Le Soleil
Éditorial, vendredi 19 mars 2004, p. A12
Chronique politique
La gauche cannibale
Samson, J -Jacques
Placez deux militants de gauche dans un abribus et l'engueulade se terminera à coup sûr par la création de deux cellules rivales. Les deux chefs se bitcheront par la suite sur la place publique avec plus d'acharnement que deux collégiennes, jusqu'à neutraliser mutuellement l'action politique de leurs groupes.
La gauche québécoise est très agitée par les temps qui courent. On peut donc observer une multiplication rapide des cellules.
L'Union des forces progressistes avait beaucoup fait parler d'elle depuis deux ans, notamment à la suite de la solide performance de l'ex-journaliste et syndicaliste Paul Cliche à l'élection partielle dans l'atypique circonscrption de Mercier, dans le centre-sud de Montréal, l'ancien bastion du député-poète Gérald Godin. Paul Cliche avait obtenu 24 % des votes à la partielle d'avril 2001. La cristallisation du débat électoral en avril 2003 a vite ramené sur terre les animateurs de la coalition de gauche formée dans cette foulée. L'UFP a récolté moins de 1 % des votes en avril 2003, même si elle présentait quelques candidats de haute qualité qui ont profité d'un certain rayonnement dans les médias. Ses animateurs ont néanmoins poursuivi avec détermination leur travail de structuration du jeune parti.
La réforme du mode de scrutin enclenchée par le leader parlementaire du PLQ, Jacques Dupuis, visant l'introduction d'un élément de représentation proportionnelle à l'Assemblée nationale motive et fait saliver maintenant les militants de groupements marginaux qui n'avaient aucune chance de siéger un jour au Salon bleu, en vertu de notre actuel modèle électoral uninominal à un tour. Paul Cliche de l'UFP a d'ailleurs été l'un de ceux qui ont plaidé avec le plus de constance pour cette réforme.
Deux branches se sont manifestées en deux jours au début de la semaine. La première, les Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre, réunit des "vedettes" d'une gauche institutionnelle qui voudraient investir le Parti québécois. On retrouve les Monique Richard (CSQ), Marc Laviolette (CSN), Viviane Barbot (Fédération des femmes), Luc Desnoyers (Travailleurs canadiens de l'auto), Michel Parent (cols bleus de Montréal), Pierre Dubuc (l'Aut'journal). Ce club est né le 23 février avec pour objectif que le mouvement syndical soit représenté à l'Assemblée nationale. Assurés de n'être pas élus sous une étiquette ouvertement syndicaliste, ses animateurs ont choisi le Parti québécois pour véhicule ; ils chercheront à en diriger des prises de position et à se réserver des sièges en Chambre, en échange de leurs appuis. Leur démarche dégage de forts relents d'opportunisme.
La naissance du SPQ était à peine connue que l'UFP s'est chargée de le dénoncer en termes virulents. Bernard Landry est un pionnier de l'option néolibérale et tous les anciens et actuels leaders syndicaux qui veulent investir le PQ ne sont que des "progressistes pressés de retourner au pouvoir qui risquent de faire perdre une autre décennie à la mouvance souverainiste progressiste", selon Paul Cliche.
L'ancienne présidente de la Fédération des femmes, Françoise David, a de son côté longtemps menacé de lancer un parti politique. Elle s'est toujours abstenue toutefois pendant que le PQ était au pouvoir, sans doute consciente qu'elle détenait plus de pouvoir en s'en tenant à cette forme de chantage sans permettre à tous de mesurer ses réels appuis.
Elle est maintenant à la tête d'un groupe de militants, associés à des organisations de gauche comme le FRAPRU et le Front commun des assistés sociaux, qui prépare le lancement d'un parti à l'automne sous l'étiquette Option citoyenne et... envisage déjà une fusion avec l'UFP ! Son initiative laisse plusieurs perplexes. Mme David prend trop de place au goût de puristes de la doctrine communiste, alors que d'autres rêvent d'un élargissement rapide de la base d'une nouvelle union de la gauche avec son entrée en scène.
Tout ce monde se définit toujours par rapport au Parti québécois : à la marge, à l'intérieur ou juste à l'extérieur... selon que le groupe est plus ou moins pressé par rapport à la souveraineté ou la lutte des classes. La gauche s'est repositionnée dans plusieurs autres sociétés, en Europe surtout, où elle a modernisé son option et réuni ses forces. Au Québec, cette mouvance se fragmente comme dans les années 60 et au début des années 70, alors qu'il y avait autant de phalanges socialistes et communistes que de militants et elle se cannibalise déjà. Cette parcellisation ne peut que nuire au Parti québécois, qui ralliait depuis trois décennies des militants de tous les tons de la gauche dans un parti social-démocrate modéré.
