La forêt canadienne nocive pour le climat

[Rénatane]

NOS FORÊTS RELÂCHENT PLUS DE GAZ CARBONIQUE QU'ELLES EN ABSORBENT

La forêt canadienne nocive pour le climat

Charles Côté

La Presse


Le Canada ne pourra pas compter sur ses forêts pour l'aider à respecter le protocole de Kyoto. Les recherches les plus récentes montrent qu'elles relâchent autant de gaz à effet de serre qu'elles en absorbent.

Le pays, déjà très en retard dans sa lutte aux gaz à effet de serre, devra donc se passer de cet atout, qui avait pourtant été inclus dans le protocole de Kyoto à l'insistance du Canada et en dépit des réticences de plusieurs autres pays. «Jusqu'à maintenant, on croyait que les forêts absorbaient le carbone, mais elles peuvent facilement en devenir une source», a indiqué hier Jacinthe Lacroix, scientifique en chef du gouvernement fédéral sur les changements climatiques, en marge d'une conférence du Rendez-vous citoyen Kyoto, qui précède la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques.

Le principal moteur du réchauffement climatique, c'est le gaz carbonique. On sait bien sûr depuis longtemps que les arbres et les autres plantes l'absorbent en poussant. Par la photosynthèse, les feuilles captent le carbone du gaz carbonique et relâchent de l'oxygène.

Cependant, s'il est certain qu'un arbre en pleine croissance absorbe du carbone, il est moins sûr qu'au total, une forêt en absorbe plus qu'elle n'en émet. Une forêt comporte aussi des arbres morts, qui libèrent du carbone en se décomposant. Et les forêts peuvent brûler, en libérant d'un coup des centaines de milliers de tonnes de carbone.

Le Canada croyait malgré tout que sa forêt était un capteur net de carbone, ou un «puits» dans le langage scientifique. Par conséquent, il comptait porter jusqu'à 20 millions de tonnes de carbone dans la colonne des moins dans son bilan de Kyoto, qui vise au total une réduction de 270 millions de tonnes. Ce crédit pour la forêt aurait pu compenser l'équivalent de la moitié de la pollution routière du Québec.

Mais déjà, dans le plan de mise en oeuvre dévoilé en avril par le ministre fédéral de l'environnement Stéphane Dion, ces 20 millions de tonnes étaient beaucoup moins certaines que dans la première ébauche de plan, en 2002. Il semble maintenant que l'incertitude scientifique au sujet de l'impact de la forêt canadienne sur le climat mondial demeurera entière pendant toute la période pertinente du protocole de Kyoto. «Il y a beaucoup d'incertitude pour prédire les flux de carbone pour la période Kyoto, soit 2008 à 2012, et cette incertitude augmente, a indiqué hier en conférence Pierre-Yves Bernier, spécialiste de la question au Service canadien des forêts. Notre rôle de scientifique est de fournir cette incertitude aux politiciens.»

Selon les recherches les plus récentes, dit M. Bernier, la forêt canadienne était un puits de carbone pendant la plus grande partie du 20e siècle : elle absorbait plus de carbone qu'elle n'en relâchait. Mais depuis le début des années 1980, le bilan est nul, voire négatif.

Les changements climatiques déjà en cours ne seraient pas étrangers à ce phénomène. En effet, l'ampleur des grands incendies de forêt en Colombie-Britannique l'an dernier est due à la fois à la sécheresse et à une infestation de dendoctrone du pin. Ces deux facteurs peuvent être reliés à un climat plus chaud. «Les insectes meurent moins l'hiver s'il fait moins froid et il y a alors des éclosions incroyables, dit Mme Lacroix. On a eu des signes avant-coureurs l'an dernier en Colombie-Britannique de ce qui pourrait se passer à l'avenir dans un climat plus chaud.»

Il ne faut pas pour autant conclure que la forêt boréale canadienne n'est pas importante pour l'avenir du climat mondial. Une étude publiée vendredi par l'Institut Pembina notait que les forêts et tourbières du Canada contiennent 67 milliards de tonnes de carbone. Selon les auteurs de ce rapport, dont le réputé biologiste David Schindler, de l'Université d'Alberta, c'est une excellente raison de préserver les écosystèmes pour empêcher tout ce carbone d'aggraver encore plus les problèmes climatiques.