Québec doit dire non à Barrette
par Carole Beaulieu
18 Février 2010
Le gouvernement Charest doit résister aux tactiques d’intimidation des médecins spécialistes. Avant de mettre une cerise de plus sur le gâteau des professionnels les plus choyés du réseau de la santé, l’État québécois doit répondre au besoin le plus pressant de la population :
un médecin de famille pour chaque Québécois !
Le gouvernement doit améliorer la collaboration entre tous les professionnels du réseau, donner une plus grande place aux infirmières spécialisées, encourager les travailleurs qui agissent en première ligne. Bref, garder le cap sur ses promesses électorales !
Les médecins spécialistes - la « deuxième ligne », comme on dit dans le jargon - sont bien rémunérés. Ce cycle de négociations n'est pas le leur. Et la guerre qu'ils mènent contre le gouvernement, à grand renfort de coûteuses publicités télévisées, leur vaudra une image déplorable d'enfants gâtés avides et égoïstes. Quels travailleurs peuvent, comme eux, se vanter d'avoir un trésor de guerre de 40 millions pour faire connaître leurs revendications ?
Les « menaces » - exode des médecins, listes d'attente - qu'agite le président de leur fédération, Gaétan Barrette, sont des Bonhomme Sept-Heures d'un autre âge, qu'on ne doit pas craindre en 2010.
Les listes d'attente ont été résorbées. Au Québec, un patient est traité pour un cancer en moins de quatre semaines. Dans presque toutes les spécialités, 93 % des malades sont pris en charge en moins de six mois.
L'exode, réel il y a cinq ou six ans, est aujourd'hui un mythe.
À peine six médecins ont quitté le Québec l'an dernier pour d'autres provinces canadiennes. Plus de médecins « d'ailleurs » viennent aujourd'hui au Québec que ne partent de médecins québécois. La mauvaise situation économique aux États-Unis n'est pas de nature à encourager l'émigration chez le grand voisin. Le reste du Canada n'est pas si attirant que ça non plus, sauf pour des non-Québécois qui rentrent « chez eux » afin de pratiquer. (Les diplômés de McGill sont d'ailleurs la source principale des « migrations ». À peine un diplômé sur deux de McGill travaille au Québec, contre 95 % des diplômés de l'Université de Montréal.)
La rémunération n'est pas le seul facteur pris en compte par un médecin au moment de choisir son lieu de pratique. Sa famille, sa langue, son milieu comptent. La possibilité de conjuguer pratique et recherche est importante, surtout chez les spécialistes. En ce domaine, le Québec fait partie du peloton de tête au Canada. Bien des spécialistes le reconnaissent, en privé, quand ils ne craignent pas de nuire à la croisade que mène leur président.
Le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), Gaétan Barrette, détient un pouvoir important : l'argent. Ce n'est pas le gouvernement québécois qui décide de la façon dont l'enveloppe salariale des 35 associations de spécialistes est distribuée. C'est leur « syndicat », la FMSQ, et son habile président.
Comprenons-nous bien. Gaétan Barrette est convaincu qu'il travaille pour le plus grand bien de toute la société québécoise. Sous ses allures de Gengis Khan se cache Richard Cœur de Lion. Son engagement en faveur du service public ne fait pas de doute. Mais dans cette campagne axée sur l'argent, les spécialistes jouent avec le feu. La population pourrait voir en eux des gloutons cupides, plus préoccupés de leur portefeuille que de l'organisation des soins.
Ce sont pourtant les efforts de tout le réseau, tout comme les progrès technologiques, qui ont permis récemment à des spécialistes de s'enrichir.
Des hôpitaux ont doublé le nombre d'opérations quotidiennes des cataractes - et donc doublé les revenus des ophtalmos ! - en travaillant en plus étroite collaboration avec les préposés et en installant des repères pour placer rapidement les civières des patients au bon endroit.
L
es progrès technologiques qui permettent aux radiologistes de recevoir par Internet des radios numérisées - où qu'ils soient, à leur bureau ou dans une villa du Mexique - ont permis à ces spécialistes d'augmenter leur productivité et leurs revenus. Cela contribue notamment au fait que Gaétan Barrette, radiologiste, soit le premier président de la FMSQ à exercer son métier tout en faisant du militantisme.
Plus de 200 radiologistes ont facturé en moyenne cette année à la RAMQ pour trois quarts de million chacun. Une personne a facturé pour deux millions. La RAMQ ne vous confirmera pas ce dernier chiffre, invoquant la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il n'en est pas moins vrai. C'est une exception, certes. Mais ce service rendu à la société mérite-t-il vraiment une rémunération équivalente à celles du premier ministre du Canada et des premiers ministres de toutes les provinces canadiennes réunies ?
La surenchère doit cesser.
Certains spécialistes (notamment des orthopédistes) ont profité des augmentations arrachées lors des dernières négociations pour « ralentir » la cadence.
Ils ont parfois profité de ce temps libre pour témoigner comme experts, à 2 000 dollars la journée, dans des procès. Ce sont des exceptions, bien sûr. Mais les spécialistes devront faire gaffe à la perception qu'on a d'eux. La population veut croire que la très grande majorité sont des professionnels dévoués, qui ne ménagent ni leur temps ni leurs efforts pour soigner leurs patients et qui comprennent la situation financière difficile de l'État québécois.
