La contrefaçon d'objets de luxe = 20-30 milliards par année au Canada

Votre tribune, la parole est à vous! Débattez d'idées, d'opinions, de sujets chauds de l'actualité ... bref place aux discussions.
Avatar de l’utilisateur
tuberale
Intronisé au Panthéon
Messages : 49842
Inscription : sam. nov. 08, 2003 1:00 am

Message par tuberale »

Faux!


Parfums, disques, jouets, médicaments, pièces d'auto: le marché de la contrefaçon est évalué entre 20 et 30 milliards par année au Canada

Éric Desrosiers
Édition du samedi 26 et du dimanche 27 novembre 2005



Il y en a encore pour croire que le phénomène se limite aux mauvaises imitations d'articles de luxe ou de disques compacts que l'on trouve dans les marchés aux puces. La fabrication et la vente de biens contrefaits a cependant connu une croissance exponentielle ces dernières années dans le monde, au point de frapper, aujourd'hui, aussi bien les médicaments que les jouets ou les pièces d'automobile, et de rapporter, chaque année, au Canada, jusqu'à 30 milliards à ses auteurs, souvent issus du crime organisé.

Chez Lise Watier Cosmétiques, on estime que les faussaires avaient eu le temps d’écouler 20 000 copies du parfum à succès Neiges avant que la compagnie ne mette sur le coup ses enquêteurs et obtienne, l’été dernier, une injonction lui permettant de procéder à des saisies.

Fabricants de planchers de bois franc de l'Outaouais connaissant alors un certain succès à Hong Kong, les dirigeants de la compagnie Lauzon de Papineauville ont eu la surprise de leur vie, il y a trois ans, lorsque l'un de leurs représentants leur a rapporté une planche trouvée en Chine. «J'ai tout de suite vu que ça ne venait pas de chez nous, raconte Robert Coveney, vice-président exécutif de l'entreprise. Le bois était plus rosé et la planche n'était pas de la bonne largeur. Mais quand je l'ai retournée, j'ai vu notre logo.»

«Trois pensées ont alors traversé mon esprit, poursuit-il. J'ai d'abord été fier que notre réputation soit telle que l'on veuille nous copier. Tout de suite après j'ai pensé aux parts de marché qu'on nous volait. Puis j'ai eu peur de l'impact pour notre nom qu'allait avoir la vente de ces mauvaises copies.»

Tout le monde connaît les faux sacs Vuitton, les montres Rolex à 20 $, les chandails Adidas qui déteignent au lavage ou encore les CD de Céline Dion vendus sans livret. Mais la contrefaçon, aujourd'hui, ne s'arrête plus là. «Vous n'avez qu'à regarder autour de vous. Tout ce que vous voyez peut être copié, et l'est, dit Martin Labrecque, enquêteur au service des enquêtes fédérales de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à Montréal. Cela peut être des accessoires de luxe, des vêtements griffés, des cigarettes ou des disques compacts. Mais aussi des appareils électroniques, des pièces d'auto, des pièces d'avion, des fils électriques, des jouets d'enfant, des aliments, des cartouches d'encre, du shampoing, des batteries, des médicaments... Tout.»


En plus de se diversifier, cette pratique a pris une ampleur considérable ces derniers temps. «Ce n'est pas la plus ancienne profession du monde, mais presque, dit Douglas Geralde, directeur du groupe Audits et enquête à l'Association canadienne de normalisation et président du Réseau anti-contrefaçon canadien. Mais depuis cinq ou dix ans, on a assisté à une croissance importante du volume et de la variété de produits touchés.»

La compagnie montréalaise Lise Watier Cosmétiques avait l'habitude de la contrefaçon. «Il s'est toujours vendu des copies de nos produits dans les marchés aux puces, dit son chef de la direction, Serge Rocheleau. Mais là, on a compris que l'on avait affaire à quelque chose qui avait une tout autre ampleur.»

