Julie Snyder se sentait comme «la conjointe d’un mafieux»
Écrit par David Santerre
Vendredi, 12 novembre 2010 14:11
Mise à jour le Vendredi, 12 novembre 2010 22:54
Jean Neveu, que l’on voit ici à la droite de Pierre Karl Péladeau et Julie Snyder, a craint de voir Quebecor perdre de l’argent à cause des propos de Sylvain Lafrance. Photo Hugo-Sébastien Aubert
Pierre Karl Péladeau a éprouvé de la «honte» après s’être fait comparer à un voyou par le vice-président de Radio-Canada, Sylvain Lafrance. Sa conjointe, Julie Snyder, a quant à elle expliqué que cette insulte revenait à dire qu’elle était «la conjointe d’un mafioso».
Après le témoignage du grand manitou de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, à qui l’avocate de Radio-Canada, Me Julie Chenette, a décidé de ne pas poser de question, versant plutôt au dossier la transcription d’un interrogatoire hors cour de M. Péladeau, la conjointe de celui-ci s’est amenée à la barre.
Elle a raconté comment les propos rapportés dans le quotidien Le Devoir du 31 janvier 2007, voulant que Sylvain Lafrance ait dit de Péladeau qu’il «se promenait comme un voyou» – des propos répétés le jour même dans des émissions de radio et de télé de Radio-Canada – avaient miné l’humeur de la famille Péladeau-Snyder.
Lafrance avait tenu ces propos après que Quebecor eut décidé de cesser ses versements au Fonds canadien de la télévision, au motif qu’il servait à financer la télévision publique et son compétiteur, Radio-Canada.
Vie difficile
Après avoir énuméré les nombreuses émissions qu’elle a animées et les personnalités internationales qu’elle a interviewées, Mme Snyder a décrit sa rencontre avec Pierre Karl Péladeau, qu’elle a commencé à fréquenter en 2000 alors qu’elle animait une émission hebdomadaire sur les ondes de France2.
«Pierre Karl prenait le vol du soir d’Air France le samedi pour venir me voir à Paris et repartait le dimanche à Montréal. C’était un amour à distance», a-t-elle raconté.
Puis elle a parlé de ses qualités de conjoint et de père, puisqu’ils ont eu deux enfants ensemble.
«Il travaille énormément, il est complètement dédié à son travail. Et malgré tout, il est un père exemplaire et un conjoint extrêmement présent. Il vient à toutes les émissions que j’anime, dans les coulisses, avec une casquette pour qu’on ne le reconnaisse pas. Les gens pensent qu’il est le gars qui donne des bouteilles d’eau aux artistes», a-t-elle ajouté, indiquant que si la croyance populaire veut qu’il ait été élevé avec une cuiller d’argent dans la bouche, il en est tout autrement dans la réalité.
«Personne ne lui a tenu la cuiller. Il a grandi dans une famille où ça n’était pas facile. Il est très bon de reproduire dans notre famille un modèle qu’il n’a pas connu. Son père n’était pas là, et il ne lui en veut pas. Puis, sa mère s’est suicidée. (…) Il a souffert beaucoup», a poursuivi la frêle femme avec émotion.
Voyou = mœurs crapuleuses et débauche
«Quand j’ai lu l’article dans Le Devoir, je ne le croyais pas. J’ai lu, lu, et relu l’article en me disant que ce n’était pas possible», s’est-elle rappelé.
Puis, elle a cru que M. Lafrance avait peut-être été mal cité par l’auteur de l’article, Paul Cauchon. Et c’est en croyant que c’est ce que le vice-président de Radio-Canada allait confirmer en ondes qu’elle a écouté plus tard le même jour l’entrevue qu’il accordait à Pierre Maisonneuve sur les ondes de la radio de Radio-Canada.
Mais Lafrance y a répété ses propos.
«Quand il a dit qu’en plus il avait mesuré ses propos, j’ai été estomaquée. Qu’il dise je trouve ça déplorable, la décision de Quebecor, j’aurais compris. Mais voyou, je n’en reviens pas!»
Puis, M. Lafrance en a remis plus tard à l’émission de télé de Simon Durivage et à la radio avec Michel Désautels.
