Publié : mer. juin 16, 2004 8:24 am
Le devoir ,16 Juin 2004 , version électronique , www.ledevoir.com
Le gouvernement Charest souhaite resserrer les contrôles sur les assistés sociaux et remettre en question le principe d'insaisissabilité du chèque d'aide sociale. Lorsqu'un prestataire fait défaut de payer son loyer, Québec entend en effet saisir son chèque et en verser une partie directement à son propriétaire.
C'est ce qui est dissimulé dans l'article 53 du projet de loi sur l'aide aux personnes et aux familles, qui a été déposé vendredi par le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille, Claude Béchard. Cette disposition controversée, qui pourrait même contrevenir à la Charte québécoise des droits et libertés, contredit l'esprit du plan d'action visant à lutter contre la pauvreté présenté par le gouvernement Charest en avril. L'approche coercitive, qui devait prendre fin avec ce plan, plaît toujours à Québec dans les faits.
En vertu de l'article 53, un propriétaire pourrait désormais s'adresser à la Régie du logement pour recouvrer son loyer impayé par un assisté social. Si un jugement est rendu contre le prestataire, la Régie pourrait délivrer une ordonnance obligeant le ministre à remettre au propriétaire une partie de la prestation d'aide sociale.
Les modalités exactes de cette saisie seront connues seulement lors du dépôt du projet de règlement, cet automne.
Jean-Yves Desgagnés, du Front commun des personnes assistées sociales, estime que cette mesure contrevient à la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, qui édicte le principe d'une prestation minimale, c'est-à-dire un seuil en deçà duquel une prestation ne peut être réduite en raison de l'application de sanctions administratives. «On va se battre contre cette disposition qui est inacceptable. Ça va être une guerre, parce que ce n'est pas vrai que le gouvernement va ramener dans le décor une mesure contre laquelle on s'est déjà battu dans le passé», a-t-il affirmé lors d'un entretien téléphonique hier.
La saisie d'une prestation pour cause de non-paiement de loyer était en effet comprise dans la réforme de l'aide sociale pilotée par la ministre de la Solidarité sociale, Louise Harel, en 1997-98. Le gouvernement péquiste voulait alors qu'une partie de la prestation, pouvant aller jusqu'à 48,7 %, puisse être versée à un propriétaire en cas de non-paiement de loyers. Or, même si elle avait été adoptée, la mesure n'avait jamais été mise en vigueur par le successeur de Mme Harel, André Boisclair.
Cette volte-face n'était pas étrangère au tollé soulevé par la volonté du gouvernement. Dans un mémoire remis au gouvernement à l'époque, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse affirmait qu'«une telle mesure ouvre une brèche dans le principe de l'incessibilité des prestations, principe qui est toujours apparu comme la contrepartie du caractère minimal des allocations versées».
Toujours selon la Commission, «aucune démonstration convaincante n'a été faite d'une prévalence du non-paiement des loyers par les prestataires d'aide sociale dépassant largement les défauts de paiement des autres locataires». Un «investissement collectif en vue de multiplier les logements à prix abordable serait beaucoup plus efficace que la mise en tutelle pour la solution des difficultés en regard au paiement des loyers», ajoutait la Commission.
Lors de son passage devant les parlementaires en février 1997 sur le livre vert de Louise Harel, le président de la commission de l'époque, Claude Filion, expliquait que le problème de non-paiement de loyers est le fait d'une fraction «très minoritaire» des prestataires et que, du reste, il ne concerne pas que les assistés sociaux. Un an plus tard, lors de l'étude du projet de loi 186 sur la réforme de l'aide sociale, M. Filion affirmait qu'il existe un «danger d'encadrer les exclus de notre société, d'encadrer ceux qui ont moins de moyens que les autres» en procédant à la saisie des chèques d'aide sociale, alors que les autres types de prestataires de l'État ne sont pas soumis aux mêmes contrôles.
La Charte québécoise des droits et libertés de la personne stipule en effet qu'aucune discrimination ne doit être faite sur la base de la condition sociale. Un groupe pourrait ainsi contesté la mesure du gouvernement Charest devant les tribunaux. La crainte de poursuites avait d'ailleurs été l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement péquiste avait finalement décidé de faire une croix sur une remise en question de l'insaisissabilité du chèque d'aide sociale.
En décembre 1998, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies avait même blâmé Québec pour avoir inclus dans sa réforme la saisie des prestations d'aide sociale, une mesure qu'il avait jugée discriminatoire.
La mesure préconisée par le gouvernement Charest pourrait également enfreindre les dispositions du Code de procédure civile. L'article 553 prévoit en effet qu'une portion des revenus -- de 120 à 180 $ par semaine, selon la situation familiale -- de toute personne demeure insaisissable. La prestation mensuelle moyenne à l'aide sociale se chiffre à 621,39 $ par ménage, selon les données contenues dans le rapport annuel de gestion 2002-03 de la Sécurité du revenu.