On a estimé que les faussaires avaient eu le temps d'écouler 20 000 copies de son parfum à succès Neiges avant que la compagnie ne mette sur le coup ses enquêteurs et obtiennent, cet été, une injonction lui permettant de procéder à des saisies. «Il fallait agir vite parce qu'on entrait dans la période durant laquelle les magasins constituent leurs inventaires pour le temps des Fêtes», explique Serge Rocheleau.

Les planchers Lauzon n'ont pas eu ce recours. Les services diplomatiques canadiens ont offert à l'entreprise de transmettre sa plainte aux autorités chinoises. «On l'a envoyée et on n'en a plus jamais entendu parler, dit Robert Coveney. En même temps, il aurait été difficile de trouver le coupable. Il y a plus de 4000 manufacturiers de planchers de bois franc en Chine.» La compagnie de Papineauville a, de toute manière, considérablement réduit ses activités en Asie et n'a pas vu de planchers contrefaits à son nom dans ses autres marchés.

500 milliards par année


Les statistiques mondiales sont éloquentes. Selon l'Organisation mondiale des douanes, le marché mondial de la contrefaçon serait passé de 5,5 milliards $US en 1982 à plus de 500 milliards aujourd'hui et équivaudrait à environ 7 % du commerce mondial. Selon l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), cette proportion pourrait même être plus élevée. «Il y a 10 ans, nous avons émis l'idée que la contrefaçon représentait 8 à 10 % du commerce mondial, a déclaré la semaine dernière son représentant, Wolfgang Hubner, lors du deuxième Congrès mondial sur la lutte contre la contrefaçon et le piratage, qui se tenait à Lyon. Aujourd'hui, ce chiffre circule toujours, mais il n'a plus de sens.»

Dans le domaine des appareils électroniques seulement, on estime que cette activité illicite totaliserait entre 100 milliards et 200 milliards dans un marché qui avoisine annuellement un billion. Dans le secteur pharmaceutique, la part des médicaments contrefaits serait en moyenne, dans le monde, de 10 %, mais atteindrait 25 % dans les pays en voie de développement, voire 60 % dans certains cas, selon l'Organisation mondiale de la santé, qui y voit la cause de la mort de dizaines de milliers de personnes chaque année. Dans le domaine informatique, plus du tiers des logiciels installés sur les ordinateurs auraient été piratés, soit à peu près la même proportion que pour les disques compacts.

Le portrait d'ensemble reste toutefois encore mal défini. Bien décidée à remédier à ces lacunes, l'OCDE vient de mettre en branle une vaste enquête sur le sujet dont les résultats ne seront pas connus avant 2007.

Brouillard sur le Canada

Le manque de données se fait sentir encore plus cruellement au Canada. La GRC, qui coordonne l'action gouvernementale en la matière, n'offre aucune statistique, pas même sur le nombre de saisies effectuées. C'est tout juste si les organisations concernées risquent une évaluation générale déduite des tendances relevées à l'échelle internationale. En vertu de ce calcul, le marché de la contrefaçon au Canada est évalué entre 20 et 30 milliards par année.

«Tout indique que nous ne sommes ni mieux ni pires que les autres, rapporte Daniel Charron, président de l'association Manufacturiers et exportateurs du Québec. Ce qui veut dire que nous avons un gros problème sur les bras.»

Déjà aux prises avec la contrebande amérindienne, la compagnie Imperial Tobacco a récemment vu, par exemple, débarquer sur le marché canadien des paquets de cigarettes en tout point semblables aux siens, l'avertissement de Santé Canada y compris, mais fabriqués, ceux-là, en Chine et entrés illégalement au pays par conteneurs. La GRC et la police de Montréal ont saisi, en septembre, pour deux millions de marchandises et démantelé un réseau de contrefaçon de vêtements et de literie provenant d'Italie et imitant les marques Armani et Versace. Le phénomène a pris une telle ampleur, dans le domaine du disque, que l'ADISQ a quant à elle obtenu, en août, une première ordonnance de la cour lui permettant de saisir les CD contrefaits qu'elle trouverait dans l'un ou l'autre des 350 marchés aux puces du Québec et que cette permission lui a ensuite été renouvelée pour une année entière.

