Le délateur des Hells recevra 2,9 millions
Brian Myles 23 avril 2009 Justice
L'appât du gain et la vengeance seraient les principales raisons ayant poussé l'ex-sergent d'armes des Hell's Angels de Sherbrooke, Sylvain Boulanger, à raconter tout ce qu'il savait sur l'implication généralisée du gang dans la guerre des motards. Des confidences à 2,9 millions de dollars qui ont mené au démantèlement quasi total de la bande au Québec.
Boulanger a pris sa retraite du crime organisé en 2001, mais, pour des raisons obscures, il a voulu réintégrer le giron des Hell's dans les années subséquentes. Quand l'organisation lui a claqué la porte au nez, il a communiqué avec les policiers en juin 2006. Ce serait donc par vengeance qu'il s'est mis à table, selon des informations de source judiciaire.
Son contrat de collaboration avec les autorités, signé le 21 septembre 2006, pourrait lui rapporter 2,9 millions de dollars à l'issue des procès découlant de l'opération sharQc. Boulanger a obtenu 300 000 $ à la signature et une somme additionnelle de 600 000 $ lors de la rafle du 15 avril, qui a visé 156 membres et associés des Hell's Angels. Il recevra 400 000 $ à tous les anniversaires de l'opération, pendant quatre ans, et un dernier versement de 400 000 $ à l'issue des procès. Total: 2,9 millions. À ce pactole s'ajoute un maigre cachet de 76 500 $ pour la durée de son travail sur le terrain, de juin 2006 à septembre 2007.
En échange de sa collaboration avec la justice, l'homme de 45 ans a obtenu l'assurance qu'aucune accusation ne sera portée contre lui.
Aucun repenti n'a touché autant d'argent dans l'histoire de la lutte contre le crime organisé au Québec. À titre de comparaison, l'agent-source Dany Kane (mort par suicide en 2000) avait signé un contrat de deux millions pour son travail d'infiltration des Rockers et des Nomads, l'escouade de guerre des Hell's Angels. Kane avait permis aux policiers d'enregistrer les «messes», ces fameuses réunions au cours desquelles les membres du gang discutaient de leur stratégie de guerre et du prix du kilo de cocaïne. Ces vidéos furent hautement incriminantes lors des mégaprocès qui ont résulté de l'opération effectuée au printemps 2001.
Le repenti Denis «Jim» Boivin, fondateur de la défunte Association des témoins spéciaux du Québec, juge acceptable le contrat de Boulanger, compte tenu des risques qu'il a courus pour faire tomber 111 des 113 Hell's Angels encore actifs au Québec. «Un contrat de 2,9 millions pour un gars qui a fait arrêter à peu près tous les Hell's de la province, je trouve ça très raisonnable. Surtout s'il a fait du "bodypack" [NDLR: porter un micro bavard]. Tu ne peux pas avoir plus dangereux que ça!», a-t-il commenté.
De longs aveux
Admis au sein des Hell's le 5 décembre 1993, Sylvain Boulanger a pris sa retraite «en bons termes» en 2001, après une carrière criminelle de sept ans.
Quatre autres membres des Hell's de Sherbrooke (Claude Berger, François Goupil, Gaétan David et Michel Grenier) avaient rétrocédé leurs «couleurs» en même temps que lui. Ils ont été arrêtés tous les quatre la semaine dernière.
Selon des informations de source judiciaire, Boulanger a enregistré au moins 23 déclarations dites «KGB» pour le bénéfice des enquêteurs, si ce n'est davantage. Le résumé de ses confidences fait 634 pages à lui seul.
Boulanger aurait permis aux autorités d'imputer à tous les membres des Hell's au Québec une responsabilité dans la guerre des motards, un conflit meurtrier pour le contrôle du trafic des stupéfiants. En juillet 1994, les membres des cinq succursales du gang à Montréal (Sorel), Longueuil, Sherbrooke, Québec et Trois-Rivières auraient voté en faveur de cette guerre contre les Rock Machines (devenus des Bandidos) et les revendeurs indépendants. En raison de cette adhésion commune au projet guerrier, soudée par un vote démocratique, des accusations de meurtre ont pu être portées contre 117 membres et associés du gang.
Par ailleurs, le nom d'un quatrième repenti a fait surface dans ce dossier, en plus de celui de Boulanger. Il s'agit d'Éric Archambault, un revendeur de drogue affilié aux défunts Jokers de Saint-Jean-sur-Richelieu (une filiale des Hell's). Archambault a notamment témoigné aux États-Unis au procès pour meurtre de Richard Vallée. Membre des Hell's, Vallée a été condamné à la prison à vie après avoir fait exploser la Porsche de Lee Carter, un informateur de police qui devait témoigner contre lui dans une affaire de trafic de drogue.
Martin Roy, un ex-membre des Evil Ones (une défunte filiale des Hell's sur la Rive-Sud), viendra aussi témoigner pour la Couronne. Contrairement à ce qu'a écrit Le Devoir la semaine dernière, Roy a commencé sa carrière d'agent-source dans le cadre du projet Ziploc, en 2004, et non dans le cadre du récent projet Axe. Enfin, les autorités comptent sur la collaboration d'Éric Blaquière, qui évoluait dans le giron des Rockers au début des années 90.
C'est vraiment révoltant.
