Publié : jeu. déc. 01, 2005 5:52 pm
Le jeudi 01 décembre 2005
Le Dr Jean-Michel Dubernard
Photo AP
Une femme reçoit le visage d'une autre
Mathieu Perreault
La Presse
Des chirurgiens français ont réussi dimanche la première greffe de visage. Une patiente de 38 ans défigurée par un chien a reçu le visage d'une femme en état de mort cérébrale.
L'équipe du Dr Jean-Michel Dubernard, qui a acquis une renommée mondiale en 1998 en réussissant la première greffe de main, remporte une course que se livraient depuis quelques années les grands laboratoires de greffes. En septembre dernier, une équipe de Cleveland avait annoncé avec tambour et trompette qu'une douzaine de patients avaient été sélectionnés pour une greffe de visage.
Le Dr Dubernard n'a fait qu'une greffe partielle: il n'a remplacé que le triangle formé par le nez, la bouche et le menton. Mais l'opération, qui a duré cinq heures et s'est déroulée à Amiens, est importante parce que le visage est un élément fondamental de la personnalité. Des films comme Face Off, avec John Travolta et Nicolas Cage, ont exploré les conséquences psychologiques d'une greffe de visage. De nombreux experts ont prévenu que le stress de ne pas se reconnaître dans le miroir pourrait être dévastateur.
La patiente, qui habite Valenciennes, a été défigurée en mai dernier par un chien féroce. Elle ne parvenait plus ni à parler ni à déglutir convenablement. La donneuse, dont la famille a permis la réutilisation du visage et d'autres organes, habite Lille, selon le magazine Le Point. Le nouveau visage de la patiente défigurée ne ressemblera à aucune des deux. Elle sera plutôt hybride, parce que le greffon s'adaptera à son squelette.
Une intervention d'exception
Le succès de l'opération ne signifie pas que les greffes du visage deviendront monnaie courante, selon Éric Bensimon, chirurgien plastique à l'hôpital du Sacré-Coeur, à Montréal. «Pour qu'une greffe fonctionne, il faut que le patient prenne pour le reste de sa vie des médicaments immunosuppresseurs qui affaiblissent le système immunitaire et réduisent les risques de rejet, explique le Dr Bensimon. Ces médicaments ont des effets secondaires importants: le patient est vulnérable à toutes les infections, un peu comme les sidéens, et il est moins bien protégé contre le cancer. On peut accepter ces effets secondaires dans le cas de la greffe d'un organe vital, mais pour une main ou un visage, c'est moins clair. Une personne défigurée est en santé; quand elle est immunosupprimée, elle ne l'est plus.»
Le Dr Bensimon rappelle que le patient néo-zélandais à qui le Dr Dubernard a greffé une main en 1998 a cessé au bout de deux ans de prendre ses médicaments immunosupresseurs et a dû se faire amputer la main. Si la patiente qui s'est fait greffer le visage dimanche prend une décision similaire, les effets seront encore plus graves. L'équipe de Cleveland, qui se prépare à faire une greffe du visage, a indiqué qu'elle choisirait un patient suffisamment en santé pour qu'on puisse lui greffer d'urgence de la peau d'une autre région de son corps, en cas de rejet.
Autre problème: le greffon doit provenir d'un donneur vivant, en état de mort cérébrale. «Quand on enlève le coeur, les reins ou les poumons d'un tel donneur, il meurt. Si on lui enlève le visage, il n'est pas mort, il faut procéder à l'euthanasie. Pour le médecin, c'est un problème.»
Le Dr Bensimon considère que la greffe de visage n'est «pas un exploit», mais il reconnaît qu'il s'agit d'une opération très délicate. «Les vaisseaux sanguins du visage sont beaucoup plus petits que ceux du coeur ou des poumons; il faut passer des heures à les attacher un à un. S'ils ne sont pas bien attachés et que le visage bouge, il faudra tout recommencer.»
Au Royaume-Uni, un rapport de la Société royale estimait en 2003 que le risque de rejet dans le mois suivant une greffe du visage était de 10 %, et dans l'année, de 50 %.
u'en pensez vous ?
