Charest, Rizzuto, Desmarais
Les tentacules de la Mafia
La tenue d’une enquête est devenue une urgence nationale
Richard Le Hir
Tribune libre de Vigile
samedi 13 novembre 2010
Lors que j’ai pris connaissance de l’assassinat de Nick Rizzuto, je venais tout juste de déposer le livre intitulé Mafia Inc, d’André Cédilot et André Noël, tous deux journalistes de La Presse, pour regarder le bulletin de nouvelles de RDI. Il est toujours surprenant de voir en direct à la télé la suite de ce qu’on est en train de lire dans un livre !
Je n’épiloguerai pas sur le fait que l’ouvrage des deux journalistes de La Presse est publié aux Éditions de l’Homme, une filiale de Québécor avec qui l’empire Power est ouvertement en guerre comme je le soulignais dans un article récent intitulé « C’est la guerre ! »
http://www.vigile.net/C-est-la-guerre" onclick="window.open(this.href);return false; , et comme le confirme aujourd’hui un article de Sophie Cousineau dans Cyberpresse
http://blogues.cyberpresse.ca/lapre" onclick="window.open(this.href);return false;… . Il y a de ces mystères qui nous échappent.
L’ouvrage de MM. Cédilot et Noël est richement documenté, et à la lecture on devine qu’ils ont eu un accès privilégié aux autorités policières, notamment à la GRC. Ce sont ces mêmes sources qui ont servi à documenter la première partie du reportage diffusé dans le cadre de l’émission Enquête à Radio-Canada jeudi soir. Je ne saurais trop recommander à ceux qui ne l’ont pas vue de la regarder. C’était, et ça demeure, stupéfiant, surtout lorsqu’on prend conscience de l’ampleur du phénomène mafieux et de ses tentacules.
À cet égard, les auteurs de Mafia Inc citent par son nom un agent de la GRC qui déclare que les profits engrangés par la mafia sont colossaux, et que tout cet argent qui échappe au fisc peut même expliquer une bonne partie des déficits de nos gouvernements ! Oui, vous avez bien lu, une bonne partie des déficits de nos gouvernements. Ce qui veut donc dire que si le Gouvernement du Québec n’a plus d’argent pour financer la santé, l’éducation, la culture, etc., c’est en bonne partie à cause de la mafia ! C’est gros, très, très gros !
Il a, par contre, assez d’argent pour construire des routes et divers autres projets, mais cet argent, on le sait, sert aussi à financer la mafia, comme l’illustre l’épisode des « Fabulous Fourteen ». Cherchez l’erreur.
En Italie, une commission parlementaire s’est penchée sur la question (Tiens ! Une commission d’enquête publique…) de 2006 à 2008 sous la présidence de Francesco Forgione, comme le relate aujourd’hui La Presse, toujours sous la signature d’André Noël.
http://www.cyberpresse.ca/actualite" onclick="window.open(this.href);return false;… .
Voici ce que dit M. Forgione :
La corruption et la criminalité représentent les questions les plus graves de l’actuel modèle économique et social. La corruption et les mafias sont responsables d’un coût social qui est de moins en moins supportable pour le monde : elles gaspillent les ressources, détruisent et polluent l’environnement, violent les droits de l’homme, compromettent la démocratie.
L’histoire nous enseigne que la politique peut et doit exister sans la mafia, mais que les mafias ne peuvent exister sans le concours et la collusion de la politique. C’est la leçon tirée d’un siècle et demi d’histoire de l’Italie, et qui vaut pour le monde entier.
Sans la protection de la politique et des institutions, sans les services rendus par certains réseaux de la bonne société, les mafieux seraient simplement restés des criminels, dangereux, mais ordinaires. Aujourd’hui, ils se retrouvent parmi les acteurs les plus modernes et les plus dynamiques de la finance et de l’économie globale.
Nous avons appris à comprendre que, comme tous les phénomènes humains, les mafias ont eu un début et peuvent avoir une fin. Pour y parvenir, il faut un engagement et une responsabilité collectifs.