«Permettre la saisie, c'est ouvrir une boîte de Pandore, estime Jean-Yves Desgagnés. Hydro-Québec et Bell voudraient eux aussi avoir la possibilité de saisir. Pourquoi le permettre à un seul, au fond ?» Selon lui, «le problème derrière le non-paiement de loyers par des prestataires, c'est le manque de revenu», et non pas un manque de volonté ou une prétendue malhonnêteté plus grande des assistés sociaux.
Les propriétaires ravis
Les regroupements de propriétaires saluent la décision du gouvernement Charest. «C'est une bonne nouvelle. On attend cette mesure-là depuis très longtemps. C'est de nature à faire échec à une minorité de prestataires qui noircissent le portrait de l'ensemble des prestataires», a affirmé Martin Messier, président de l'Association des propriétaires du Québec (APQ).
Selon l'APQ, 5 % des assistés sociaux seraient des mauvais payeurs, c'est-à-dire 27 330 des 546 600 prestataires. Ils occasionneraient des pertes de 80 millions de dollars par année aux propriétaires. «Des prestataires disent à des propriétaires : "Tu ne peux rien contre moi, tu ne peux pas toucher à mon chèque." Et ça, ça arrive assez régulièrement», a souligné M. Messier.
À l'heure actuelle, lorsqu'un locataire -- peu importe son statut -- tarde à payer le loyer, le propriétaire peut déposer une demande à la Régie du logement pour le recouvrer. Quand les retards se multiplient, le propriétaire peut s'adresser à la Régie du logement afin d'obtenir la résiliation du bail ou l'éviction du locataire. Les montants impayés ne sont cependant jamais recouvrés par le propriétaire, déplore Martin Messier.
En 1996, un comité regroupant des membres du gouvernement et des associations de propriétaires recommandait de mettre fin au principe d'insaisissabilité des prestations d'aide sociale. Toutefois, le comité reconnaissait que traiter les prestataires de l'aide sociale différemment des prestataires de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, de la Régie des rentes du Québec ou de l'assurance-emploi pouvait contrevenir aux chartes des droits.
Le projet de loi sur l'aide aux personnes et aux familles du ministre Claude Béchard vise en bonne partie à mettre en application les mesures contenues dans le plan d'action visant à lutter contre la pauvreté. Ce plan préconise une approche incitative plutôt que coercitive envers les assistés sociaux. Des consultations publiques se tiendront cet automne.
Le gouvernement Charest souhaite resserrer les contrôles sur les assistés sociaux et remettre en question le principe d'insaisissabilité du chèque d'aide sociale. Lorsqu'un prestataire fait défaut de payer son loyer, Québec entend en effet saisir son chèque et en verser une partie directement à son propriétaire.
C'est ce qui est dissimulé dans l'article 53 du projet de loi sur l'aide aux personnes et aux familles, qui a été déposé vendredi par le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille, Claude Béchard. Cette disposition controversée, qui pourrait même contrevenir à la Charte québécoise des droits et libertés, contredit l'esprit du plan d'action visant à lutter contre la pauvreté présenté par le gouvernement Charest en avril. L'approche coercitive, qui devait prendre fin avec ce plan, plaît toujours à Québec dans les faits.
En vertu de l'article 53, un propriétaire pourrait désormais s'adresser à la Régie du logement pour recouvrer son loyer impayé par un assisté social. Si un jugement est rendu contre le prestataire, la Régie pourrait délivrer une ordonnance obligeant le ministre à remettre au propriétaire une partie de la prestation d'aide sociale.
Les modalités exactes de cette saisie seront connues seulement lors du dépôt du projet de règlement, cet automne.
Jean-Yves Desgagnés, du Front commun des personnes assistées sociales, estime que cette mesure contrevient à la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, qui édicte le principe d'une prestation minimale, c'est-à-dire un seuil en deçà duquel une prestation ne peut être réduite en raison de l'application de sanctions administratives. «On va se battre contre cette disposition qui est inacceptable. Ça va être une guerre, parce que ce n'est pas vrai que le gouvernement va ramener dans le décor une mesure contre laquelle on s'est déjà battu dans le passé», a-t-il affirmé lors d'un entretien téléphonique hier.
La saisie d'une prestation pour cause de non-paiement de loyer était en effet comprise dans la réforme de l'aide sociale pilotée par la ministre de la Solidarité sociale, Louise Harel, en 1997-98. Le gouvernement péquiste voulait alors qu'une partie de la prestation, pouvant aller jusqu'à 48,7 %, puisse être versée à un propriétaire en cas de non-paiement de loyers. Or, même si elle avait été adoptée, la mesure n'avait jamais été mise en vigueur par le successeur de Mme Harel, André Boisclair.
