouve respectueux de la différence.
Entièrement d'accord avec toi Fabine.


La pudeur sied bien à tout le monde; mais il faut savoir la vaincre et jamais la perdre. (Montesquieu)