«Il remaintenait ses propos. Bing, bing, bing! Ce n’est pas un blogueur ou un animateur de radio poubelle, c’est le vice-président de Radio-Canada», a-t-elle encore déploré avec émotion.
À l’émission de Désautels, l’animateur a fait comme Mme Snyder dit l’avoir également fait le jour même, il a mentionné la définition de voyou selon le dictionnaire.
Dictionnaire
«Le dictionnaire dit de voyou qu’il est un individu aux mœurs crapuleuses, qui vit dans la débauche, qui vient du milieu», a-t-elle récité.
«C’est quoi? je suis la conjointe d’un mafioso?» a-t-elle demandé, indignée, devant le juge de la Cour supérieure Claude Larouche, qui s’est montré compréhensif et ce, malgré les objections de l’avocate de Radio-Canada, qui disait que Julie Snyder, n’étant pas demanderesse dans cette cause, n’avait pas à prouver qu’elle avait subi un dommage.
«Elle explique les circonstances de ce qui s’est passé chez eux. C’est une question de crédibilité et il ne faut pas négliger ça», a expliqué le juge.
Elle dit que quand «Pierre Karl» est rentré à la maison le 31 janvier, il se sentait «honteux». Surtout que Jim Shaw, du câblodistributeur Shaw, dans l’ouest du pays, qui avait pris la même décision que Quebecor au sujet du Fonds, n’avait pas reçu pareil traitement.
«Pour notre famille, ça crée des dommages. Pierre Karl a ressenti beaucoup de honte», a poursuivi la femme de 43 ans avec une voix tremblotante.
Elle dit qu’il a fallu expliquer à leurs enfants qu’elle et leur père sont des personnalités publiques et que cela vient avec des inconvénients.
«Papa prend des décisions difficiles. Des gens sont d’accord, d’autres ne le sont pas. Il y a des gens qui disent que maman est bonne, d’autres, qu’elle est une tarte mal habillée», avait-elle expliqué aux enfants.
«On est venu ici pour que sa réputation soit rétablie et que justice soit faite», a-t-elle conclu sur un ton déterminé.
Retombées négatives
Elle a été suivie par le président du conseil de Quebecor, qui a d’ailleurs assuré l’intérim entre la mort de Pierre Péladeau et la reprise de la direction par son fils, Jean Neveu. Celui-ci a dit avoir «beaucoup d’amiration pour lui, qui a remplacé Pierre Péladeau, qui avait été élevé au rang de monument national», ce qui n’était pas facile.
Il a comparé son désir de vaincre à celui de son illustre père, ce qui a semblé émouvoir Pierre Karl Péladeau, assis dans la salle d’audience, tenant la main de Julie Snyder.
«Si tu traites Pierre Karl de voyou, tu traites la compagnie de hors la loi! Il est notre représentant! On anticipait des retombées négatives», a-t-il expliqué pour tenter de justifier les dommages réclamés par l’entreprise en plus de ceux que réclame personnellement Pierre Karl Péladeau.
En contre-interrogatoire, Me Chenette lui a fait confirmer que les résultats financiers de l’empire – depuis 2007, où il y a eu des pertes liées, selon M. Neveu, aux déboires de Quebecor World –, les profits gonflent d’année en année.
Le patron de Vidéotron témoigne
En fin de journée, le président et chef de la direction de Vidéotron, Robert Dépatie, un expert en restructuration de sociétés à la réputation malmenée, est venu dire au juge Larouche que la «violente» attaque de Sylvain Lafrance a causé des dommages majeurs à Vidéotron. Pour appuyer son dire, l’avocat de M. Péladeau, Me James Woods, a déposé en preuve une dizaine de lettres de clients mécontents dont un disait qu’il cessait de payer à Vidéotron le pourcentage de sa facture supposé être versé au Fonds canadien de la télévision puisque Quebecor avait cessé de le payer.
Preuve qui n’a pas semblé convaincre le juge.
«Les lettres disent que les gens arrêtent de payer parce que Quebecor a annulé ses paiements au Fonds. Le lien causal entre ça et le mot voyou, je ne le vois pas», a-t-il tranché, ce qui a clos le témoignage de M. Dépatie, qui a quitté la salle d’audiences visiblement mécontent de la tournure des événements.
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