Le Dr Jean-Michel Dubernard
Photo AP
Une femme reçoit le visage d'une autre
Mathieu Perreault
La Presse
Des chirurgiens français ont réussi dimanche la première greffe de visage. Une patiente de 38 ans défigurée par un chien a reçu le visage d'une femme en état de mort cérébrale.
L'équipe du Dr Jean-Michel Dubernard, qui a acquis une renommée mondiale en 1998 en réussissant la première greffe de main, remporte une course que se livraient depuis quelques années les grands laboratoires de greffes. En septembre dernier, une équipe de Cleveland avait annoncé avec tambour et trompette qu'une douzaine de patients avaient été sélectionnés pour une greffe de visage.
Le Dr Dubernard n'a fait qu'une greffe partielle: il n'a remplacé que le triangle formé par le nez, la bouche et le menton. Mais l'opération, qui a duré cinq heures et s'est déroulée à Amiens, est importante parce que le visage est un élément fondamental de la personnalité. Des films comme Face Off, avec John Travolta et Nicolas Cage, ont exploré les conséquences psychologiques d'une greffe de visage. De nombreux experts ont prévenu que le stress de ne pas se reconnaître dans le miroir pourrait être dévastateur.
La patiente, qui habite Valenciennes, a été défigurée en mai dernier par un chien féroce. Elle ne parvenait plus ni à parler ni à déglutir convenablement. La donneuse, dont la famille a permis la réutilisation du visage et d'autres organes, habite Lille, selon le magazine Le Point. Le nouveau visage de la patiente défigurée ne ressemblera à aucune des deux. Elle sera plutôt hybride, parce que le greffon s'adaptera à son squelette.
Une intervention d'exception
Le succès de l'opération ne signifie pas que les greffes du visage deviendront monnaie courante, selon Éric Bensimon, chirurgien plastique à l'hôpital du Sacré-Coeur, à Montréal. «Pour qu'une greffe fonctionne, il faut que le patient prenne pour le reste de sa vie des médicaments immunosuppresseurs qui affaiblissent le système immunitaire et réduisent les risques de rejet, explique le Dr Bensimon. Ces médicaments ont des effets secondaires importants: le patient est vulnérable à toutes les infections, un peu comme les sidéens, et il est moins bien protégé contre le cancer. On peut accepter ces effets secondaires dans le cas de la greffe d'un organe vital, mais pour une main ou un visage, c'est moins clair. Une personne défigurée est en santé; quand elle est immunosupprimée, elle ne l'est plus.»
Le Dr Bensimon rappelle que le patient néo-zélandais à qui le Dr Dubernard a greffé une main en 1998 a cessé au bout de deux ans de prendre ses médicaments immunosupresseurs et a dû se faire amputer la main. Si la patiente qui s'est fait greffer le visage dimanche prend une décision similaire, les effets seront encore plus graves. L'équipe de Cleveland, qui se prépare à faire une greffe du visage, a indiqué qu'elle choisirait un patient suffisamment en santé pour qu'on puisse lui greffer d'urgence de la peau d'une autre région de son corps, en cas de rejet.
Autre problème: le greffon doit provenir d'un donneur vivant, en état de mort cérébrale. «Quand on enlève le coeur, les reins ou les poumons d'un tel donneur, il meurt. Si on lui enlève le visage, il n'est pas mort, il faut procéder à l'euthanasie. Pour le médecin, c'est un problème.»
Le Dr Bensimon considère que la greffe de visage n'est «pas un exploit», mais il reconnaît qu'il s'agit d'une opération très délicate. «Les vaisseaux sanguins du visage sont beaucoup plus petits que ceux du coeur ou des poumons; il faut passer des heures à les attacher un à un. S'ils ne sont pas bien attachés et que le visage bouge, il faudra tout recommencer.»
Au Royaume-Uni, un rapport de la Société royale estimait en 2003 que le risque de rejet dans le mois suivant une greffe du visage était de 10 %, et dans l'année, de 50 %.
u'en pensez vous ?