L'information: des changements profonds à apporter
30 décembre 2010
Raymond Corriveau - Professeur de communication sociale à l'Université du Québec à Trois-Rivières, l'auteur a oeuvré au Conseil de presse 12 ans et en a été le président pendant 5 ans
Il faut arrêter de discuter de l’information selon la perspective des journalistes ou des entreprises de presse, il faut rendre l’information disponible aux citoyens partout sur le territoire.
Les révélations publiques d'anciens journalistes de Quebecor au récent congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, les accusations de Robin Philpot, la réplique de la FPJQ, la réflexion pertinente de Marc-François Bernier et la réfutation acerbe du représentant de Quebecor, les déclarations de la présidence de Radio-Canada, bref toutes ces prises de parole du dernier mois donnent un mince aperçu des malaises profonds qui agitent le monde des médias au Québec.
Il est toutefois plus troublant de voir que ces carences sont installées depuis fort longtemps. Il faut se souvenir des avertissements de Claude Ryan qui, dès 1967, demandait une commission parlementaire sur la concentration des médias; se souvenir aussi de la crise qui a secoué le Conseil de presse en 1991; se souvenir des inquiétudes sur la concentration de la presse émises par Jacques Parizeau en 1995; se rappeler les multiples commissions ou comités et les divers rapports dénonçant tous la trop grande concentration des médias.
Aujourd'hui, les pires des craintes ne sont plus spéculatives, elles sont devenues des constats. Il est temps d'arrêter de prétexter que l'on produit de l'information pour la population et de plutôt s'installer dans une posture authentique où l'information se dessine dans une perspective citoyenne.
Premiers jalons
La tournée du Conseil de presse en 2008 avait tracé les premiers jalons d'une telle avenue en donnant, pour la première fois, la parole aux citoyens sur l'état de l'information au Québec.
Mais, très rapidement, les entreprises de presse, même les plus ennemies d'entre elles, se sont fédérées pour étouffer, le plus rapidement possible, la nouvelle perspective: l'information comme lien social et non comme marchandise; l'information pour tous et non l'information là où le marché le dicte; l'information des nuances comme des particularités et non l'information de l'uniformisation; l'information de l'intelligence territoriale et non l'information de la grande distribution; l'information comme outil de développement et non comme instrument de sape des institutions; l'information comme facteur d'émancipation et non comme arme de règlement de comptes, et aussi bien sûr l'information faite par des journalistes et non par des photocopieurs intelligents devenus hommes-orchestres.
Rendre l'information disponible
L'information ne doit pas laisser sa place à des diktats démesurés de rentabilité et aux logiques marchandes conséquentes. La volonté de changement pour une information «durable» s'était manifestée lors de la tournée du Conseil de presse, d'une région à l'autre, d'un acteur de développement à l'autre. Pourtant, et c'est là le pire, l'information devrait pouvoir nous aider à prendre les meilleures décisions dans notre propre vie, tout comme dans l'articulation de notre devenir collectif. Avec de la mauvaise information, nous ne prendrons que de mauvaises décisions.
Il faut arrêter de discuter de l'information selon la perspective des journalistes ou des entreprises de presse, il faut rendre l'information disponible aux citoyens partout sur le territoire. Dire cela n'est pas diminuer l'excellent travail que la presse indépendante réussit à faire et encore moins négliger les esprits indépendants qui réussissent à travailler dans la presse commerciale. Dire cela, c'est dire que ce n'est plus suffisant.
La difficulté est qu'en n'intervenant pas, les politiciens ont créé leur propre maître. L'exemple du traitement médiatique du budget Bachand est très évocateur. Les politiciens y pensent à deux fois avant de prendre des mesures, si infimes soient-elles, qui grignotent le pouvoir des médias. Les entreprises de presse ne réclament ni plus ni moins qu'un statut «hors société», sans règlement ni contrainte, sous prétexte de ne pas se voir corrompues par quelque forme de présence gouvernementale. Le marionnettiste évoque le fantôme pour mieux tirer les ficelles.
Il n'y a pas de statut «hors société» et les balises que nous ne mettons pas collectivement à ces entreprises leur permettront des excès et un abus de pouvoir médiatique.
Les réponses possibles
Lorsque des gens non élus en viennent à influer, par leur simple pouvoir médiatique, la gouvernance de l'État, la démocratie ne devient qu'un pavillon de complaisance . Pourtant, les réponses existent, il suffit d'en regarder quelques-unes, en ayant à l'esprit la distinction entre les différents pouvoirs qui balisent la vie en société.
Il faut d'abord constituer une instance d'arbitrage valable. L'autoréglementation aurait pu fonctionner, mais après plus de 35 ans d'existence, force est de constater que les entreprises de
presse ne l'ont pas voulu
Il faut donc se débarrasser de la précarité financière du Conseil de presse et constituer un tribunal administratif . Les journalistes ne sont pas des électrons libres et la force gravitationnelle des entreprises de presse ne leur donne pas la marge de manoeuvre nécessaire à une protection réelle du public, et ce, surtout dans une concentration excessive des médias. Pour protéger les citoyens et redonner une vraie autonomie à la profession, la création d'un ordre professionnel devient une urgence.
Dans le cas contraire, la pratique journalistique finira par se dessiner à coups de hache provenant de jugements de cour. Rien de très respectueux des particularités d'une profession et rien qui risque d'être toujours cohérent. Mais le public prendra la protection là où il la trouve.
L'accessibilité à l'information partout sur le territoire demeure aussi un dossier critique et, dans ce cas, il faut repenser le rôle de l'État.
Collectivement, nous pourrions décider que la vie citoyenne ne relève pas que du marché de l'information puisque le citoyen de Rimouski paie aussi des impôts et mérite la même qualité d'information locale, régionale, nationale et internationale que celui de Westmount. Commission parlementaire, états généraux, etc., peu importe la formule, nous avons en main des outils formidables qu'il faut mettre à la disposition des citoyens.
À cet égard, Internet haute vitesse est une condition technologique essentielle, tout comme le fut l'électrification du territoire. Agence de presse régionale, ajout de services à Télé-Québec, maillage avec le milieu communautaire, bref nous avons des ressources, il faut les coordonner. Rien de cela ne brime la liberté de presse.
Toutes ces solutions ne peuvent exister que si nous pouvons les entendre et en débattre dans des conditions de parole respectueuses et équitables. Mais si les entreprises de presse ne le veulent pas, le contrôle de l'ordre du jour qu'elles exercent sur la parole dans l'espace public enterrera, encore une fois, les voix du changement dans le tapage des discours d'intérêts. La question de la pluralité des voix se fait à nouveau sentir.
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Très très intéressant comme article, surtout quand on tient compte du passé de l'auteur. je ne crois pas par exemple que les autres journalistes la reprennent et en discutent publiquement.............dommage....