Ces spécialistes sont-ils si mal payés que l'État doive, comme le suggère la FMSQ dans ses publicités télévisées, exporter l'eau douce, taxer la malbouffe, augmenter le prix de l'électricité pour les grandes entreprises ?
La médecine n'est pas un marché libre en ce pays, même si les médecins sont des travailleurs autonomes. La médecine est un monopole bien encadré par l'État. Ne devient pas médecin qui veut. Le Collège des médecins et les facultés de médecine contrôlent l'offre. Si l'accès à la profession était moins contingenté, si le nombre de médecins explosait sans que soit modifié le régime de rémunération à l'acte, le budget de l'État ne suffirait plus. Les médecins doivent être partenaires du réseau. Pas un État dans l'État.
En privé, Gaétan Barrette ne se gêne pas pour dire que sa profession se « féminise » et que la présence des femmes, « n'aimant pas la bagarre », fait que ce cycle de négociations est la dernière chance des médecins de faire des gains.
Il devrait se méfier un peu plus de la capacité de Monique Gagnon-Tremblay, au Trésor, de manier la scie à chaîne aussi bien que le fer à friser.
Les spécialistes ont beau être des Wayne Gretzky de la médecine, ils devraient se rappeler que les succès du hockeyeur venaient non seulement de son coup de patin, mais aussi du respect, réel et profond, qu'il avait pour ses ailiers et ses défenseurs. Qui le lui rendaient bien en lui passant la rondelle.
Oui, les spécialistes sauvent des vies. Mais ils sont aussi un engrenage dans un grand réseau. Dans ces négociations, les médecins spécialistes ont perdu de vue l'équipe. Pour toutes ces raisons, Québec doit leur dire non.
Mal payés, les spécialistes ?
Trouver la vérité dans la guerre des chiffres que le président de la FMSQ mène contre le gouvernement semble parfois aussi ardu que de s'y retrouver dans le charabia mal traduit du guide de mise en route d'un appareil électronique.
Au Canada, la rémunération des médecins est si complexe - rémunération à l'acte, indemnités quotidiennes, forfaits pour tâches supplémentaires, etc. - qu'on peut faire dire aux chiffres presque n'importe quoi. Et c'est sans compter les particularités de chaque province.
En 2010, l'État québécois consacrera 26,9 milliards de dollars à la santé et aux services sociaux (5,6 aux services sociaux). C'est 44,8 % du budget total de la province !
De cette somme, 15 milliards seront versés en rémunération.
Les 8 000 spécialistes à eux seuls recevront 3,3 milliards, soit deux fois plus que les 7 940 omnipraticiens (1,7 milliard). Les quelque 242 000 autres travailleurs de la santé se partageront les 10 milliards restants.
Au Québec, la rémunération « moyenne » des spécialistes, en mars 2008, était de 277 000 dollars, selon la FMSQ. Mais ces chiffres sont trompeurs, parce qu'ils comprennent les salaires des médecins travaillant à temps partiel et des semi-retraités, qui effectuent (et facturent) à peine quelques actes médicaux !
La rémunération moyenne des médecins dits « actifs » (80 % du corps médical) s'élevait plutôt, en 2007, à 295 000 dollars, selon la Régie de l'assurance maladie (RAMQ). Les augmentations accordées par l'État ces dernières années ont toutefois fait bondir cette moyenne. Selon une projection établie par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), la rémunération moyenne brute des spécialistes « actifs » s'élevait à 358 000 dollars en 2009. Par comparaison, les omnipraticiens « actifs » ont touché 230 000 dollars cette même année.
Un revenu « brut », rappelons-le. Spécialistes comme omnipraticiens doivent payer leurs frais de pratique en cabinet. Ils ne bénéficient pas de fonds de pension public - même si certains en rêvent - et il faut donc déduire ces dépenses de leurs revenus.
L'écart entre les généralistes et les spécialistes du Québec dépasserait donc les 55 %, selon la FMOQ (contre 38,5 % en 1998 et à peine 20,5 % en 1975). C'est trop. Il faut réduire l'écart.
En date du 9 février, la FMSQ n'avait pas encore déposé « officiellement » ses demandes. Visiblement, elle testait la température de l'eau en laissant filtrer dans les médias des demandes de 4 % à 6 %. Même l'opposition péquiste la lui a donnée. L'eau est froide.
Glaciale, même.
Écart de rémunération entre les généralistes et les spécialistes
En 1975 : 20,5 %
En 1998 : 38,5 %
En 2009 : 55 %
Rémunération en 2010 Des 8 000 spécialistes : 3,3 milliards
Des 7 940 omnipraticiens : 1,7 milliard
Des 242 000 autres travailleurs de la santé : 10 milliards
Rémunération moyenne des SPÉCIALISTES dits « actifs »
En 2007 : 295 000 dollars
En 2009 : 358 000 dollars
Celle des omnipraticiens « actifs »
En 2009 : 230 000 dollars
Lien:
http://www.lactualite.com/societe/carol ... e?page=0,0" onclick="window.open(this.href);return false;