Ces propos confirment d’ailleurs ceux d’un groupe d’analystes de nos divers corps policiers qui écrivaient déjà en 1995, dans un rapport interne intitulé « Le Canada est-il à l’abri du crime organisé ? » et cité dans l’ouvrage de Cédilot et Noël, aux pages 194 et 195 :
Nous sommes particulièrement inquiets de voir se reproduire au Canada le modèle italien où la mafia a complètement pris le contrôle du Parti démocrate chrétien, en investissant dans sa caisse électorale notamment. Au Canada, certaines décisions prises par les différents niveaux de gouvernement démontrent clairement que ceux qui contribuent aux caisses électorales des partis sont favorisés…
… Nous sommes également persuadés que certains hommes d’affaires chargés de gérer ces activités exercent une influence indue sur nos gouvernements, mettant ainsi en péril les fondements de notre démocratie.
Voilà les conclusions auxquelles en étaient parvenues dès 1995 « des sources généralement bien informées », si bien informées d’ailleurs qu’elles sont assises sur des tonnes de preuves qui, si elles ne rencontrent pas les exigences de la preuve hors de toute doute raisonnable requises pour emporter une condamnation, n’en nous donnent pas moins de solides indications sur ce qui se trame.
Or, sans ces indications, nous sommes aveugles, et cette cécité sert merveilleusement bien les intérêts de ceux qui en profitent pour s’enrichir à nos dépens, en nous privant de plus en plus de l’essentiel que représentent la santé et l’éducation, entre autres.
C’est pourquoi le refus de Jean Charest de déclencher une enquête publique revêt désormais un caractère quasi-criminel, car il favorise les activités de ceux qui nous spolient, alors que son mandat en tant que premier ministre est justement de veiller à la défense et à la promotion de nos intérêts collectifs.
Chose certaine, cette enquête aura lieu, qu’il le veuille ou non. L’émission Enquête a bien pris soin de nous annoncer que d’autres épisodes de cette saga seront diffusés prochainement. Par ailleurs, les documents rendus publics par les divers corps policiers concernés nous montrent que ceux-ci sont désormais prêts à intervenir directement dans le débat politique pour faire pencher la balance dans le sens où ils estiment qu’il doit aller. Si dans les circonstances actuelles leur intervention est la bienvenue, il faut tout de même s’inquiéter du précédent que cela constitue. Il ne faudrait surtout pas que ça devienne une habitude.
Cela dit, on voit désormais que le cauchemar de Charest ne s’en ira pas. Il va même continuer à s’amplifier, et plus Charest repoussera cette échéance désormais inévitable, plus il se trouvera lié à la mafia. La culpabilité par association, vous connaissez ?
Ce qui nous amène maintenant à nous interroger sur la motivation de l’empire Desmarais dans toute cette affaire car, comme je le soulignais tout récemment dans un article intitulé « Desmarais lâche ses pit-bulls contre Charest »
http://www.vigile.net/Desmarais-lac" onclick="window.open(this.href);return false;… , non seulement Charest ne livre pas la marchandise, mais il est maintenant obligé de s’en distancer le plus rapidement possible pour ne pas être éclaboussé par toutes les révélations qui s’en viennent et dont Desmarais est parfaitement au courant, vu ses liens d’employeur avec les journalistes Cédilot et Noël qui travaillent depuis des années sur des dossiers d’enquête portant sur la mafia.
Mafia Inc nous livre à cet égard quelques clés intéressantes en revenant sur les rumeurs de liens entre le riche industriel du fromage, Lino Saputo, et la mafia, alimentés par des enquêtes du FBI sur le parrain New-Yorkais Joe Bonnanno au début des années 1970, et sur la présence de Lino Saputo aux funérailles du mafioso Joe LoPresti, abattu dans des circonstances mystérieuses. La Presse avait également fait allusion à des articles parus dans des magazines d’information influents en Italie qui faisaient état d’écoutes électroniques du clan Rizzuto où un membre de ce clan évoquait les liens de celui-ci avec Saputo.
Suite à la parution de l’article dans La Presse, Saputo avait intenté une poursuite en libelle diffamatoire contre La Presse, poursuite qui s’est réglée « à l’amiable » près de deux ans plus tard, à des conditions que les parties ont gardé confidentielles. On ne sait donc pas ce qui a été gagné ou perdu dans cette affaire, et par qui. Ce qu’on sait en revanche, c’est que les intérêts Saputo étaient représentés par Me Lucien Bouchard qui siégeait également alors au conseil d’administration de la société Saputo.