D'autres cas sont plus inquiétants, à preuve cette mise en garde lancée l'hiver dernier contre des rallonges électriques, des décorations de Noël et des cuisinières au gaz contrefaites, arborant des noms de marques légitimes, un code barre et même le logo CSA, mais ayant la fâcheuse tendance à prendre feu. «Il semble que l'on ait détecté le problème à temps et que ces produits n'ont causé aucune blessure, dit Douglas Geralde, du CSA, dont le logo est censé certifier qu'un produit respecte toutes les normes de sécurité. En même temps, c'est le genre de preuves qui brûlent avec le reste lorsqu'un drame survient.»

On n'aurait pas eu la même chance en banlieue de Toronto, où les propriétaires de deux pharmacies et leurs complices ont été arrêtés au début de l'automne pour avoir vendu des médicaments contrefaits. Dans un cas, il s'agissait de fausses pilules de Viagra qui n'auraient causé aucun dommage. Dans l'autre, il s'agissait de comprimés de poudre de talc imitant un médicament pour le coeur, le Norvasc, auxquels pourrait bien être lié le décès de quatre patients de la région de Hamilton.

«C'était la première fois que l'on trouvait des contrefaçons de nos médicaments en pharmacie, explique Silvie Letendre, porte-parole du fabricant des véritables médicaments, Pfizer Canada. Habituellement, c'est surtout sur Internet qu'est offert ce genre de copies.»

La Chine et les autres

Au premier rang des pays accusés : la Chine, qui compterait pour 66 % des produits contrefaits vendus sur le marché américain. Un pays alliant puissance industrielle et faible protection des droits de propriété intellectuelle. Un pays, aussi, auquel les grandes et petites entreprises d'ici confient une part de plus en plus importante de leurs productions, au risque d'y voir par la suite leurs propres produits copiés, et parfois même simplement fabriqués et vendus à leur insu par leurs propres sous-traitants ou ex-sous-traitants.

«Les copies sont parfois à s'y méprendre, raconte l'enquêteur de la GRC Martin Labrecque. Même les experts ont du mal à différencier le vrai du faux.

La Chine n'est toutefois pas la seule en cause. Reviennent souvent, aussi, les noms d'autres pays d'Asie, tels que l'Inde, le Pakistan, le Vietnam, ou encore les Philippines. Mais il y en a d'autres aussi, tels que le Brésil, la Russie, la Turquie, sans parler... du Canada.

«On a encore du mal à savoir exactement comment fonctionne le réseau de faussaires auquel on a affaire», raconte Serge Rocheleau, de la compagnie Lise Watier. Les malfaiteurs ont profité du fait que la compagnie avait changé l'emballage de son produit pour faire passer leur camelote pour des balances d'inventaire. «Certains éléments, comme la bouteille, viennent sans doute de l'étranger. Mais tout porte à croire que le gros de l'opération a été fait ici.»

On apprenait également, la semaine dernière, que Montréal serait la capitale mondiale du film piraté. C'est du moins ce qu'ont affirmé l'Association canadienne des distributeurs de films et le géant américain Warner Brothers à la suite du lancement du dernier film de Harry Potter. Plus de 40 % des productions copiées seraient en effet filmées sur vidéo au moment de leur sortie dans les salles de cinéma montréalaises afin d'être expédiées par la suite aux quatre coins de la planète sur DVD ou par Internet.

Le Canada au banc des accusés


«Le Canada a longtemps été une référence en matière de protection des droits de propriété intellectuelle. Mais ce n'est plus le cas», déplore Brian Isaac, associé à la firme d'avocats Smart & Biggar de Toronto. Les Américains en veulent notamment pour preuve le fait qu'une douzaine de saisies à peine auraient été effectuées au Canada relativement à l'importation de biens contrefaits depuis 1996 contre plus de 37 000 aux États-Unis.

