N'en doutez plus, la télé est en crise
Modérateur : Elise-Gisèle
Médias - N'en doutez plus, la télé est en crise
Paul Cauchon
Édition du lundi 10 avril 2006
La «crise de la télé», accentuée par la décision de TVA d'abandonner les séries Vice caché et Un homme mort, bat son plein.
Dernier rebondissement : la passe d'armes publique la semaine dernière entre l'empire Quebecor et l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ).
Rappelons que Pierre Karl Péladeau, patron de Quebecor, prononçait une conférence fort suivie mardi dernier, dans le cadre d'une journée organisée par Infopresse sur l'avenir de la télévision. Il reprenait grosso modo le discours qu'il tenait il y a quelques mois devant l'Académie canadienne du cinéma et de la télévision, à savoir que l'industrie de la télévision est en plein bouleversement, que le téléspectateur «consomme» de plus en plus les émissions sur d'autres supports que le petit écran traditionnel, que les publicitaires réduisent leurs investissements parce que le public est moins nombreux à écouter les émissions, et qu'on manque donc d'argent pour produire les séries les plus coûteuses.
Mais M. Péladeau ajoutait de nouvelles idées. Pour mieux financer les émissions, disait-il, TVA songe à confier moins d'émissions aux producteurs indépendants et à en produire un plus grand nombre à l'interne, grâce à sa filiale JPL. On se doute bien que Quebecor pourrait ainsi mieux contrôler les droits de diffusion sur les nouveaux supports qui lui appartiennent.
Mais, voilà, les télédiffuseurs n'ont pas accès aux crédits d'impôt s'ils produisent eux-mêmes. Ces crédits sont nécessaires au financement d'une émission. Pierre Karl Péladeau lançait donc l'idée que TVA puisse bénéficier de tels crédits.
L'APFTQ n'a pas apprécié du tout. Dans une déclaration diffusée le lendemain, l'organisme s'opposait «vivement» à la demande de Quebecor. L'association soutenait que les télédiffuseurs disposent déjà d'avantages importants : ils ont accès aux revenus publicitaires et ils disposent «du pouvoir absolu» de déterminer si une production sera financée (puisque ce sont eux qui donnent le feu vert aux projets d'émissions).
L'association fustigeait ensuite Quebecor, en faisant valoir que le service Illico de Vidéotron avait des revenus annuels de près de 200 millions de dollars et que, en plaçant gratuitement les émissions de TVA sur ce service, TVA «cannibalise son propre marché publicitaire».
Quebecor a par la suite diffusé une déclaration publique pour répliquer que TVA n'avait aucun droit de propriété sur le service Illico et ne bénéficiait d'aucun revenu en découlant. C'est un service exclusif à Vidéotron, et Vidéotron «ne tire aucun revenu» des diffusions gratuites d'émissions québécoises sur Illico.
Quelques constatations. L'analyse de Quebecor est sélective, bien sûr : Vidéotron ne tire peut-être aucun revenu immédiat du téléchargement gratuit d'émissions québécoises sur Illico, mais, en offrant ces émissions, Vidéotron peut ainsi attirer plus d'abonnés à son service numérique (et donc avoir plus de revenus en fin d'année !).
Ensuite, on remarquera que Quebecor prend bien soin de séparer les activités de TVA de celles de Vidéotron. Ce qui est sûrement vrai, techniquement parlant. Mais l'analyse de l'APFTQ est tout aussi représentative d'une perception générale voulant que, dans un grand empire intégré comme Quebecor, chacune des constituantes nourrit l'autre.
Si chaque entité fonctionne de façon aussi séparée, pourquoi alors a-t-on mis autant d'énergie à promouvoir Star Académie dans une stratégie promotionnelle utilisant tous les médias de Quebecor ?
Nouvelle répartition des droits
L'ensemble de l'industrie de la télévision répète depuis des mois qu'il faut réfléchir de toute urgence à une meilleure répartition des droits dans le nouvel univers numérique. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les parties en présence semblent avoir beaucoup de chemin à faire pour s'entendre.
Par ailleurs, pour ceux et celles qui doutent encore des bouleversements en cours dans le monde de la télévision, la journée Infopresse apportait une profusion de chiffres pour le démontrer.
Alain Desormiers, président de l'agence Touché, a calculé que l'auditoire des dix émissions les plus écoutées à la télévision québécoise a diminué de 25 % depuis dix ans.
Pierre Karl Péladeau a également apporté des chiffres éclairants. L'écoute des chaînes spécialisées et payantes au Québec représentait 13 % de l'écoute totale en 1998, expliquait-il. Elle atteint maintenant 33 % du total.
Non seulement les gros auditoires des émissions à succès sont en baisse, non seulement l'écoute des chaînes traditionnelles diminue, mais la distribution numérique, qui permet de créer encore plus de chaînes spécialisées et qui facilite les nouveaux services comme la vidéo sur demande, est en plein essor.
Ainsi, en 2004, 41 % de la distribution des émissions était numérique au Canada (câble et satellite) et 59 % analogique. Cette année le numérique représente 54 % du mode de distribution, et ce chiffre atteindra 67 % dans trois ans.
On compte déjà au Canada 1,6 million de clients de la vidéo sur demande (qui permet de regarder une émission non comptabilisée dans les chiffres d'écoute officiels) et le nombre de clients atteindrait 3,7 millions l'année prochaine.