Et là, l’affaire se complique. La mort de Nick Rizzuto cette semaine m’a rappelé que le nom de celui-ci avait été également associé à celui de Paul Desmarais dans prétendu complot autour des événements du 11 septembre. Tous les Vigiles ont eu vent de cette affaire dans un article de Sylvain Racine intitulé « Et voilà pourquoi Gesca veut garder le silence sur le 11 septembre 2001 ».
L’article s’accompagne d’un lien vers un documentaire vidéo qui allègue l’existence aux États-Unis d’un complot dans lequel aurait trempé le clan Rizzuto pour cacher la véritable nature des faits survenus le 11 septembre. Il y a également un autre lien vers le dossier d’une poursuite entreprise aux États-Unis dans le cadre de ces mêmes faits contre toute une pléiade de gens bien connus chez nous parmi lesquels on retrouve Paul Desmarais Sr et les anciens premiers ministres Paul Martin, Brian Mulroney, Frank McKenna et les anciens ministres Alfonso Gagliano et Pierre Pettigrew, entre autres.
Comme je l’ai tout de suite signalé dans un commentaire sur l’article de Sylvain Racine, cette affaire n’est peut-être qu’un coup monté et doit être traitée avec la plus grande circonspection :
Effectivement, cette vidéo est très troublante, et elle vient rajouter des éléments de preuve qui rendent encore plus nécessaire la tenue d’une enquête publique sur les événements du 11 septembre. Il n’y a pas de doute que les autorités ont menti quant à la vraie nature des événements survenus et aux responsabilités en jeu.
Le lien avec Power Corp. est plus délicat à établir car l’information que vous citez ne précise pas la relation qui pourrait exister entre les événements du 11 septembre et cette entreprise que nous connaissons bien et toute une cohorte de protagonistes de chez nous dans des rôles secondaires, y compris la mafia italienne locale en la personne de Vito Rizutto.
Je suis aussi surpris d’entendre le narrateur du film prononcer Québec à la française et non « Kwibek » comme le font tous les américains que je connais. L’apparition en cours de route du sigle de la francophonie est également assez étrange. Comme si l’on cherchait à établir un lien quelconque.
Il n’y a pas de doute que plusieurs éléments de cette histoire gagneraient à être éclaircis, mais il est encore beaucoup trop tôt pour tirer ne serait-ce qu’un début de conclusion sur la participation de Power Corp ou des Desmarais à cette affaire. Il est toutefois très étrange que quelqu’un cherche à les y associer de façon aussi caractérisée. En soi, cela constitue une affaire qui mérite enquête.
Et si tout cela n’est pas vrai, dans quel cerveau tordu a bien pu germer un tel scénario malgré tout assez élaboré pour avoir à tout le moins des apparences de vraisemblance ? Les Desmarais ont-ils tant d’ennemis ? Pourquoi ?
Je suis revenu sur cette affaire dans un texte récent intitulé « Le cas Desmarais »
http://www.vigile.net/Le-cas-Desmarais" onclick="window.open(this.href);return false;, après avoir trouvé d’autres éléments troublants (les liens apparaissent dans l’article) dont je suis incapable de dire s’ils sont vrais ou faux. Quoiqu’il en soit, ils existent, et ce fait est déjà grave en soi. « [S’ils] sont partiellement ou entièrement vrais, on est devant une affaire d’État dont les faits doivent êtres présentés à la population, qui doit faire l’objet d’une enquête publique, et dont les conclusions doivent aussi être publiques. [S’ils] ne sont pas vrais, la question se pose tout de même de savoir qui est capable d’élaborer un scénario aussi sophistiqué, et dans quel but. Un but qui dépasse nécessairement le cadre du simple canular. S’agit-il de salissage, d’intimidation, d’extorsion… ou de quoi encore ? »
Voilà un autre motif de demander une enquête publique sur la mafia, vu les liens qu’on a cherché à établir entre celle-ci (via le clan Rizzuto) et Paul Desmarais. Chose certaine, ça aide à comprendre la motivation de La Presse, et ça nous donne une indication de l’ampleur des choses que pourrait nous apprendre une enquête, et de ce qu’on cherche à nous cacher.
http://www.vigile.net/Les-tentacules-de-la-Mafia#" onclick="window.open(this.href);return false;