Ce laxisme vaut au Canada le triste honneur d'être inscrit, par le département du Commerce américain, sur la liste des pays à surveiller en tant que plaques tournantes de la contrefaçon. Les fabricants américains de médicaments, de vêtements, de voitures, de films et de logiciels, regroupés au sein de la International Anti-Counterfeiting Coalition, font même pression, depuis six mois, auprès de Washington, pour que le Canada se retrouve au sommet de la liste noire, à côté de la Chine et des autres pays les plus délinquants.

«C'en est gênant, commente Brian Isaac. Les risques de se faire prendre et les peines imposées sont tellement faibles qu'il est profitable pour les criminels de continuer. Il faudrait idéalement changer toute la loi. Mais cela ne pourra pas se faire du jour au lendemain.»

En attendant, il propose à tout le moins que l'importation de biens contrefaits soit désormais considérée comme un crime au sens de la loi sur les marques de commerce et que l'on ajoute explicitement la lutte contre la contrefaçon au mandat des douaniers. Ce dernier changement obligerait le gouvernement à leur accorder les ressources nécessaires pour procéder aux enquêtes et aux saisies, qui restent pour le moment une chasse gardée de la GRC. On pourrait aider ce travail en constituant un registre des détenteurs de droits industriels et commerciaux des produits.

«Je peux comprendre que les autorités policières choisissent peut-être d'accorder la priorité à d'autres formes de crime plus graves, plus violentes, dit Serge Rocheleau, de la compagnie Lise Watier. Mais nous, on ne pouvait pas se permettre d'attendre. Il fallait agir rapidement. Alors, on a fait appel à nos propres enquêteurs et on a eu recours à des poursuites en droit civil plutôt que criminel.»

Financer le terrorisme


«Il faut deux choses pour faire obstacle à la contrefaçon : s'attaquer à l'offre et à la demande, dit Douglas Geralde. Du côté de l'offre, des pays comme la Chine font présentement des efforts énormes pour mieux protéger la propriété intellectuelle. Mais ce sera long. Du côté de la demande, on doit convaincre les gouvernements canadiens de faire plus dans la lutte contre la contrefaçon. Nous devons aussi mieux sensibiliser le grand public en général quant à ses dangers.»

Il en va évidemment de sa santé, lorsqu'il est question de produits présentant des risques d'empoisonnement, d'électrocution ou encore d'incendie. Mais il en va aussi de la santé de son économie, note Daniel Charron, des Manufacturiers et exportateurs du Québec, dans un monde où l'avenir des entreprises, et des emplois qui y sont reliés, repose de plus en plus sur leur capacité d'innovation, telle que défendue par les droits de propriété intellectuelle, à la réputation de leur marque. Sans parler des revenus fiscaux perdus pour les gouvernements et de l'impact économique désastreux que pourrait finir par avoir notre mauvaise réputation auprès de notre principal partenaire commercial.

«Je crois que beaucoup de gens ne réalisent pas non plus que l'on parle d'une activité dans laquelle le crime organisé est maintenant bien impliqué, poursuit l'enquêteur de la GRC Martin Labrecque. Cette implication des groupes organisés reste encore à prouver au Canada, mais elle est maintenant bien établie au niveau mondial.»

Cela en serait même rendu au point où cette activité financerait les réseaux de terrorisme internationaux. «C'est plus lucratif et moins dangereux» que le trafic de drogue ou d'armes, a expliqué la semaine dernière Michel Danet, secrétaire général de l'Organisation mondiale des douanes, lors du congrès mondial sur la contrefaçon de Lyon. «Ceux qui ont commis les attentats de Londres, au mois de juillet, ont financé leurs attaques grâce à la revente de produits contrefaits. C'est un phénomène très inquiétant.»
Répondre

Revenir à « LA TRIBUNE »