Ces militants, très engagés et de bonne foi, il n'en fait aucun doute (plusieurs sont de vieilles barbes), s'éloignent ainsi inconsciemment des résultats visés par leur action politique soutenue et que le Parti québécois serait le plus susceptible de rencontrer, tout au moins partiellement. Cet éparpillement contre-productif et le marchandage de sièges à l'Assemblée entre alliés circonstantiels, au-dessus de la tête des électeurs, sont les volets les plus inquiétants de l'adoption d'un mode de scrutin proportionnel. Nous en avons un aperçu avant même d'avoir goûté à un nouveau mode de scrutin.
La gauche cannibale / éditorial de J -Jacques Samson dans Le Soleil
En voici un autre sur le même thème...
La Presse
Forum, samedi 27 mars 2004, p. A26
Le PQ et la gauche sociale: un piège à cons!
Les militants d'Option citoyenne pensent qu'il faut enfin offrir une réelle option de gauche aux électeurs
Delisle, Jean-François
Alors même que le nouveau parti de gauche provisoirement appelé Option citoyenne, animé par madame Françoise David, n'est encore qu'en gestation, plusieurs voudraient déjà l'enterrer en arguant de son " inutilité " ou de sa " nullité " présumée. Selon les uns, il n'aboutirait qu'à diviser l'opposition et contribuerait en fin de compte à maintenir au pouvoir les libéraux honnis. D'autres décrètent pour leur part l'absence de salut politique pour les Françoise David et autres militants communautaires impliqués dans Option citoyenne, leur conseillant au passage de retourner à leurs oignons. Sincères mais naïfs, insinue-t-on...
Que François Legault suggère aux gens de gauche d'investir le Parti québécois plutôt que de suivre Option citoyenne se comprend fort bien; son parti n'a aucun intérêt à se voir doubler sur sa gauche ni à se faire ravir, par conséquent, ne serait-ce que cinq ou six pour cent des voix au prochain scrutin, ce qui risquerait fort de le condamner à l'opposition pour quatre ans supplémentaires. La " carotte " souverainiste sert d'appât pour retenir (ou attirer) au sein du parti des militants qui, autrement, l'auraient peut-être déserté depuis belle lurette... L'espoir souverainiste a souvent incité ceux-ci à prendre en patience les orientations rétrolibérales de leur direction que cette dernière leur présentait comme " nécessaires " en attendant l'arrivée dans la Terre promise de l'indépendance social-démocrate...
C'est avec ce cercle vicieux que veulent rompre les gens d'Option citoyenne. Il ne s'agit pas de sympathiques hurluberlus mais de militants aguerris, dont plusieurs détiennent une expérience politique déjà considérable et qui en sont venu à la conclusion, après mûre réflexion, qu'on n'est jamais si bien servi que par soi-même. Ils croient que le Parti québécois ne possède pas le monopole de la légitimité de gauche et qu'essayer de l'infiltrer ne servirait guère à mieux qu'à lui offrir une " vitrine " progressiste très commode, une sorte de miroir aux alouettes en quelque sorte. Depuis les années 1970, les directions successives de cette formation ont souvent récupéré ou neutralisé les courants plus radicaux qui tentaient d'en infléchir les politiques. L'histoire risque de se répéter...
Les militants d'Option citoyenne pensent qu'il faut enfin offrir une réelle option de gauche aux nombreux électeurs et électrices qui ne se reconnaissent pas dans le Parti québécois et encore moins dans le Parti libéral. Quant à l'UFP, on peut croire que l'immobilisme d'une partie de ses éléments dirigeants, leur complaisance dans une certaine marginalité et le faible score réalisé lors du scrutin de 2003 ont convaincu les animateurs d'Option citoyenne qu'il fallait aller de l'avant dans le projet de fonder un parti rassembleur sans plus attendre, quitte à s'allier aux composantes les plus dynamiques de l'UFP après des négociations honnêtes pour former une organisation cohérente et efficace. Après tout, ce n'est pas prendre la place des autres que de prendre la nôtre.
La Presse
Forum, samedi 27 mars 2004, p. A26
Le PQ et la gauche sociale: un piège à cons!
