Problèmes de convergence

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Pichou
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Médias: Problèmes de convergence
Paul Cauchon
Édition du lundi 28 novembre 2005

Mots clés : Québec (province), Média, star académie, conseil de presse

C'était la décision la plus attendue de l'année au Conseil de presse du Québec: les journalistes du Journal de Montréal s'étaient plaints auprès de cet organisme de la couverture journalistique accordée à Star Académie dans leur quotidien.

La décision du Conseil, diffusée mercredi, pourrait se résumer ainsi : il n'y a pas eu de conflit d'intérêts dans cette histoire, mais il existe une apparence de conflit d'intérêts qu'il aurait fallu éviter.

Le Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal, qui avait présenté la plainte, est satisfait, même si le Conseil de presse a rejeté plusieurs de ses prétentions. Quant à la direction du Journal de Montréal, elle conteste la décision.

Rappelons que le Conseil de presse est un organisme formé de représentants du public, des journalistes et des directions d'entreprises, indépendant, sous-financé, qui n'a aucun pouvoir juridique pour imposer des amendes ou quoi que ce soit de semblable. Ces jugements ont un simple pouvoir moral. Pour dire les choses crûment, un blâme du Conseil ne change pas grand-chose dans l'immédiat... mais fait mal à la réputation.

Inusité

Le Conseil reçoit habituellement des plaintes de citoyens qui n'apprécient pas une couverture journalistique. Qu'un syndicat porte plainte contre son employeur est très inusité, et la direction du Journal de Montréal avait d'abord contesté la pertinence d'une telle plainte en faisant valoir qu'il s'agissait d'un problème de relations de travail sur lequel le Conseil de presse n'avait aucune autorité.

La plainte visait à démontrer que le traitement journalistique de l'émission Star Académie II dans le Journal de Montréal constituait un «conflit d'intérêts flagrant», selon le syndicat, à cause de la convergence des contenus chez Quebecor.

Mais comment le démontrer de façon incontestable ? Le Conseil de presse n'a pas trouvé de preuve concrète de conflit d'intérêts. Il n'a pas trouvé de preuve que la direction de Quebecor était intervenue auprès de la direction du journal pour faire la promotion intensive de Star Académie. Il n'a trouvé aucun exemple de ce qui n'aurait pas été couvert par le journal parce que Star Académie prenait trop de place. Il n'a pas conclu que la couverture consacrée à l'émission était disproportionnée... parce que personne ne lui a démontré ce qu'aurait été une couverture «proportionnée», dit-il.

La décision du Conseil cite le directeur général de la rédaction du journal, Serge Labrosse, qui a soutenu que la couverture intensive de Star Académie était justifiée parce qu'il s'agissait d'un événement culturel et social majeur dans l'actualité.

En fait, Star Académie est l'émission la plus écoutée du Québec depuis cinq ans. En mettant toutes ses propriétés au service de l'émission, Quebecor se trouve-t-elle à créer un intérêt artificiel, ou suit-elle la demande du public qui aurait exprimé son intérêt de toute façon ? Qu'est-ce qui vient en premier, l'émission et son succès, ou la promotion pour en faire un succès ? On peut se demander si une émission aussi populaire diffusée à un autre réseau aurait exactement la même couverture journalistique.

Serge Labrosse a présenté devant le Conseil de presse un sondage MultiRéso (commandé par le syndicat) qui indique que les lecteurs de son quotidien sont conscients des liens entre la productrice de Star Académie et le principal propriétaire de Quebecor. «Ils connaissent tous ces liens, est-il écrit dans cette étude. Ils sont conscients que l'appartenance du Journal au Groupe Quebecor a influencé le traitement qu'on y fait de Star Académie. Ils sont conscients aussi que le Journal fait la promotion de cet événement. Mais ils ne voient là aucun problème et n'en ont jamais vu, bien au contraire.»

«Potentiellement pervers»

Alors, où est le problème ? Le Conseil de presse conclut qu'il y a apparence de conflit d'intérêts, dans le sens où un des effets «potentiellement pervers» de la concentration de la propriété, est-il écrit dans son guide Droits et responsabilités de la presse, est la subordination de l'information aux impératifs économiques de l'entreprise.

Le Conseil ajoute que le journal a «failli à sa responsabilité de protéger ses journalistes» des pressions qui pourraient venir de la politique de convergence en cours chez Quebecor, qui veut que les propriétés du groupe fassent la promotion intensive de Star Académie.

Plusieurs journalistes du Journal de Montréal soutiennent haut et fort n'avoir jamais été soumis à des pressions pour couvrir Star Académie. Mais la décision du Conseil nous ramène toujours au problème de base qui a été créé lorsque Quebecor a acheté Vidéotron/TVA, avec la très large bénédiction de la Caisse de dépôt et placement du Québec : posséder à la fois le journal le plus lu du Québec et le réseau de télévision le plus écouté représente un risque constant sur le plan éthique. La tentation est presque irrésistible de se servir de l'un pour faire la promotion de l'autre, et une telle réalité commande des structures de protection très strictes.

Le Conseil ajoute d'ailleurs que la direction du journal «n'a pas pris de position publique pour affirmer l'étanchéité de sa salle des nouvelles et pour prendre ses distances avec Star Académie». De façon implicite le Conseil de presse lance ainsi un défi à la direction de ce journal, en se demandant si elle serait capable de faire une telle déclaration et de prendre une telle distance.
Retraitée de l'enseignement primaire et universitaire depuis juin 2011.
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