Et on n'a même pas parlé encore de la télévision sur Internet et des émissions qu'on pourrait télécharger sur les appareils mobiles. La firme Jupiter Research évalue que, dans quatre ans, les revenus d'abonnement à la «télévision mobile» atteindront 7,6 milliards...
pcauchon@ledevoir.com
Paul Cauchon
Édition du lundi 10 avril 2006
La «crise de la télé», accentuée par la décision de TVA d'abandonner les séries Vice caché et Un homme mort, bat son plein.
Dernier rebondissement : la passe d'armes publique la semaine dernière entre l'empire Quebecor et l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ).
Rappelons que Pierre Karl Péladeau, patron de Quebecor, prononçait une conférence fort suivie mardi dernier, dans le cadre d'une journée organisée par Infopresse sur l'avenir de la télévision. Il reprenait grosso modo le discours qu'il tenait il y a quelques mois devant l'Académie canadienne du cinéma et de la télévision, à savoir que l'industrie de la télévision est en plein bouleversement, que le téléspectateur «consomme» de plus en plus les émissions sur d'autres supports que le petit écran traditionnel, que les publicitaires réduisent leurs investissements parce que le public est moins nombreux à écouter les émissions, et qu'on manque donc d'argent pour produire les séries les plus coûteuses.
Mais M. Péladeau ajoutait de nouvelles idées. Pour mieux financer les émissions, disait-il, TVA songe à confier moins d'émissions aux producteurs indépendants et à en produire un plus grand nombre à l'interne, grâce à sa filiale JPL. On se doute bien que Quebecor pourrait ainsi mieux contrôler les droits de diffusion sur les nouveaux supports qui lui appartiennent.
Mais, voilà, les télédiffuseurs n'ont pas accès aux crédits d'impôt s'ils produisent eux-mêmes. Ces crédits sont nécessaires au financement d'une émission. Pierre Karl Péladeau lançait donc l'idée que TVA puisse bénéficier de tels crédits.
L'APFTQ n'a pas apprécié du tout. Dans une déclaration diffusée le lendemain, l'organisme s'opposait «vivement» à la demande de Quebecor. L'association soutenait que les télédiffuseurs disposent déjà d'avantages importants : ils ont accès aux revenus publicitaires et ils disposent «du pouvoir absolu» de déterminer si une production sera financée (puisque ce sont eux qui donnent le feu vert aux projets d'émissions).
L'association fustigeait ensuite Quebecor, en faisant valoir que le service Illico de Vidéotron avait des revenus annuels de près de 200 millions de dollars et que, en plaçant gratuitement les émissions de TVA sur ce service, TVA «cannibalise son propre marché publicitaire».
Quebecor a par la suite diffusé une déclaration publique pour répliquer que TVA n'avait aucun droit de propriété sur le service Illico et ne bénéficiait d'aucun revenu en découlant. C'est un service exclusif à Vidéotron, et Vidéotron «ne tire aucun revenu» des diffusions gratuites d'émissions québécoises sur Illico.
Quelques constatations. L'analyse de Quebecor est sélective, bien sûr : Vidéotron ne tire peut-être aucun revenu immédiat du téléchargement gratuit d'émissions québécoises sur Illico, mais, en offrant ces émissions, Vidéotron peut ainsi attirer plus d'abonnés à son service numérique (et donc avoir plus de revenus en fin d'année !).
Ensuite, on remarquera que Quebecor prend bien soin de séparer les activités de TVA de celles de Vidéotron. Ce qui est sûrement vrai, techniquement parlant. Mais l'analyse de l'APFTQ est tout aussi représentative d'une perception générale voulant que, dans un grand empire intégré comme Quebecor, chacune des constituantes nourrit l'autre.
Si chaque entité fonctionne de façon aussi séparée, pourquoi alors a-t-on mis autant d'énergie à promouvoir Star Académie dans une stratégie promotionnelle utilisant tous les médias de Quebecor ?
Nouvelle répartition des droits
L'ensemble de l'industrie de la télévision répète depuis des mois qu'il faut réfléchir de toute urgence à une meilleure répartition des droits dans le nouvel univers numérique. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les parties en présence semblent avoir beaucoup de chemin à faire pour s'entendre.
Par ailleurs, pour ceux et celles qui doutent encore des bouleversements en cours dans le monde de la télévision, la journée Infopresse apportait une profusion de chiffres pour le démontrer.
Alain Desormiers, président de l'agence Touché, a calculé que l'auditoire des dix émissions les plus écoutées à la télévision québécoise a diminué de 25 % depuis dix ans.
Pierre Karl Péladeau a également apporté des chiffres éclairants. L'écoute des chaînes spécialisées et payantes au Québec représentait 13 % de l'écoute totale en 1998, expliquait-il. Elle atteint maintenant 33 % du total.
Non seulement les gros auditoires des émissions à succès sont en baisse, non seulement l'écoute des chaînes traditionnelles diminue, mais la distribution numérique, qui permet de créer encore plus de chaînes spécialisées et qui facilite les nouveaux services comme la vidéo sur demande, est en plein essor.
Ainsi, en 2004, 41 % de la distribution des émissions était numérique au Canada (câble et satellite) et 59 % analogique. Cette année le numérique représente 54 % du mode de distribution, et ce chiffre atteindra 67 % dans trois ans.
On compte déjà au Canada 1,6 million de clients de la vidéo sur demande (qui permet de regarder une émission non comptabilisée dans les chiffres d'écoute officiels) et le nombre de clients atteindrait 3,7 millions l'année prochaine.
Et on n'a même pas parlé encore de la télévision sur Internet et des émissions qu'on pourrait télécharger sur les appareils mobiles. La firme Jupiter Research évalue que, dans quatre ans, les revenus d'abonnement à la «télévision mobile» atteindront 7,6 milliards...
pcauchon@ledevoir.com