Les militants d'Option citoyenne pensent qu'il faut enfin offrir une réelle option de gauche aux électeurs
Delisle, Jean-François
Alors même que le nouveau parti de gauche provisoirement appelé Option citoyenne, animé par madame Françoise David, n'est encore qu'en gestation, plusieurs voudraient déjà l'enterrer en arguant de son " inutilité " ou de sa " nullité " présumée. Selon les uns, il n'aboutirait qu'à diviser l'opposition et contribuerait en fin de compte à maintenir au pouvoir les libéraux honnis. D'autres décrètent pour leur part l'absence de salut politique pour les Françoise David et autres militants communautaires impliqués dans Option citoyenne, leur conseillant au passage de retourner à leurs oignons. Sincères mais naïfs, insinue-t-on...
Que François Legault suggère aux gens de gauche d'investir le Parti québécois plutôt que de suivre Option citoyenne se comprend fort bien; son parti n'a aucun intérêt à se voir doubler sur sa gauche ni à se faire ravir, par conséquent, ne serait-ce que cinq ou six pour cent des voix au prochain scrutin, ce qui risquerait fort de le condamner à l'opposition pour quatre ans supplémentaires. La " carotte " souverainiste sert d'appât pour retenir (ou attirer) au sein du parti des militants qui, autrement, l'auraient peut-être déserté depuis belle lurette... L'espoir souverainiste a souvent incité ceux-ci à prendre en patience les orientations rétrolibérales de leur direction que cette dernière leur présentait comme " nécessaires " en attendant l'arrivée dans la Terre promise de l'indépendance social-démocrate...
C'est avec ce cercle vicieux que veulent rompre les gens d'Option citoyenne. Il ne s'agit pas de sympathiques hurluberlus mais de militants aguerris, dont plusieurs détiennent une expérience politique déjà considérable et qui en sont venu à la conclusion, après mûre réflexion, qu'on n'est jamais si bien servi que par soi-même. Ils croient que le Parti québécois ne possède pas le monopole de la légitimité de gauche et qu'essayer de l'infiltrer ne servirait guère à mieux qu'à lui offrir une " vitrine " progressiste très commode, une sorte de miroir aux alouettes en quelque sorte. Depuis les années 1970, les directions successives de cette formation ont souvent récupéré ou neutralisé les courants plus radicaux qui tentaient d'en infléchir les politiques. L'histoire risque de se répéter...
Les militants d'Option citoyenne pensent qu'il faut enfin offrir une réelle option de gauche aux nombreux électeurs et électrices qui ne se reconnaissent pas dans le Parti québécois et encore moins dans le Parti libéral. Quant à l'UFP, on peut croire que l'immobilisme d'une partie de ses éléments dirigeants, leur complaisance dans une certaine marginalité et le faible score réalisé lors du scrutin de 2003 ont convaincu les animateurs d'Option citoyenne qu'il fallait aller de l'avant dans le projet de fonder un parti rassembleur sans plus attendre, quitte à s'allier aux composantes les plus dynamiques de l'UFP après des négociations honnêtes pour former une organisation cohérente et efficace. Après tout, ce n'est pas prendre la place des autres que de prendre la nôtre.
Un parti véritablement de gauche ne saura sans doute pas faire élire de députés... à moins qu'effectivement le mode de scrutin soit changé pour lors des futures élections et encore là, je doute qu'ils arrivent à rallier un grand nombre d'électeurs! C'est bien beau sur papier, mais lorsque viendra le temps d'annoncer aux citoyens de façon concrète la façon dont ils comptent s'y prendre pour arriver à leurs fins, les électeurs ne suivront pas!
Juste de savoir que le président du Front commun des assistés sociaux, et que celui des cols bleus de Montréal font partie des ces "nouveaux partis", ou de cette nouvelle aile du PQ me fait friser le poil! Pour moi, ces personnes n'ont absolument aucune crédibilité et leur seule présence parmi les têtes dirigeantes ou fondatrices de ces partis est un élément fort négatif à mes yeux... S'il fallait les suivre, je me demande bien où on irait...
Juste de savoir que le président du Front commun des assistés sociaux, et que celui des cols bleus de Montréal font partie des ces "nouveaux partis", ou de cette nouvelle aile du PQ me fait friser le poil! Pour moi, ces personnes n'ont absolument aucune crédibilité et leur seule présence parmi les têtes dirigeantes ou fondatrices de ces partis est un élément fort négatif à mes yeux... S'il fallait les suivre, je me demande bien où on irait...