Publié : sam. mars 27, 2004 7:45 pm
Le Soleil
Éditorial, vendredi 19 mars 2004, p. A12
Chronique politique
La gauche cannibale
Samson, J -Jacques
Placez deux militants de gauche dans un abribus et l'engueulade se terminera à coup sûr par la création de deux cellules rivales. Les deux chefs se bitcheront par la suite sur la place publique avec plus d'acharnement que deux collégiennes, jusqu'à neutraliser mutuellement l'action politique de leurs groupes.
La gauche québécoise est très agitée par les temps qui courent. On peut donc observer une multiplication rapide des cellules.
L'Union des forces progressistes avait beaucoup fait parler d'elle depuis deux ans, notamment à la suite de la solide performance de l'ex-journaliste et syndicaliste Paul Cliche à l'élection partielle dans l'atypique circonscrption de Mercier, dans le centre-sud de Montréal, l'ancien bastion du député-poète Gérald Godin. Paul Cliche avait obtenu 24 % des votes à la partielle d'avril 2001. La cristallisation du débat électoral en avril 2003 a vite ramené sur terre les animateurs de la coalition de gauche formée dans cette foulée. L'UFP a récolté moins de 1 % des votes en avril 2003, même si elle présentait quelques candidats de haute qualité qui ont profité d'un certain rayonnement dans les médias. Ses animateurs ont néanmoins poursuivi avec détermination leur travail de structuration du jeune parti.
La réforme du mode de scrutin enclenchée par le leader parlementaire du PLQ, Jacques Dupuis, visant l'introduction d'un élément de représentation proportionnelle à l'Assemblée nationale motive et fait saliver maintenant les militants de groupements marginaux qui n'avaient aucune chance de siéger un jour au Salon bleu, en vertu de notre actuel modèle électoral uninominal à un tour. Paul Cliche de l'UFP a d'ailleurs été l'un de ceux qui ont plaidé avec le plus de constance pour cette réforme.
Deux branches se sont manifestées en deux jours au début de la semaine. La première, les Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre, réunit des "vedettes" d'une gauche institutionnelle qui voudraient investir le Parti québécois. On retrouve les Monique Richard (CSQ), Marc Laviolette (CSN), Viviane Barbot (Fédération des femmes), Luc Desnoyers (Travailleurs canadiens de l'auto), Michel Parent (cols bleus de Montréal), Pierre Dubuc (l'Aut'journal). Ce club est né le 23 février avec pour objectif que le mouvement syndical soit représenté à l'Assemblée nationale. Assurés de n'être pas élus sous une étiquette ouvertement syndicaliste, ses animateurs ont choisi le Parti québécois pour véhicule ; ils chercheront à en diriger des prises de position et à se réserver des sièges en Chambre, en échange de leurs appuis. Leur démarche dégage de forts relents d'opportunisme.
La naissance du SPQ était à peine connue que l'UFP s'est chargée de le dénoncer en termes virulents. Bernard Landry est un pionnier de l'option néolibérale et tous les anciens et actuels leaders syndicaux qui veulent investir le PQ ne sont que des "progressistes pressés de retourner au pouvoir qui risquent de faire perdre une autre décennie à la mouvance souverainiste progressiste", selon Paul Cliche.
L'ancienne présidente de la Fédération des femmes, Françoise David, a de son côté longtemps menacé de lancer un parti politique. Elle s'est toujours abstenue toutefois pendant que le PQ était au pouvoir, sans doute consciente qu'elle détenait plus de pouvoir en s'en tenant à cette forme de chantage sans permettre à tous de mesurer ses réels appuis.
Elle est maintenant à la tête d'un groupe de militants, associés à des organisations de gauche comme le FRAPRU et le Front commun des assistés sociaux, qui prépare le lancement d'un parti à l'automne sous l'étiquette Option citoyenne et... envisage déjà une fusion avec l'UFP ! Son initiative laisse plusieurs perplexes. Mme David prend trop de place au goût de puristes de la doctrine communiste, alors que d'autres rêvent d'un élargissement rapide de la base d'une nouvelle union de la gauche avec son entrée en scène.
Tout ce monde se définit toujours par rapport au Parti québécois : à la marge, à l'intérieur ou juste à l'extérieur... selon que le groupe est plus ou moins pressé par rapport à la souveraineté ou la lutte des classes. La gauche s'est repositionnée dans plusieurs autres sociétés, en Europe surtout, où elle a modernisé son option et réuni ses forces. Au Québec, cette mouvance se fragmente comme dans les années 60 et au début des années 70, alors qu'il y avait autant de phalanges socialistes et communistes que de militants et elle se cannibalise déjà. Cette parcellisation ne peut que nuire au Parti québécois, qui ralliait depuis trois décennies des militants de tous les tons de la gauche dans un parti social-démocrate modéré.
Ces militants, très engagés et de bonne foi, il n'en fait aucun doute (plusieurs sont de vieilles barbes), s'éloignent ainsi inconsciemment des résultats visés par leur action politique soutenue et que le Parti québécois serait le plus susceptible de rencontrer, tout au moins partiellement. Cet éparpillement contre-productif et le marchandage de sièges à l'Assemblée entre alliés circonstantiels, au-dessus de la tête des électeurs, sont les volets les plus inquiétants de l'adoption d'un mode de scrutin proportionnel. Nous en avons un aperçu avant même d'avoir goûté à un nouveau mode de scrutin.