Cette volte-face n'était pas étrangère au tollé soulevé par la volonté du gouvernement. Dans un mémoire remis au gouvernement à l'époque, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse affirmait qu'«une telle mesure ouvre une brèche dans le principe de l'incessibilité des prestations, principe qui est toujours apparu comme la contrepartie du caractère minimal des allocations versées».
Toujours selon la Commission, «aucune démonstration convaincante n'a été faite d'une prévalence du non-paiement des loyers par les prestataires d'aide sociale dépassant largement les défauts de paiement des autres locataires». Un «investissement collectif en vue de multiplier les logements à prix abordable serait beaucoup plus efficace que la mise en tutelle pour la solution des difficultés en regard au paiement des loyers», ajoutait la Commission.
Lors de son passage devant les parlementaires en février 1997 sur le livre vert de Louise Harel, le président de la commission de l'époque, Claude Filion, expliquait que le problème de non-paiement de loyers est le fait d'une fraction «très minoritaire» des prestataires et que, du reste, il ne concerne pas que les assistés sociaux. Un an plus tard, lors de l'étude du projet de loi 186 sur la réforme de l'aide sociale, M. Filion affirmait qu'il existe un «danger d'encadrer les exclus de notre société, d'encadrer ceux qui ont moins de moyens que les autres» en procédant à la saisie des chèques d'aide sociale, alors que les autres types de prestataires de l'État ne sont pas soumis aux mêmes contrôles.
La Charte québécoise des droits et libertés de la personne stipule en effet qu'aucune discrimination ne doit être faite sur la base de la condition sociale. Un groupe pourrait ainsi contesté la mesure du gouvernement Charest devant les tribunaux. La crainte de poursuites avait d'ailleurs été l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement péquiste avait finalement décidé de faire une croix sur une remise en question de l'insaisissabilité du chèque d'aide sociale.
En décembre 1998, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies avait même blâmé Québec pour avoir inclus dans sa réforme la saisie des prestations d'aide sociale, une mesure qu'il avait jugée discriminatoire.
La mesure préconisée par le gouvernement Charest pourrait également enfreindre les dispositions du Code de procédure civile. L'article 553 prévoit en effet qu'une portion des revenus -- de 120 à 180 $ par semaine, selon la situation familiale -- de toute personne demeure insaisissable. La prestation mensuelle moyenne à l'aide sociale se chiffre à 621,39 $ par ménage, selon les données contenues dans le rapport annuel de gestion 2002-03 de la Sécurité du revenu.
«Permettre la saisie, c'est ouvrir une boîte de Pandore, estime Jean-Yves Desgagnés. Hydro-Québec et Bell voudraient eux aussi avoir la possibilité de saisir. Pourquoi le permettre à un seul, au fond ?» Selon lui, «le problème derrière le non-paiement de loyers par des prestataires, c'est le manque de revenu», et non pas un manque de volonté ou une prétendue malhonnêteté plus grande des assistés sociaux.
Les propriétaires ravis
Les regroupements de propriétaires saluent la décision du gouvernement Charest. «C'est une bonne nouvelle. On attend cette mesure-là depuis très longtemps. C'est de nature à faire échec à une minorité de prestataires qui noircissent le portrait de l'ensemble des prestataires», a affirmé Martin Messier, président de l'Association des propriétaires du Québec (APQ).
Selon l'APQ, 5 % des assistés sociaux seraient des mauvais payeurs, c'est-à-dire 27 330 des 546 600 prestataires. Ils occasionneraient des pertes de 80 millions de dollars par année aux propriétaires. «Des prestataires disent à des propriétaires : "Tu ne peux rien contre moi, tu ne peux pas toucher à mon chèque." Et ça, ça arrive assez régulièrement», a souligné M. Messier.
À l'heure actuelle, lorsqu'un locataire -- peu importe son statut -- tarde à payer le loyer, le propriétaire peut déposer une demande à la Régie du logement pour le recouvrer. Quand les retards se multiplient, le propriétaire peut s'adresser à la Régie du logement afin d'obtenir la résiliation du bail ou l'éviction du locataire. Les montants impayés ne sont cependant jamais recouvrés par le propriétaire, déplore Martin Messier.
En 1996, un comité regroupant des membres du gouvernement et des associations de propriétaires recommandait de mettre fin au principe d'insaisissabilité des prestations d'aide sociale. Toutefois, le comité reconnaissait que traiter les prestataires de l'aide sociale différemment des prestataires de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, de la Régie des rentes du Québec ou de l'assurance-emploi pouvait contrevenir aux chartes des droits.
Le projet de loi sur l'aide aux personnes et aux familles du ministre Claude Béchard vise en bonne partie à mettre en application les mesures contenues dans le plan d'action visant à lutter contre la pauvreté. Ce plan préconise une approche incitative plutôt que coercitive envers les assistés sociaux. Des consultations publiques se tiendront cet automne.