Cornellier: Faut-il croire aux miracles?
Louis Cornellier
L'Action.com
Publié le 6 Octobre 2010
Dans moins de deux semaines, à Rome, le frère André sera canonisé. Il deviendra ainsi le deuxième saint québécois, l’autre étant Marguerite d’Youville, élevée à ce statut en 1990. Pour de nombreux catholiques d’ici, le 17 octobre sera un grand jour de fête. Au Québec, toutefois, les célébrations entourant cet événement historique auront lieu le 30 octobre, alors qu’une messe se tiendra au Stade olympique.
Plusieurs Lanaudois seront sûrement de la fête. Le frère André, d’ailleurs, avait des amis dans la région. Dans sa biographie consacrée au célèbre personnage (Le frère André, éd. De l’Homme, 2010), l’historienne Micheline Lachance nous apprend, en effet, que, à l’été 1936, alors qu’il est vieux et malade, le petit frère passe un mois à Rawdon, en convalescence, chez son ami Joseph Pichette, qu’il aurait miraculeusement guéri en 1913.
Une enquête réalisée en 1937, dans les mois qui ont suivi sa mort, attribue au frère André 933 guérisons et 6700 faveurs obtenues. De son vivant, le thaumaturge – un mot savant qui signifie « faiseur de miracles » — ne chômait pas. Pendant des années, il a reçu des centaines de personnes par jour dans son bureau. Au Québec, mais aussi au Canada anglais, aux États-Unis et en Europe, sa réputation n’était plus à faire. Lachance mentionne même que les gens téléphonaient à l’Oratoire Saint-Joseph pour savoir à quelle heure les miracles se faisaient.
Aujourd’hui, cette atmosphère superstitieuse peut faire sourire. Quand nous sommes malades, nous préférons nous fier à la science médicale plutôt qu’à Saint-Joseph, encore qu’il y a bon nombre de Québécois qui continuent de s’en remettre à des charlatans pour guérir, mais ces derniers ne se réclament plus du catholicisme. Pour la majorité d’entre nous, donc, les guérisons miraculeuses du frère André appartiennent à un sympathique folklore.
Or l’Église, pour canoniser quelqu’un, continue d’imposer le critère du miracle survenu après la mort de cette personne. Cette règle, chez les catholiques, ne fait pas l’unanimité. Le Vatican, d’ailleurs, est plutôt méfiant à l’égard de la magie. Aussi, avant de reconnaître un miracle, les autorités ecclésiastiques procèdent à une minutieuse enquête scientifique.
Dans le dossier du frère André, deux guérisons miraculeuses ont été retenues. Celle de Joseph Audino, un Américain souffrant d’un cancer généralisé et qui a obtenu une inexplicable guérison complète, en 1958, après avoir prié Saint-Joseph, et celle d’un enfant de dix ans, dont la famille veut préserver l’anonymat, miraculeusement sorti d’un coma « irréversible », en 1990, alors qu’un membre de sa famille priait à l’Oratoire. La science, dans les deux cas, reconnaît les guérisons et n’a pas d’explication.
Faut-il, devant l’inexplicable, se résoudre à croire aux miracles? Un reportage de Marie-Pier Elie, paru dans le numéro d’octobre 2010 du magazine Québec Science, se penche sur la question. Le sociologue français Gérald Bronner évoque la loi des grands nombres en guise d’explication. « Le miraculeux, dit-il, devient la norme quand on évalue des millions de cas. » Il compare les miracles de Lourdes, en France, aux guérisons inexplicables survenues en milieu hospitalier. Des millions de pèlerins fréquentent Lourdes chaque année, « mais seulement 67 guérisons miraculeuses y ont été officialisées par le Vatican en 150 ans », constate-t-il. Pendant la même période, 1500 cas de rémissions spontanées ont été répertoriés en milieu hospitalier. Des « miracles » ont donc bel et bien lieu, mais peut-on vraiment les attribuer aux saints?
Les scientifiques consultés par Québec Science ne nient donc pas l’existence de ces rémissions spontanées (environ 1 cas sur 100 000) et identifient le système immunitaire comme suspect numéro un. Ce dernier recèle encore des mystères que la science cherche à élucider. À ses étudiants nouvellement diplômés en médecine, l’hématologue Claude Perreault, qui n’a jamais été témoin d’un miracle, fait une mise en garde. « Cinquante pour cent des choses que vous avez apprises sont fausses, leur dit-il. Mais vous ne savez pas quelle moitié, parce que ce ne sera démontré que dans plusieurs années. »
En attendant, il n’y a pas de mal à croire aux miracles, si on prend aussi un rendez-vous chez le médecin.
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