Éditorial, vendredi 19 mars 2004, p. A12
Chronique politique
La gauche cannibale
Samson, J -Jacques
Placez deux militants de gauche dans un abribus et l'engueulade se terminera à coup sûr par la création de deux cellules rivales. Les deux chefs se bitcheront par la suite sur la place publique avec plus d'acharnement que deux collégiennes, jusqu'à neutraliser mutuellement l'action politique de leurs groupes.
La gauche québécoise est très agitée par les temps qui courent. On peut donc observer une multiplication rapide des cellules.
L'Union des forces progressistes avait beaucoup fait parler d'elle depuis deux ans, notamment à la suite de la solide performance de l'ex-journaliste et syndicaliste Paul Cliche à l'élection partielle dans l'atypique circonscrption de Mercier, dans le centre-sud de Montréal, l'ancien bastion du député-poète Gérald Godin. Paul Cliche avait obtenu 24 % des votes à la partielle d'avril 2001. La cristallisation du débat électoral en avril 2003 a vite ramené sur terre les animateurs de la coalition de gauche formée dans cette foulée. L'UFP a récolté moins de 1 % des votes en avril 2003, même si elle présentait quelques candidats de haute qualité qui ont profité d'un certain rayonnement dans les médias. Ses animateurs ont néanmoins poursuivi avec détermination leur travail de structuration du jeune parti.
La réforme du mode de scrutin enclenchée par le leader parlementaire du PLQ, Jacques Dupuis, visant l'introduction d'un élément de représentation proportionnelle à l'Assemblée nationale motive et fait saliver maintenant les militants de groupements marginaux qui n'avaient aucune chance de siéger un jour au Salon bleu, en vertu de notre actuel modèle électoral uninominal à un tour. Paul Cliche de l'UFP a d'ailleurs été l'un de ceux qui ont plaidé avec le plus de constance pour cette réforme.
Deux branches se sont manifestées en deux jours au début de la semaine. La première, les Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre, réunit des "vedettes" d'une gauche institutionnelle qui voudraient investir le Parti québécois. On retrouve les Monique Richard (CSQ), Marc Laviolette (CSN), Viviane Barbot (Fédération des femmes), Luc Desnoyers (Travailleurs canadiens de l'auto), Michel Parent (cols bleus de Montréal), Pierre Dubuc (l'Aut'journal). Ce club est né le 23 février avec pour objectif que le mouvement syndical soit représenté à l'Assemblée nationale. Assurés de n'être pas élus sous une étiquette ouvertement syndicaliste, ses animateurs ont choisi le Parti québécois pour véhicule ; ils chercheront à en diriger des prises de position et à se réserver des sièges en Chambre, en échange de leurs appuis. Leur démarche dégage de forts relents d'opportunisme.
La naissance du SPQ était à peine connue que l'UFP s'est chargée de le dénoncer en termes virulents. Bernard Landry est un pionnier de l'option néolibérale et tous les anciens et actuels leaders syndicaux qui veulent investir le PQ ne sont que des "progressistes pressés de retourner au pouvoir qui risquent de faire perdre une autre décennie à la mouvance souverainiste progressiste", selon Paul Cliche.
L'ancienne présidente de la Fédération des femmes, Françoise David, a de son côté longtemps menacé de lancer un parti politique. Elle s'est toujours abstenue toutefois pendant que le PQ était au pouvoir, sans doute consciente qu'elle détenait plus de pouvoir en s'en tenant à cette forme de chantage sans permettre à tous de mesurer ses réels appuis.
Elle est maintenant à la tête d'un groupe de militants, associés à des organisations de gauche comme le FRAPRU et le Front commun des assistés sociaux, qui prépare le lancement d'un parti à l'automne sous l'étiquette Option citoyenne et... envisage déjà une fusion avec l'UFP ! Son initiative laisse plusieurs perplexes. Mme David prend trop de place au goût de puristes de la doctrine communiste, alors que d'autres rêvent d'un élargissement rapide de la base d'une nouvelle union de la gauche avec son entrée en scène.
Tout ce monde se définit toujours par rapport au Parti québécois : à la marge, à l'intérieur ou juste à l'extérieur... selon que le groupe est plus ou moins pressé par rapport à la souveraineté ou la lutte des classes. La gauche s'est repositionnée dans plusieurs autres sociétés, en Europe surtout, où elle a modernisé son option et réuni ses forces. Au Québec, cette mouvance se fragmente comme dans les années 60 et au début des années 70, alors qu'il y avait autant de phalanges socialistes et communistes que de militants et elle se cannibalise déjà. Cette parcellisation ne peut que nuire au Parti québécois, qui ralliait depuis trois décennies des militants de tous les tons de la gauche dans un parti social-démocrate modéré.
Ces militants, très engagés et de bonne foi, il n'en fait aucun doute (plusieurs sont de vieilles barbes), s'éloignent ainsi inconsciemment des résultats visés par leur action politique soutenue et que le Parti québécois serait le plus susceptible de rencontrer, tout au moins partiellement. Cet éparpillement contre-productif et le marchandage de sièges à l'Assemblée entre alliés circonstantiels, au-dessus de la tête des électeurs, sont les volets les plus inquiétants de l'adoption d'un mode de scrutin proportionnel. Nous en avons un aperçu avant même d'avoir goûté à un nouveau mode de scrutin.